Articles de revues sur le sujet « Anthropologie de l’attention »

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Bidet, Alexandra. « Anthropologie de la présence et de l’attention chez Albert Piette ». Sociologie du travail 52, no 3 (1 septembre 2010) : 435–38. http://dx.doi.org/10.4000/sdt.15099.

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Bidet, Alexandra. « Anthropologie de la présence et de l’attention chez Albert Piette ». Sociologie du Travail 52, no 3 (juillet 2010) : 435–38. http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2010.06.018.

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3

Denizeau, Laurent. « « Soirées miracles et guérisons » ». Ethnologies 33, no 1 (14 février 2012) : 75–93. http://dx.doi.org/10.7202/1007797ar.

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Résumé :
À Lyon (France), l’Association internationale des Ministères de guérison organise une fois par mois des « soirées miracles et guérisons». Ces soirées s’articulent autour, d’une part, un « porteur de charisme » qui peut être pasteur, prêtre, religieux ou simple laïc, à la fois garant de la cohésion des acteurs autour de l’effort de prière et médiateur des énergies divines et, d’autre part, une assemblée en souffrance, en attente de miracle et qui le reçoit comme une preuve, une validation empirique du croire. Les prières s’inscrivent dès lors comme une quête thérapeutique. Cette recherche souhaite interroger la diversité des itinéraires thérapeutiques actuels, ainsi que les rapports au corps et à la guérison qu’ils occasionnent. À mi-chemin entre une anthropologie de la maladie et une anthropologie du religieux, cet article souhaite contribuer à une meilleure compréhension des rapports entre savoir et croyance à l’oeuvre dans la guérison. Il souhaite interroger l’acte de croire dans le processus de construction de la guérison, en portant l’attention sur les modalités d’implication tout autant que sur les conditions d’acceptabilité, par les acteurs, du « miracle » de guérison.
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4

Hameau, Philippe. « Geste graphique et technicité ». Anthropologie et Sociétés 36, no 3 (19 février 2013) : 57–75. http://dx.doi.org/10.7202/1014165ar.

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Résumé :
L’une des particularités du motif peint sur une paroi est qu’il garde la mémoire du geste qui l’a produit. Toutefois, il n’est possible de restituer valablement ce geste qu’en contextualisant le motif, c’est-à-dire en invoquant les paramètres culturels (des circonstances de sa production à son choix) et physiques (les matériaux dont il est fait et sa morphologie) qui ont accompagné sa réalisation. On l’étudie donc dans le cadre d’une anthropologie des gestes associés aux expressions picturales du Néolithique, sachant qu’avec le recul du temps, il nous faudra préalablement présenter des paramètres tels que les contraintes culturelles qui président à l’emplacement des figures et les pratiques rituelles à l’origine de l’expression graphique, sans oublier la topographie des parois et des sites. En effet, le scripteur perçoit, s’adapte et agit en fonction de cet environnement spatial et social. Quelques stratégies culturelles sont évoquées ici : l’attention portée à la microtopographie de la paroi selon les signes à tracer, le respect de certains des critères qui déterminent le choix du site comme l’humidité des lieux et la teinte orangée des parois, la volonté de peindre aux limites de l’accessibilité du site et de la paroi, l’usage d’outils-traceurs augmentant les capacités du corps. L’efficacité du geste consiste alors dans la réalisation d’un motif porteur de sens parce qu’il est en adéquation avec la perception culturellement orientée des caractéristiques de son support. De cette analyse structurée sur un terrain ancien, on tire des éléments de réflexion anthropologique pour d’autres pratiques graphiques, notamment contemporaines et urbaines (tags,street art, etc.)
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5

Sautereau, Cyndie. « Répondre à la vulnérabilité : Paul Ricœur et les éthiques du care en dialogue ». Journal of French and Francophone Philosophy 23, no 1 (5 août 2015) : 1–20. http://dx.doi.org/10.5195/jffp.2015.672.

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Résumé :
Nous voudrions, à partir de la prise en compte de la vulnérabilité humaine et de la réponse à y apporter, questionner la conception ricœurienne de l’homme capable.Au sein des théories morales contemporaines dominantes, la vulnérabilité fait figure d’oubliée. C’est en effet plutôt à partir d’une conception de l’individu considéré comme autonome qu’elles se sont élaborées. Pourtant, qui n’a pas expérimenté au cours de sa vie des périodes de vulnérabilité ? L’enfance peut, à cet égard, être tenue pour paradigmatique. C’est cette expérience humaine universelle de fragilité que les éthiques du care visent à penser et dont elles cherchent à rendre visible la valeur morale. Elles partent du constat qu’en tant qu’êtres incarnés, nous avons besoin des autres pour satisfaire nos besoins fondamentaux. Humains, nous sommes des êtres de relation : nous dépendons des autres. Ce qui nous porte, ce qui permet à la vie de se maintenir, c’est le souci (care) dont d’autres font preuve à notre endroit, c’est-à-dire l’attention à nos besoins et l’activité pratique consistant à y répondre, autrement dit, une « capacité de care ».Or, si Ricœur, dans son anthropologie philosophique, fait certes la part belle à la vulnérabilité, s’il reconnaît que l’homme capable est tout autant homme fragile, quelle réponse, cependant, apporte-t-il à la vulnérabilité ? Certes, il nous montre que les capacités humaines (à dire, à faire, à se raconter, à être responsable) peuvent faire place à leur envers : la capacité à dire, par exemple, se muer en impuissance à maîtriser le verbe. Il reconnaît donc tout à fait que l’actualisation de nos pouvoirs n’est pas garantie. Mais, voudrions-nous demander : qu’est-ce qui vient alors soutenir ces pouvoirs ? Qu’est-ce qui leur permet de se déployer ? Qu’est-ce qui leur permet de se restaurer ? Prenant appui sur les éthiques du care, nous nous proposons de développer l’hypothèse selon laquelle l’actualisation des pouvoirs du soi dépendrait, fondamentalement, de relations de care. Les différentes capacités humaines que Ricœur décline et déploie ne sont-elles pas, au fond, soutenues par la capacité de care dont dépend, du début à la fin de sa vie, le soi ?
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Missonnier, Sylvain. « Du postnatal au périnatal : une métamorphose professionnelle et anthropologique ? » Spirale N° 106, no 2 (13 septembre 2023) : 29–41. http://dx.doi.org/10.3917/spi.106.0029.

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Résumé :
La pratique de psychologue en maternité ces dernières décennies témoigne d’une transformation chronologique essentielle : seulement centrée sur le seul postnatal au départ, le « savoir » et la clinique du bébé sont devenus périnataux. Au cœur du processus de parentalité, l’anticipation parentale est désormais périnatale et l’attention soignante mérite de se mettre au diapason. Cette redéfinition professionnelle correspond plus largement à une véritable métamorphose anthropologique de la chronologie de l’émergence de l’ontologie humaine et des premiers liens.
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Tantchou, Josiane Carine. « « Dire » la maladie du malade : à propos d’un service de médecine interne au Cameroun (note de recherche) ». Hors-thème 37, no 3 (13 mars 2014) : 269–89. http://dx.doi.org/10.7202/1024090ar.

