Tassone, Claudia. "Arts d'aimer et livres de conduite. Discours prescriptifs pour les femmes au Moyen Âge." Electronic Thesis or Diss., Sorbonne université, 2024. https://accesdistant.sorbonne-universite.fr/login?url=https://theses-intra.sorbonne-universite.fr/2024SORUL057.pdf.
Resumo:
Les arts d'aimer et les livres de conduite sont deux traditions littéraires très en vogue entre les XIIIe-XVe siècles. Grâce à leur célébrité et à leur longévité ils ont contribué à façonner la pensée de l'époque et au-delà.Sous la catégorie « arts d'aimer », applicable à une grande variété de textes à sujet érotique, nous considérons les traductions, voire les adaptations, de l'Ars amatoria d'Ovide, qui instruit les amants à maîtriser les techniques de l'amour, de la première approche jusqu'à l'accomplissement de l'acte sexuel. Cette œuvre écrite sous le règne d'Auguste et qui, déjà à l'époque de sa parution, avait causé des scandales, condamnant son auteur à l'exil, connut une vraie renaissance à partir du XIIe siècle, dans une période dénommée aetas Ovidiana. Elle fut traduite et reprise par les auteurs médiévaux les plus célèbres, dont Chrétien de Troyes, Guillaume de Lorris et Jean de Meun. Dans notre thèse nous analyserons cependant principalement les cinq traductions de l'Ars - encore assez peu étudiées par la critique -, toutes diverses entre elles, d'auteurs peu connus ou anonymes.Pour ce qui concerne les livres de conduite (dont le terme vient de l'anglais conduct literature), il s'agit de traités d'éducation à la vie laïque pensés tout d'abord pour la jeunesse. Ici, nous nous intéressons aux textes adressés aux jeunes femmes, qui couvrent toute l'échelle sociale, depuis la reine et les princesses jusqu' aux femmes du peuple et même aux prostituées, avec le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan. Les destinataires de ces œuvres sont parfois connues, comme Isabelle, fille aînée de Louis IX, la reine Jeanne de Navarre, interpellée par son confesseur Durand de Champagne, et Suzanne, fille d'Anne de France. Parmi les textes de notre corpus s'en trouvent de très célèbres, comme l'œuvre de Christine de Pizan et le Livre du Chevalier de la Tour Landry, et d'autres moins étudiés jusqu'ici par la critique, en particulier un texte qui nous est parvenu sous trois versions différentes et dont nous proposons la première édition.Les deux traditions littéraires ne pourraient être plus différentes entre elles, mais l'intérêt de les rapprocher repose sur le constat que, contrairement à notre attente, les livres de conduite présentent en creux le discours des arts d'aimer. Les auteurs et autrices de livres de conduite se révèlent en fait conscients et conscientes du discours érotodidactique en vogue à l'époque, qu'ils condamnent, tout en le reprenant ex negativo pour mieux enseigner à leurs protégées à se garder des périls de l'amour extra-conjugal. Pour analyser l'influence du discours de matrice ovidienne dans les traités d'éducation, notre étude se base sur les étapes individuelles du parcours amoureux selon la tradition des gradus amoris, à savoir la visio, l'allocutio, le tactus, l'osculum et le factum. Cette démarche permet de toucher à toutes les nuances de l'amour, ses degrés pouvant tous être associés aux cinq sens et à des parties du corps, ce qui facilite l'incursion dans d'autres domaines. Ainsi, nous explorons la mode vestimentaire, les contenances de table, les attentes que les hommes ont des femmes dans l'un et l'autre discours, pour arriver à la déconstruction de l'amour courtois opérée par les livres de conduite. Les attentes des deux discours sont basées sur l'image idéale (ou idéelle) que leurs auteurs ont de la femme ; en les croisant, notre analyse donne en revanche un aperçu de la vie réelle et plus complexe des femmes françaises du Moyen Âge et de leur rapport avec les hommes.Comprendre la formation de ces images idéales et de la conception des femmes, dont les textes de notre corpus sont un reflet et un moyen de diffusion, est fondamental pour saisir des vestiges millénaires qui se trouvent encore de nos jours, combattus par les mouvements d'émancipation féminine tels le #MeToo et le No Means No<br>The arts of love and the conduct books are two literary traditions that were very much in vogue between the 13th and the 15th centuries. Thanks to their celebrity and longevity, they helped to shape the thinking of the period and beyond.Under the definition of "arts of love", which can be applied to a wide range of texts on erotic subjects, we are considering translations, or even adaptations, of Ovid's Ars amatoria, which instructs lovers to master the techniques of love, from the first approach to the completion of the sexual act. Written during the reign of Augustus, Ovid's work caused scandal even at the time of its publication, condemning the author to exile. From the 12th century onwards, during a period known as the aetas Ovidiana, it enjoyed a veritable renaissance. It was translated and reprinted by the most famous medieval authors, including Chrétien de Troyes, Guillaume de Lorris and Jean de Meun. In our thesis, however, we will focus mainly on the five translations of the Ars by little-known or anonymous authors - still relatively little studied by critics -, all of which are different from one another.As for conduct books (from the English conduct literature), these are treatises on secular life, written primarily for young people. Here, we are interested in texts aimed at young women, covering the whole social scale, from queens and princesses to common women and even prostitutes, as in Christine de Pizan's Livre des Trois Vertus. We know some of the patrons of these works, such as Isabelle, the eldest daughter of Louis IX, Queen Jeanne de Navarre, who was addressed by her confessor Durand de Champagne, and Suzanne, the daughter of Anne de France. Among the texts in our corpus are some very famous ones, such as the work of Christine de Pizan and the Livre du Chevalier de la Tour Landry (the Book of the Knight of the Tower), and others less studied by critics, including one that has come down to us in three different versions and of which we are offering the first edition.The two literary traditions could not be more different, but the interest of comparing them is that, contrary to all expectations, the books of conduct present the discourse of the arts of love in an underlying way. The authors of books of conduct were in fact aware of the erotodidactic discourse so much in vogue at the time, which they condemned, while taking it up ex negativo to better teach their protégées to guard against the perils of extramarital love. To analyse the influence of the Ovidian discourse in the educational treatises, this study is based on the individual stages of the amorous journey in the tradition of the gradus amoris, namely visio, allocutio, tactus, osculum and factum. This approach allows us to touch on all the nuances of love, since its degrees can all be associated with the five senses and parts of the body, making it easier to delve into other areas. In this way, we explore fashion, table manners and the expectations that men have of women in both discourses, to arrive at the deconstruction of courtly love operated by the books of conduct. The expectations of the two discourses are based on the ideal image that their authors have of women; by cross-referencing them, however, our analysis provides an insight into the real and more complex lives of French women in the Middle Ages and their relationship with men.Understanding the formation of these ideal images and the conception of women, of which the texts in our corpus are both a reflection and a means that enabled them to be disseminated, is fundamental to grasping the age-old vestiges that are still with us today, opposed by women's emancipation movements such as #MeToo and No Means No