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Résumé :
Cette note décrit le fonctionnement du service de médecine interne d’un hôpital de référence du Grand Nord du Cameroun. Nous nous intéressons spécifiquement aux rondes, ce rituel qu’on retrouve dans la plupart des hôpitaux et qui n’a cependant pas vraiment bénéficié de l’attention des anthropologues. Le but de cette note est de montrer comment la maladie (disease) y est faite (enact) à travers une façon particulière de « voir », d’« écrire », de « parler ». Ce faisant, nous rapportons des éléments d’observations qui rendent pertinente l’étude de la médecine en tant que pratique nécessairement « située ».
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8

Laroche-Gisserot, Florence. « Le mariage indien moderne. De la compensation matrimoniale à la dot ». Annales. Histoire, Sciences Sociales 61, no 3 (juin 2006) : 675–93. http://dx.doi.org/10.1017/s039526490000322x.

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RésuméLes problèmes de dot en Inde et les violences qu’ils suscitent, de même que les questions démographiques, ont depuis un certain temps attiré l’attention de l’opinion publique et donné à penser que la dot était dans ce pays un fléau social. En fait, et malgré les recommandations des livres sacrés, la pratique des dots est assez nouvelle en Inde. Voici quarante ans, le gros de la population recevait des compensations matrimoniales. Ce basculement en faveur de la dot est un fait anthropologique majeur qui n’est pas inconnu dans l’histoire : l’Antiquité classique, l’Europe occidentale des XIe-XIIe siècles ont connu le même schéma. L’expérience indienne est donc riche d’interrogations.
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Doat, David. « Vers une ontologie humaine intégratrice du handicap et de la fragilité en contexte évolutionniste ». Articles spéciaux 69, no 3 (8 juillet 2014) : 549–83. http://dx.doi.org/10.7202/1025868ar.

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Résumé :
Résumé Dans un contexte actuel où les questions relevant du domaine de l’éthique monopolisent une grande partie de l’activité philosophique en ce début de xxie siècle, cette étude souhaite démontrer que la thèse de la différence anthropologique et de la valeur inconditionnelle de toute personne humaine — quelles que puissent être ses fragilités — reste éminemment légitime et philosophiquement robuste en contexte évolutionniste. Pour y parvenir par une voie différant, sur le plan de la méthode, d’un raisonnement a priori (transcendantal) de type kantien, l’apport épistémologique de la phénoménologie de la vie de Michel Henry et la philosophie de la biologie de Hans Jonas font l’objet d’une réinterprétation associée aux travaux de Dominique Lambert sur l’hylémorphisme aristotélicien. Une fois repensée en régime darwinien et en tenant compte des apports critiques d’Henry et Jonas, une réactualisation contemporaine de la théorie des formes permet de mettre en évidence les raisons pour lesquelles, d’un point de vue anthropologique et ontologique, l’attention existentielle aux membres plus vulnérables de nos sociétés peut être considérée comme un indice majeur de la découverte par l’homme de la dignité de son être spécifiquement inachevé et vulnérable.
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Bordin, Guy. « La nuit inuit. Éléments de réflexion ». Études/Inuit/Studies 26, no 1 (19 octobre 2004) : 45–70. http://dx.doi.org/10.7202/009272ar.

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Résumé :
Résumé Alors que les ethnographes ont de tout temps eu l’attention retenue par l’hiver et l’été arctiques, justifiant par des caractéristiques climatiques «extrêmes» leurs analyses souvent déterministes des modes de vie inuit qu’ils ont décrits, ils ont en revanche peu écrit sur la nuit vécue au quotidien et ses représentations. La nuit inuit reste méconnue. Dans le présent article, notre objectif principal est de proposer quelques éléments de réflexion susceptibles de conduire à une perception renouvelée de cette période du nycthémère. Pour ce faire, nous confrontons des écrits d’Inuit originaires de l’Arctique oriental canadien à ce que nous enseignent les récits ethnographiques classiques et des études ethnologiques plus récentes. Au-delà de la mise en évidence d’une série de paradoxes (ou apparaissant comme tels), nous cherchons à montrer qu’une vision simplificatrice — la longue huit hivernale versus le bref été lumineux — n’a que peu à voir avec le vécu et les représentations inuit. Il s’agit plus généralement de contribuer à faire de la nuit un objet anthropologique.
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Nassiet, Michel. « Parenté et pouvoir local en Méditerranée occidentale ». Annales. Histoire, Sciences Sociales 61, no 3 (juin 2006) : 633–45. http://dx.doi.org/10.1017/s0395264900003206.

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Résumé :
Le livre que Gérard Delillenous offre sur les fondements familiaux et sociaux du pouvoir local dans la Méditerranée occidentale s’impose à l’attention pour son exceptionnelle ampleur, tant historique qu’anthropologique. Il fait suite au premier ouvrage que l’auteur a consacré au royaume de Naples, où il analysait le lien causal entre les politiques matrimoniales et la reproduction des propriétés foncières. Cette nouvelle étude, exigeante et foisonnante, porte sur les fondements familiaux et sociaux du pouvoir local dans tout l’espace où celui-ci était réparti en deuxceti, deux ordres élitaires, la noblesse et les « populaires », que recoupaient souvent deux factions. La première partie compare ce type d’organisation et les modalités de son évolution dans toute la Méditerranée occidentale. La deuxième combine une étude approfondie des structures de la parenté, au sens propre de cette expression, en Italie du Sud, avec des récits et des analyses des luttes politiques, grâce aux sources extraordinaires de deux localités des Pouilles, Casalnuovo et Altamura. L’analyse anthropologique est fondée principalement sur les notions de circulation et de réciprocité, qui sont mises en évidence de façon très concrète.
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Di Brizio, Maria Beatrice. « Une Préhistoire universelle ? Enjeux des Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization (1865) D’edward Burnett Tylor ». ORGANON 54 (8 novembre 2022) : 33–64. http://dx.doi.org/10.4467/00786500.org.22.002.16586.

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Résumé :
Figure de proue de l’anthropologie britannique de l’époque victorienne, Edward Burnett Tylor (1832–1917) aura également contribué aux sciences de la préhistoire, en théorisant l’universalité de l’âge de pierre dans l’ouvrage intitulé Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization (1865). En abordant ce défi, Tylor propose un excursus comparatiste des connaissances sur l’archéologie, la linguistique et l’ethnographie extra– européennes, tout autant que des données sur la préhistoire, les langues et le folklore européens. Focalisant l’attention sur la première édition des Researches, cette étude analyse la démonstration tylorienne de l’universalité de l’âge de pierre, ses méthodes et enjeux épistémiques, ses notions–clés et données empiriques, ainsi que sa réception à la troisième session du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques (1868). A universal prehistory? The issues of Edward Burnett Tylor’s Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization (1865) Edward Burnett Tylor (1832–1917), leading voice of British Victorian anthropology, significantly contributed to the sciences of prehistory by theorising the universality of the Stone Age in his work entitled Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization (1865). In meeting this challenge, Tylor offers a comparative overview of extra–European archaeology, linguistics and ethnography, as well as of data on European prehistory, languages and folklore. Focusing on the first edition of the Researches, this essay analyses Tylor’s generalizations about the Stone Age, their methodological and theoretical issues, their key–notions and data as well as their reception at the third session of the International Congress of Prehistoric Anthropology and Archaeology (1868).
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Fontaine, Louise. « L’encadrement étatique de la croyance religieuse dans la pensée de Jacques Zylberberg ». Social Compass 64, no 2 (25 mai 2017) : 233–46. http://dx.doi.org/10.1177/0037768617697916.

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Résumé :
Résumé Cet article explore l’approche et les concepts développés par Jacques Zylberberg dans le domaine de la sociologie des religions. Trois groupes religieux retiennent tout particulièrement l’attention ici : les Témoins de Jéhovah, les Hassidim et les Pentecôtistes catholiques (ou Charismatiques dans le cas du Québec). Le but poursuivi est de préciser en quoi Zylberberg a joué un rôle significatif pour la revue Social Compass et aussi auprès de la Société Internationale de Sociologie des Religions (SISR) tout au long de sa carrière universitaire. Cette réflexion cherche aussi à faire ressortir comment Zylberberg a procédé pour articuler des dimensions théoriques et empiriques face à ce qu’il désigne comme étant l’organisation étatique du religieux.
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Morantz, Toby. « Lire la tradition orale, écrire l’histoire crie ». Anthropologie et Sociétés 26, no 2-3 (15 octobre 2003) : 23–43. http://dx.doi.org/10.7202/007047ar.

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Résumé :
Résumé Dans un précédent article, auquel celui-ci fait suite, l’auteure avait posé la question suivante : les historiens non autochtones possèdent-ils les outils linguistiques et analytiques propres à interpréter les récits relevant de la tradition et de l’histoire orales, de manière à en conserver l’intégrité et la signification culturelle? L’article concluait que non. Ici, l’attention se porte sur ce qu’il est possible de sauvegarder de ces récits oraux pour introduire dans notre rédaction euro-dominée de l’histoire les conceptions et la compréhension qu’en ont les Autochtones. À partir de la fin des années soixante, sous les auspices de programmes muséaux, des anthropologues se sont rendus sur le terrain à l’est de la baie James et ont produit d’imposants rapports, qui ne comptent pas seulement des entrevues, mais aussi des traductions de récits oraux sur la tradition et l’histoire datant d’une époque antérieure à celle de l’entrée des Cris dans la société industrielle. Cet article analyse ces recueils pour offrir des exemples de sujets qui y sont abordés et montrer comment l’interviewer a pu en déterminer l’orientation. L’auteure maintient qu’une telle reproduction des récits oraux les arrache à leur contexte culturel, mais la matière qu’il est possible d’en tirer procure une compréhension vitale des activités et de la perspective qu’avaient les Cris à une époque aujourd’hui révolue ; cette compréhension est aussi essentielle à l’écriture de l’histoire du vingtième siècle.
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Abbruzzese, Salvatore. « Face à l’affaissement du scénario politique : Parcours de redéfinition du catholicisme en Italie ». Social Compass 64, no 2 (11 mai 2017) : 151–66. http://dx.doi.org/10.1177/0037768617704110.

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Résumé :
En Italie, on assiste depuis quelques temps à un indiscutable renouveau de l’attention autour de l’Église catholique. Il en résulte un réaménagement de l’espace public dans lequel l’Église italienne, depuis le pontificat du Pape François, a fini par se retrouver au centre de la scène médiatique. Cette position a fait émerger de nouvelles exigences d’une société italienne profondément secouée par le changement des modèles de consensus et de rapport au politique sur lesquels elle s’est construite depuis la deuxième moitié du 20ème siècle. L’objectif de cette réflexion est de mettre en évidence les caractéristiques de la crise de la modernité affectant l’Italie contemporaine et le regain d’intérêt porté à l’Église catholique. C’est par ce biais qu’il est possible de comprendre les enjeux qui se cachent derrière ce nouvel intérêt de l’opinion publique nationale au sein d’une société dont la sécularisation des institutions et la laïcisation des coutumes restent pourtant dominantes.
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Berghmans, Claude. « Approches thérapeutiques énergétiques chez des guérisseurs : regard phénoménologique et clinique ». Hegel N° 4, no 4 (18 janvier 2024) : 276–88. http://dx.doi.org/10.3917/heg.134.0276.

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Les recherches sur les thérapies complémentaires et alternatives se développent progressivement dans le champ médical et psychologique et regroupent de nombreuses approches. Les pratiques de soins énergétiques, encore peu connues, sous-tendent l’existence d’un champ d’énergie indéterminé autour du corps. Elles attirent l’attention des anthropologues depuis les années soixante, mais également des patients qui augmentent grandement les consultations chez ces praticiens. Il est très ardu d’aborder ces notions sous un angle scientifique, en raison d’un manque de méthodes et d’un espace épistémologique encore peu fourni. De ce fait, c’est sous un angle phénoménologique, que nous allons aborder cette question, qui va consister, après avoir présenté un encadrement théorique sur l’histoire de ces approches et quelques grilles de lecture explicatives, à analyser ces pratiques thérapeutiques de guérisseurs énergéticiens. Pour cela, d’un point de vue méthodologique, nous allons capitaliser le discours et les représentations de 12 guérisseurs à l’aide d’entretiens exploratoires et d’analyses de contenu thématique, que nous allons regrouper sous des thèmes centraux en fonction de leur fréquence d’apparition dans les discours. Les résultats mettent en lumière le concept central d’énergie vitale déjà présent dans la littérature du 19e siècle et les manipulations de celui-ci par les guérisseurs, en soulignant les concepts de chakras, de soins non locaux, de prière, de visualisation, de force des émotions et de ressenti du thérapeute, que l’on retrouve dans la littérature spécialisée. Les thématiques du diagnostic et du soin via les mains du guérisseur, ainsi que les limites et le champ déontologique de ces pratiques apparaissent aussi dans le discours comme thématiques importantes. Cette recherche embryonnaire de terrain doit donner lieu à une étude englobant un nombre plus important de praticiens afin de faire émerger des hypothèses de travail sur les processus thérapeutiques et l’efficacité de ces approches.
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Chevallard, Yves. « Some sensitive issues in the use and development of the anthropological theory of the didacticQuelques questions sensibles dans l'utilisation et le développement de la théorie anthropologique du didactique ». Educação Matemática Pesquisa : Revista do Programa de Estudos Pós-Graduados em Educação Matemática 22, no 4 (15 septembre 2020) : 013–53. http://dx.doi.org/10.23925/1983-3156.2020v22i4p013-053.

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Abstract This presentation repeats the opening lecture that the author gave on January 23, 2018 in Autrans (France) during the 6th International Congress on the ATD. Something of the oral form has been deliberately preserved in the text proposed here to the reader. As the title indicates, the aim was to draw attention to certain difficulties observed in the reception and use of the ATD. It is these difficulties that the structure of the text seeks to highlight and help overcome. After having underlined the question of the vocabulary specific to the ATD, we successively examine its theory of cognition, which is the basis of the ATD, then the cardinal notion of the possibly didactic, before moving on to the theory of praxeologies, which has undoubtedly received the greatest diffusion so far, and to progress by deepening the dialectic of persons and institutional positions, before specifying the concept of inquiry, which is at the heart of the current and future developments of the ATD. Keyword: Anthropological Theory of Didactics, Theory of cognition, Possibly didactic Résumé Cet exposé reprend la conférence inaugurale que l’auteur a prononcée le 23 janvier 2018 à Autrans (France) dans le cadre du 6e congrès international sur la TAD. Quelque chose de la forme orale a été volontairement conservé dans le texte proposé ici au lecteur. Comme l’indique le titre, il s’agissait d’attirer l’attention sur certaines difficultés observées dans la réception et l’usage de la TAD. Ce sont ces difficultés que la division du texte s’efforce de mettre en évidence et d’aider à dépasser. Après avoir souligné la question du vocabulaire propre à la TAD, on examine successivement la théorie de la cognition, qui constitue la base de la théorie, puis la notion cardinale du possiblement didactique, avant d’aborder la théorie des praxéologies, qui a reçu sans doute la plus grande diffusion jusqu’ici, et de progresser en approfondissant la dialectique des personnes et des positions institutionnelles, avant de préciser le concept d’enquête, qui est au cœur des développements en cours et à venir de la TAD. Mots-clés : Théorie Anthropologique du Didactique, Théorie de la cognition, Possiblement didactique.
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Arceño, Mark Anthony. « Vignerons and the Vines ». Social Anthropology/Anthropologie sociale 30, no 1 (1 mars 2022) : 24–44. http://dx.doi.org/10.3167/saas.2022.300103.

Texte intégral
Résumé :
English Abstract: Amid ongoing social and ecological transformations, vignerons (winegrowers) and the vines in their care are responding to the impacts of climatic and other forms of change. Drawing on ethnographic fieldwork in the eastern French winegrowing region of Alsace, I turn to the sensorium as the site where changing landscapes are forcing people to rethink the meaning of terroir, a key term in which winegrowing is articulated as a practice. I go beyond typical renderings of this French concept, often defined in terms of interactions among its various components (e.g. soil, wind and human know-how), to bring attention to the sensory relationships that connect them. Through walking and semi-directed interviews, as well as participant observations, with informants who represent thirteen different winegrowing sites, I generated data that explicate what is changing, how changes are being addressed and what this means for understanding the very place(s) in which place-based wine producers and their products are embedded. By attending to the senses, I contend that the goût du terroir or ‘taste of place’ is not merely reflected through the wines being produced by Alsatian winegrowers but is also a story of sensory relationships contributed by the vines themselves.French Abstract: Au milieu des transformations sociales et écologiques en cours, les vignerons et les vignes dont ils ont la charge réagissent aux changements climatiques et autres. En s’appuyant sur un travail ethnographique de terrain dans la région vitivinicole d’Alsace, dans l’est de la France, je me tourne vers le sensorium comme site où les paysages changeants forcent les gens à repenser la signification du terroir, un terme clé dans lequel la vitiviniculture est articulée comme une pratique. Je vais au-delà des représentations typiques de ce concept français souvent défini en termes d’interactions entre ses différentes composantes (par exemple le sol, le vent et le savoir-faire humain) pour attirer l’attention sur les relations sensorielles qui les relient. Par le biais d’entretiens à pied et semi-dirigés, ainsi que d’observations participantes, avec des informateurs représentant treize sites vitivinicoles différents, j’ai généré des données qui expliquent ce qui change, comment les changements sont abordés, et ce que cela signifie pour la compréhension des lieux dans lesquels les producteurs de vin et leurs produits sont intégrés. En prêtant attention aux sens, je soutiens que le « goût du terroir » (ou ‘taste of place’) ne se reflète pas seulement dans les vins produits par les vignerons alsaciens, mais qu’il s’agit également d’une histoire de relations sensorielles apportées par les vignes elles-mêmes.
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CHIRA, Rodica-Gabriela. « Sophie Hébert-Loizelet and Élise Ouvrard. (Eds.) Les carnets aujourd’hui. Outils d’apprentissage et objets de recherche. Presses universitaires de Caen, 2019. Pp. 212. ISBN 979-2-84133-935-8 ». Journal of Linguistic and Intercultural Education 13 (1 décembre 2020) : 195–200. http://dx.doi.org/10.29302/jolie.2020.13.12.

Texte intégral
Résumé :
l s’agit d’un volume paru comme résultat de l’initiative d’Anne-Laure Le Guern, Jean-François Thémines et Serge Martin, initiative qui, depuis 2013, a généré des manifestations scientifiques, des journées d’études organisées autour des carnets de l’IUFM, devenu ESPE et actuellement l’INSPE de Caen. Les carnets édités par la suite sont devenus un espace de réflexion, et un outil d’enseignement-apprentissage, un espace de recherche. Qu’est-ce qu’un carnet en didactique ? Les trois axes de recherche du volume Les carnets aujourd’hui… l’expliquent, avec de exemples des pratiques en classe ou dans le cadre d’autres types d’activités à dominante didactique. Un carnet peut être un objet en papier de dimensions et textures diversifiées, utilisé en différentes manières afin de susciter l’intérêt et la curiosité de l’apprenant. Parmi ses possibilités d’utilisation en classe : au lycée, qu’il s’agisse du lycée de culture générale ou du lycée professionnel, pour créer des liens entre littérature et écriture (« Lecture littéraire, écriture créative », avec des articles appartenant à Anne Schneider, Stéphanie Lemarchand et Yves Renaud) ; en maternelle et à l’école primaire (« Pratiques du carnet à l’école primaire », les articles liés à ce sujet appartenant à Catherine Rebiffé et Roselyne Le Bourgeois-Viron, Dominique Briand, Marie-Laure Guégan, Élise Ouvrard ; le carnet peut également passer du format papier à des adaptations modernes comme le téléphone mobile, le blog... (« D’une approche anthropologique à une approche culturelle », des recherches en ce sens venant de la part d’Élisabeth Schneider, Magali Jeannin, Corinne Le Bars). Sophie Hébert-Loizelet et Élise Ouvrard, ouvrent le volume avec le texte intitulé « Le carnet, une matérialité foisonnante et insaisissable », où elles partent de l’aspect physique d’un carnet vers ses contenus, tout en soulignant que, « depuis une quarantaine d’années » seulement, des spécialistes en critique génétique, des théoriciens des genres littéraires et des universitaires lui accordent l’importance méritée, dans la tentative de « répondre à cette simple question "qu’est-ce qu’un carnet" », parvenant ainsi à en démultiplier « les pistes intellectuelles, théoriques autant que pratiques » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 9). La diversité des carnets détermine les auteures à souligner, et à juste titre, que le carnet « incarne matériellement et pratiquement une certaine forme de liberté, n’ayant à priori aucune contrainte à respecter et pouvant dès lors recevoir n’importe quelle trace », permettant ainsi « à son détenteur, de manière souvent impromptue, indirecte […], de se découvrir, par tâtonnements, par jaillissements » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 10). Le premier contact avec un carnet étant d’ordre esthétique, on comprend bien la « magie » qu’il peut exercer sur l’élève, l’invitant ainsi, en quelque sorte, à sortir de la salle de cours, à se sentir plus libre. Le carnet est en même temps un bon aide-mémoire. Ses dimensions invitent à synthétiser la pensée, à la relecture, une « relecture à court terme » et une « relecture à long terme » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 15), toutes les deux enrichissantes. Le carnet devient effectivement outil d’apprentissage et objet de recherche. Les contributions présentes dans ce livre, soulignent les auteures par la suite, représentent des regards croisés (du 23 mars 2016) sur « l’objet carnet, en proposant des recherches académiques, anthropologiques ou didactiques mais également des comptes rendus d’expériences sur le terrain » dans le but de « prendre en considération l’utilisation des carnets dans leur grande hétérogénéité de la maternelle à l’université pour rendre compte des voyages, mais aussi de lectures et d’apprentissage dans les disciplines aussi variées que le français, l’histoire, les arts visuels, ou les arts plastiques, et ce dans différents milieux institutionnels » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 17). Prenons le premier axe de recherche mentionné plus haut, celui de la lecture littéraire et de l’écriture créative. Se penchant sur d’autorité de différents spécialistes dans le domaine, tels Pierre Bayard et Nathalie Brillant-Rannou, les deux premiers textes de cet axe insistent sur la modalité d’intégrer « l’activité du lecteur et son rapport à la littérature » par le carnet de lecture dans le cadre de la didactique de la littérature. Le troisième texte représente une exploitation du carnet artistique qui « favorise un meilleur rapport à l’écriture » et modifie la relation que les élèves de 15 à 17 ans du canton Vaud de Suisse ont avec le monde (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 19). Nous avons retenu de l’article d’Anne Schneider, l’exploitation de la notion de bibliothèque intérieure, telle qu’elle est vue par Pierre Bayard, bibliothèque incluant « nos livres secrets » en relation avec ceux des autres, les livres qui nous « fabriquent » (Schneider 2019 : 36). Ces livres figurent dans les carnets personnels, avec une succession de titres lus ou à lire, commentaires, dessins, jugements. Pour ce qui est de l’expérience en lycée professionnel (l’article de Stéphanie Lemarchand), on souligne l’attention accordée au « sujet lecteur » par le biais du carnet de lecture, plus exactement la réalisation d’une réflexion personnelle et les possibilités d’exprimer cette réflexion personnelle. Ici encore, il faut signaler la notion d’« autolecture » introduite par Nathalie Brillant-Rannou, l’enseignant se proposant de participer au même processus que ses élèves. En ce sens, la démarche auprès des élèves d’une école professionnelle, moins forts en français et en lecture, s’avère particulièrement intéressante. On leur demande d’écrire des contes que leurs collègues commentent, ou de commenter un film à l’aide du carnet de lecture qui devient carnet dialogique, non pas occasion du jugement de l’autre, mais d’observer et de retenir, devenant ainsi « un embrayeur du cours » (Lemarchand 2019 : 45). Le passage aux textes littéraires – des contes simples aux contes plus compliqués et des films de science-fiction aux livres de science-fiction – devient normal et incitant, permettant petit à petit le passage vers la poésie. L’utilisation du carnet dialogique détermine les élèves à devenir conscients de l’importance de leur point de vue, ce qui fait que ceux-ci commencent à devenir conscients d’eux-mêmes et à choisir des méthodes personnelles pour améliorer leur niveau de compétences, la démarche de l’enseignant devenant elle aussi de plus en plus complexe. Le premier article, du deuxième axe, celui visant les pratiques du carnet à l’école primaire, article signé par Catherine Rebiffé et Roselyne Le Bourgeois-Viron, présente le résultat d’une recherche qui « s’appuie sur les liens entre échanges oraux et trace écrite, mais aussi sur la dimension retouchable, ajustable de l’objet carnet réunissant dessins, photographies et dictée, afin d’initier les élèves à l’écrit » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 19). Pour ce qui est de l’enseignement de l’histoire à des élèves du cycle 3, avec une pensée critique en construction et une difficulté de comprendre un vocabulaire plus compliqué et les langages spécialisés, Dominique Briand propose le carnet Renefer, un choix parfait à son avis, vu que « l’artiste qui réalise les estampes sur le conflit [de la Grande Guerre] s’adresse à une enfant [de huit ans], sa fille » (Briand 2019 : 97), appelée par Renefer lui-même « Belle Petite Monde ». Un autre aspect important est lié au message transmis par l’image envisagée dans cette perspective. Il s’agit en effet de filtrer l’information en sorte que la violence et la souffrance soient perçues à des degrés émotionnels différents, pour laisser à l’élève la possibilité de débats, de réflexions. Les textes qui accompagnent les images du carnet Renefer, succincts mais suggestifs, s’adaptent également au niveau d’âge et implicitement de compréhension. Les élèves sont sensibilisés, invités à voir le côté humain, le brin de vie et d’espoir qui peuvent se cacher derrière une situation réaliste. Le carnet Renefer didactisé amène les élèves « à apprendre l’histoire dans une démarche active et clairement pluridisciplinaire qui laisse une place importante à l’histoire des arts » (Briand 2019 : 105). Le carnet d’artiste comme instrument didactique, plus exactement celui de Miquel Barceló qui a séjourné en Afrique et dont les carnets d’artiste témoignent de ses voyages et de l’utilisation des moyens locaux pour peindre ou même pour faire sécher les peintures est proposé par Marie-Laure Guégan. En passant par des crayons aquarelles, Miquel Barceló va ajouter du relief dans les pages peintes de ses carnets (« papiers d’emballage, billets de banque [par leur graphisme ils peuvent devenir le motif textile d’une robe de femme, par exemple], paquets de cigarettes, boîtes de médicaments » qui sont collés ou bien collés et arrachés par la suite). Pour réaliser des nuances différentes ou une autre texture, il y rajoute des « débris de tabac ou de fibre végétale agrégés de la terre, du sable ou de pigments » (Guégan 2019 : 117). Il est aidé par l’observation profonde de la nature, des changements perpétuels, du mélange des matières qui se développent, se modifient le long des années. Ainsi, il intègre dans ses peintures « le temps long (des civilisations), le temps moyen (à l’aune d’une période politique), le temps court (à la dimension de l’individu) » (Guégan 2019 : 121), aussi bien que l’espace, la lumière, l’ombre, les matières, le corps, l’inventivité. Toutes ces qualités recommandent déjà l’auteur pour l’exploitation didactique dans le primaire, il y vient avec un modèle d’intégration de l’enfant dans le monde. L’article de Marie-Laure Guégan parle de l’intégration du travail sur les carnets de l’artiste dans la réalisation de la couverture d’un carnet de voyage par les élèves du cycle 3 en CM2, (cycle de consolidation). D’où la nécessité d’introduire la peinture ou les carnets d’artistes « non comme modèles à imiter, mais comme objets de contemplation et de réflexion » (Guégan 2019 : 128). Dans l’article suivant, Élise Ouvrard parle d’un type de carnet qui permet l’exploitation des pratiques interdisciplinaires à l’école primaire, domaine moins approfondi dans le cadre de ces pratiques ; le but spécifique est celui de la « construction de la compétence interculturelle » qui « s’inscrit plus largement dans l’esprit d’une approche d’enseignement-apprentissage par compétences » (Ouvrard 2019 : 132). L’accent mis sur la compétence est perçu par Guy de Boterf, cité par Élise Ouvrard, comme « manifestation dans l’interprétation », à savoir la possibilité de « construire sa propre réponse pertinente, sa propre façon d’agir » (Cf. Ouvrard 2019 : 132 cité de Le Boterf 2001 :40) dans un processus qui vise la création de liens entre les éléments assimilés (ressources, activités et résultats pour une tâche donnée). Le professeur devient dans ce contexte, la personne qui traduit des contenus en actions qui servent « à mettre en œuvre, à sélectionner des tâches de difficulté croissante qui permettront aux élèves de gagner progressivement une maîtrise des compétences » (Ouvrard 2019 : 133). Cette perspective fait du carnet « un outil permettant de tisser des liens entre la culture scolaire et les expériences hors de la classe, mais aussi de décloisonner des apprentissages, de s’éloigner de l’approche par contenus-matière » (Ouvrard 2019 : 133). C’est un cadre d’analyse qui intègre la perspective didactique du français aussi bien que l’anthropologie de l’écriture. L’activité pratique consiste dans le travail sur des carnets de voyage avec des élèves en CM1 et CM2, venant de deux écoles différentes et qui préparent et effectuent un voyage en Angleterre. Les étapes du parcours visent : - entretiens individuels pré- et post-expérimentation des quatre enseignants concernés ; - fiche de préparation des séances autour du carnet ; - questionnaire pré- et post-expérimentation soumis aux élèves ; - entretiens collectifs post-expérimentation des élèves ; - photographies des carnets à mi-parcours de l’expérimentation et à la fin du parcours. L’analyse des documents a prouvé que les élèves ont réagi de manière positive. Ils ont apprécié le carnet comme plus valeureux que le cahier. Le premier permet un rapport plus complexe avec le milieu social, avec la famille, avec la famille d’accueil dans le cadre du voyage, même des visioconférences avec la famille. À partir des carnets de voyage on peut initier le principe des carnets de l’amitié qui permet au carnet d’un élève de circuler dans un petit groupe et s’enrichir des ajouts des autres collègues. On peut avoir également l’occasion de découvrir des talents des élèves, de mieux les connaître, de mettre l’accent sur leur autonomie. Différentes disciplines peuvent s’y intégrer : le français, l’anglais, l’histoire, les mathématiques, la géographie, la musique, les arts. Important s’avère le décloisonnement des disciplines par le choix de créneaux distincts pour l’utilisation-exploitation des carnets de voyage. Le dernier groupement d’articles, axé sur le passage d’une approche anthropologique à une approche culturelle, tente d’envisager un avenir pour le carnet. En tant que spécialiste des pratiques scripturales adolescentes, partant de la théorie de Roger T. Pédauque pour le document, Elisabeth Schneider se concentre dans son article sur le téléphone mobile par ce qu’on appelle « polytopie scripturale qui caractérise l’interaction des processus d’écriture, des activités et des déplacements avec le téléphone mobile » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 21), celui-ci s’encadrant du point de vue épistémologique, dans les catégories « signe », « forme » et « médium », tridimensionnalité qui permet de « comprendre les enjeux actuels concernant l’auctorialité, la structure du document, par exemple, mais aussi d’en revisiter l’histoire » (Schneider 2019 : 164). L’importance du blog pédagogique comme carnet médiatique multimodal, résultat du travail avec des étudiants sous contrat Erasmus ou type Erasmus venus à l’ESPE de Caen pour mettre en lumière l’expérience interculturelle, est démontrée par Magali Jeannin. Son article prend comme point d’encrage les notions d’« hypermobilité » pour les individus avec une identité « hypermoderne », en pleine « mouvance » et « liquidité » (Jeannin 2019 : 169), qui, des fois, dans le cas des étudiants, pourrait se concrétiser en « expérience interculturelle » et « tourisme universitaire ». L’intérêt de l’auteure va vers l’interrogation, « les enjeux et les moyens d’une didactique de l’implication du sujet en contexte interculturel » par un « blog pédagogique des étudiants étrangers » lié au cours sur les compétences interculturelles. Ainsi, parmi les enjeux du « blog pédagogique des étudiants à l’étranger » comme carnet multimodal comptent : donner à l’expérience culturelle la valeur subjective qui évite la réification du sujet en investissant « la langue et la culture cibles comme des faits et pratiques sociaux (inter)subjectifs » (Jeannin 2019 : 171) et même transsubjectifs d’après le modèle du blog libre ; le blog-carnet devient un espace de rencontre entre carnet de voyage et carnet de lecture, carnet d’expérience, carnet d’ethnographie (avec un mélange entre langue cible et langue source) ; il s’inscrit « dans une tradition de l’écriture de l’expérience en classe de FLE » (Jeannin 2019 : 173). Les écrits en grande mesure programmés du blog pédagogique sont ensuite exploités ; ils répondent en même temps « à des besoins personnels » et à des « fins universitaires » (Jeannin 2019 : 174). Par ce procédé, le réel est pris comme un processus non pas comme une simple représentation. Toujours avec une visée interculturelle, le dernier article de cette série fait référence à l’Institut régional du travail social Normandie-Caen, dont le but est de former « les futurs travailleurs sociaux » (Hébert-Loizelet, & Ouvrard 2019 : 21), par une recherche franco-québécoise qui concerne l’implication des mobilités internationales pour études. Ce volume représente un outil particulièrement important en didactique, un outil que je recommande chaleureusement en égale mesure aux enseignants et aux chercheurs spécialisés. Si je me suis arrêtée sur quelques articles, c’est parce qu’il m’a semblé important d’insister sur des côtés qui sont moins exploités par les enseignants roumains et qui mériteraient de l’être.
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Dupret, Baudoin, et Mariam Benalioua. « Anthropologie et justice ». Anthropen, 3 février 2022. http://dx.doi.org/10.47854/anthropen.v1i1.51134.

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Résumé :
Dans les travaux d’anthropologie portant sur la justice, les questions de la domination, des inégalités et des discriminations de genre ont focalisé l’attention. Privilégiant une approche critique plutôt que descriptive, cette focalisation a entraîné la marginalisation de l’étude du fonctionnement ordinaire et concret de la justice. L’engouement pour la méthode ethnographique, voire praxéologique, permet d'entrevoir une inflexion de cette tendance.
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Leclerc, Véronique, Alexandre Tremblay et Chani Bonventre. « Anthropologie médicale ». Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.125.

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Résumé :
L’anthropologie médicale est un sous-champ de l’anthropologie socioculturelle qui s’intéresse à la pluralité des systèmes médicaux ainsi qu’à l’étude des facteurs économiques, politiques et socioculturels ayant un impact sur la santé des individus et des populations. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux relations sociales, aux expériences vécues, aux pratiques impliquées dans la gestion et le traitement des maladies par rapport aux normes culturelles et aux institutions sociales. Plusieurs généalogies de l’anthropologie médicale peuvent être retracées. Toutefois, les monographies de W.H.R. Rivers et d’Edward Evans-Pritchard (1937), dans lesquelles les représentations, les connaissances et les pratiques en lien avec la santé et la maladie étaient considérées comme faisant intégralement partie des systèmes socioculturels, sont généralement considérées comme des travaux fondateurs de l’anthropologie médicale. Les années 1950 ont marqué la professionnalisation de l’anthropologie médicale. Des financements publics ont été alloués à la discipline pour contribuer aux objectifs de santé publique et d’amélioration de la santé dans les communautés économiquement pauvres (Good 1994). Dans les décennies qui suivent, les bases de l’anthropologie médicale sont posées avec l’apparition de nombreuses revues professionnelles (Social Science & Medicine, Medical Anthropology, Medical Anthropology Quarterly), de manuels spécialisés (e.g. MacElroy et Townsend 1979) et la formation du sous-groupe de la Society for Medical Anthropology au sein de l’American Anthropological Association (AAA) en 1971, qui sont encore des points de références centraux pour le champ. À cette époque, sous l’influence des théories des normes et du pouvoir proposées par Michel Foucault et Pierre Bourdieu, la biomédecine est vue comme un système structurel de rapports de pouvoir et devient ainsi un objet d’étude devant être traité symétriquement aux autres systèmes médicaux (Gaines 1992). L’attention portée aux théories du biopouvoir et de la gouvernementalité a permis à l’anthropologie médicale de formuler une critique de l’hégémonie du regard médical qui réduit la santé à ses dimensions biologiques et physiologiques (Saillant et Genest 2007 : xxii). Ces considérations ont permis d’enrichir, de redonner une visibilité et de l’influence aux études des rationalités des systèmes médicaux entrepris par Evans-Pritchard, et ainsi permettre la prise en compte des possibilités qu’ont les individus de naviguer entre différents systèmes médicaux (Leslie 1980; Lock et Nguyen 2010 : 62). L’aspect réducteur du discours biomédical avait déjà été soulevé dans les modèles explicatifs de la maladie développés par Arthur Kleinman, Leon Eisenberg et Byron Good (1978) qui ont introduit une distinction importante entre « disease » (éléments médicalement observables de la maladie), « illness » (expériences vécues de la maladie) et « sickness » (aspects sociaux holistes entourant la maladie). Cette distinction entre disease, illness et sickness a joué un rôle clé dans le développement rapide des perspectives analytiques de l’anthropologie médicale de l’époque, mais certaines critiques ont également été formulées à son égard. En premier lieu, Allan Young (1981) formule une critique des modèles explicatifs de la maladie en réfutant l'idée que la rationalité soit un model auquel les individus adhèrent spontanément. Selon Young, ce modèle suggère qu’il y aurait un équivalant de structures cognitives qui guiderait le développement des modèles de causalité et des systèmes de classification adoptées par les personnes. Au contraire, il propose que les connaissances soient basées sur des actions, des relations sociales, des ressources matérielles, avec plusieurs sources influençant le raisonnement des individus qui peuvent, de plusieurs manières, diverger de ce qui est généralement entendu comme « rationnel ». Ces critiques, ainsi que les études centrées sur l’expérience des patients et des pluralismes médicaux, ont permis de constater que les stratégies adoptées pour obtenir des soins sont multiples, font appel à plusieurs types de pratiques, et que les raisons de ces choix doivent être compris à la lumière des contextes historiques, locaux et matériaux (Lock et Nguyen 2010 : 63). Deuxièmement, les approches de Kleinman, Eisenberger et Good ont été critiquées pour leur séparation artificielle du corps et de l’esprit qui représentait un postulat fondamental dans les études de la rationalité. Les anthropologues Nancy Scheper-Hughes et Margeret Lock (1987) ont proposé que le corps doit plutôt être abordé selon trois niveaux analytiques distincts, soit le corps politique, social et individuel. Le corps politique est présenté comme étant un lieu où s’exerce la régulation, la surveillance et le contrôle de la différence humaine (Scheper-Hughes et Lock 1987 : 78). Cela a permis aux approches féministes d’aborder le corps comme étant un espace de pouvoir, en examinant comment les discours sur le genre rendent possible l’exercice d’un contrôle sur le corps des femmes (Manderson, Cartwright et Hardon 2016). Les premiers travaux dans cette perspective ont proposé des analyses socioculturelles de différents contextes entourant la reproduction pour contrecarrer le modèle dominant de prise en charge médicale de la santé reproductive des femmes (Martin 1987). Pour sa part, le corps social renvoie à l’idée selon laquelle le corps ne peut pas être abordé simplement comme une entité naturelle, mais qu’il doit être compris en le contextualisant historiquement et socialement (Lupton 2000 : 50). Finalement, considérer le corps individuel a permis de privilégier l’étude de l’expérience subjective de la maladie à travers ses variations autant au niveau individuel que culturel. Les études de l’expérience de la santé et la maladie axées sur l’étude des « phénomènes tels qu’ils apparaissent à la conscience des individus et des groupes d’individus » (Desjarlais et Throop 2011 : 88) se sont avérées pertinentes pour mieux saisir la multitude des expériences vécues des états altérés du corps (Hofmann et Svenaeus 2018). En somme, les propositions de ces auteurs s’inscrivent dans une anthropologie médicale critique qui s’efforce d’étudier les inégalités socio-économiques (Scheper-Hughes 1992), l’accès aux institutions et aux savoirs qu’elles produisent, ainsi qu’à la répartition des ressources matérielles à une échelle mondiale (Manderson, Cartwright et Hardon 2016). Depuis ses débuts, l’anthropologie médicale a abordé la santé globale et épidémiologique dans le but de faciliter les interventions sur les populations désignées comme « à risque ». Certains anthropologues ont développé une perspective appliquée en épidémiologie sociale pour contribuer à l’identification de déterminants sociaux de la santé (Kawachi et Subramanian 2018). Plusieurs de ces travaux ont été critiqués pour la culturalisation des pathologies touchant certaines populations désignées comme étant à risque à partir de critères basés sur la stigmatisation et la marginalisation de ces populations (Trostle et Sommerfeld 1996 : 261). Au-delà des débats dans ce champ de recherche, ces études ont contribué à la compréhension des dynamiques de santé et de maladie autant à l’échelle globale, dans la gestion des pandémies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qu’aux échelles locales avec la mise en place de campagnes de santé publique pour faciliter l’implantation de mesures sanitaires, telles que la vaccination (Dubé, Vivion et Macdonald 2015). L’anthropologie a contribué à ces discussions en se penchant sur les contextes locaux des zoonoses qui sont des maladies transmissibles des animaux vertébrés aux humains (Porter 2013), sur la résistance aux antibiotiques (Landecker 2016), comme dans le cas de la rage et de l’influenza (Wolf 2012), sur les dispositifs de prévention mis en place à une échelle mondiale pour éviter l’apparition et la prolifération d’épidémies (Lakoff 2010), mais aussi sur les styles de raisonnement qui sous-tendent la gestion des pandémies (Caduff 2014). Par ailleurs, certains auteur.e.s ont utilisé le concept de violence structurelle pour analyser les inégalités socio-économiques dans le contexte des pandémies de maladies infectieuses comme le sida, la tuberculose ou, plus récemment, l’Ébola (Fassin 2015). Au-delà de cet aspect socio-économique, Aditya Bharadwaj (2013) parle d’une inégalité épistémique pour caractériser des rapports inégaux dans la production et la circulation globale des savoirs et des individus dans le domaine de la santé. Il décrit certaines situations comme des « biologies subalternes », c’est à dire des états de santé qui ne sont pas reconnus par le système biomédical hégémonique et qui sont donc invisibles et vulnérables. Ces « biologies subalternes » sont le revers de citoyennetés biologiques, ces dernières étant des citoyennetés qui donnes accès à une forme de sécurité sociale basée sur des critères médicaux, scientifiques et légaux qui reconnaissent les dommages biologiques et cherche à les indemniser (Petryna 2002 : 6). La citoyenneté biologique étant une forme d’organisation qui gravite autour de conditions de santé et d’enjeux liés à des maladies génétiques rares ou orphelines (Heath, Rapp et Taussig 2008), ces revendications mobilisent des acteurs incluant les institutions médicales, l’État, les experts ou encore les pharmaceutiques. Ces études partagent une attention à la circulation globale des savoirs, des pratiques et des soins dans la translation — ou la résistance à la translation — d’un contexte à un autre, dans lesquels les patients sont souvent positionnés entre des facteurs sociaux, économiques et politiques complexes et parfois conflictuels. L’industrie pharmaceutique et le développement des technologies biomédicales se sont présentés comme terrain important et propice pour l’analyse anthropologique des dynamiques sociales et économiques entourant la production des appareils, des méthodes thérapeutiques et des produits biologiques de la biomédecine depuis les années 1980 (Greenhalgh 1987). La perspective biographique des pharmaceutiques (Whyte, Geest et Hardon 2002) a consolidé les intérêts et les approches dans les premières études sur les produits pharmaceutiques. Ces recherches ont proposé de suivre la trajectoire sociale des médicaments pour étudier les contextes d’échanges et les déplacements dans la nature symbolique qu’ont les médicaments pour les consommateurs : « En tant que choses, les médicaments peuvent être échangés entre les acteurs sociaux, ils objectivent les significations, ils se déplacent d’un cadre de signification à un autre. Ce sont des marchandises dotées d’une importance économique et de ressources recelant une valeur politique » (traduit de Whyte, Geest et Hardon 2002). D’autres ont davantage tourné leur regard vers les rapports institutionnels, les impacts et le fonctionnement de « Big Pharma ». Ils se sont intéressés aux processus de recherche et de distribution employés par les grandes pharmaceutiques à travers les études de marché et les pratiques de vente (Oldani 2014), l’accès aux médicaments (Ecks 2008), la consommation des produits pharmaceutiques (Dumit 2012) et la production de sujets d’essais cliniques globalisés (Petryna, Lakoff et Kleinman 2006), ainsi qu’aux enjeux entourant les réglementations des brevets et du respect des droits politiques et sociaux (Ecks 2008). L’accent est mis ici sur le pouvoir des produits pharmaceutiques de modifier et de changer les subjectivités contemporaines, les relations familiales (Collin 2016), de même que la compréhensions du genre et de la notion de bien-être (Sanabria 2014). Les nouvelles technologies biomédicales — entre autres génétiques — ont permis de repenser la notion de normes du corps en santé, d'en redéfinir les frontières et d’intervenir sur le corps de manière « incorporée » (embodied) (Haraway 1991). Les avancées technologiques en génomique qui se sont développées au cours des trois dernières décennies ont soulevé des enjeux tels que la généticisation, la désignation de populations/personnes « à risque », l’identification de biomarqueurs actionnables et de l’identité génétique (TallBear 2013 ; Lloyd et Raikhel 2018). Au départ, le modèle dominant en génétique cherchait à identifier les gènes spécifiques déterminant chacun des traits biologiques des organismes (Lock et Nguyen 2010 : 332). Cependant, face au constat que la plupart des gènes ne codaient par les protéines responsables de l’expression phénotypique, les modèles génétiques se sont depuis complexifiés. L’attention s’est tournée vers l’analyse de la régulation des gènes et de l’interaction entre gènes et maladies en termes de probabilités (Saukko 2017). Cela a permis l’émergence de la médecine personnalisée, dont les interventions se basent sur l’identification de biomarqueurs personnels (génétiques, sanguins, etc.) avec l’objectif de prévenir l’avènement de pathologies ou ralentir la progression de maladies chroniques (Billaud et Guchet 2015). Les anthropologues de la médecine ont investi ces enjeux en soulevant les conséquences de cette forme de médecine, comme la responsabilisation croissante des individus face à leur santé (Saukko 2017), l’utilisation de ces données dans l’accès aux assurances (Hoyweghen 2006), le déterminisme génétique (Landecker 2011) ou encore l’affaiblissement entre les frontières de la bonne santé et de la maladie (Timmermans et Buchbinder 2010). Ces enjeux ont été étudiés sous un angle féministe avec un intérêt particulier pour les effets du dépistage prénatal sur la responsabilité parentale (Rapp 1999), l’expérience de la grossesse (Rezende 2011) et les gestions de l’infertilité (Inhorn et Van Balen 2002). Les changements dans la compréhension du modèle génomique invitent à prendre en considération plusieurs variables en interaction, impliquant l’environnement proche ou lointain, qui interagissent avec l’expression du génome (Keller 2014). Dans ce contexte, l’anthropologie médicale a développé un intérêt envers de nouveaux champs d’études tels que l’épigénétique (Landecker 2011), la neuroscience (Choudhury et Slaby 2016), le microbiome (Benezra, DeStefano et Gordon 2012) et les données massives (Leonelli 2016). Dans le cas du champ de l’épigénétique, qui consiste à comprendre le rôle de l’environnement social, économique et politique comme un facteur pouvant modifier l’expression des gènes et mener au développement de certaines maladies, les anthropologues se sont intéressés aux manières dont les violences structurelles ancrées historiquement se matérialisent dans les corps et ont des impacts sur les disparités de santé entre les populations (Pickersgill, Niewöhner, Müller, Martin et Cunningham-Burley 2013). Ainsi, la notion du traumatisme historique (Kirmayer, Gone et Moses 2014) a permis d’examiner comment des événements historiques, tels que l’expérience des pensionnats autochtones, ont eu des effets psychosociaux collectifs, cumulatifs et intergénérationnels qui se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. L’étude de ces articulations entre conditions biologiques et sociales dans l’ère « post-génomique » prolonge les travaux sur le concept de biosocialité, qui est défini comme « [...] un réseau en circulation de termes d'identié et de points de restriction autour et à travers desquels un véritable nouveau type d'autoproduction va émerger » (Traduit de Rabinow 1996:186). La catégorie du « biologique » se voit alors problématisée à travers l’historicisation de la « nature », une nature non plus conçue comme une entité immuable, mais comme une entité en état de transformation perpétuelle imbriquée dans des processus humains et/ou non-humains (Ingold et Pálsson 2013). Ce raisonnement a également été appliqué à l’examen des catégories médicales, conçues comme étant abstraites, fixes et standardisées. Néanmoins, ces catégories permettent d'identifier différents états de la santé et de la maladie, qui doivent être compris à la lumière des contextes historiques et individuels (Lock et Nguyen 2010). Ainsi, la prise en compte simultanée du biologique et du social mène à une synthèse qui, selon Peter Guarnaccia, implique une « compréhension du corps comme étant à la fois un système biologique et le produit de processus sociaux et culturels, c’est-à-dire, en acceptant que le corps soit en même temps totalement biologique et totalement culturel » (traduit de Guarnaccia 2001 : 424). Le concept de « biologies locales » a d’abord été proposé par Margaret Lock, dans son analyse des variations de la ménopause au Japon (Lock 1993), pour rendre compte de ces articulations entre le matériel et le social dans des contextes particuliers. Plus récemment, Niewöhner et Lock (2018) ont proposé le concept de biologies situées pour davantage contextualiser les conditions d’interaction entre les biologies locales et la production de savoirs et de discours sur celles-ci. Tout au long de l’histoire de la discipline, les anthropologues s’intéressant à la médecine et aux approches de la santé ont profité des avantages de s’inscrire dans l’interdisciplinarité : « En anthropologie médical, nous trouvons qu'écrire pour des audiences interdisciplinaires sert un objectif important : élaborer une analyse minutieuse de la culture et de la santé (Dressler 2012; Singer, Dressler, George et Panel 2016), s'engager sérieusement avec la diversité globale (Manderson, Catwright et Hardon 2016), et mener les combats nécessaires contre le raccourcies des explications culturelles qui sont souvent déployées dans la littérature sur la santé (Viruell-Fuentes, Miranda et Abdulrahim 2012) » (traduit de Panter-Brick et Eggerman 2018 : 236). L’anthropologie médicale s’est constituée à la fois comme un sous champ de l’anthropologie socioculturelle et comme un champ interdisciplinaire dont les thèmes de recherche sont grandement variés, et excèdent les exemples qui ont été exposés dans cette courte présentation.
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Gagné, Natacha. « Anthropologie et histoire ». Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.060.

Texte intégral
Résumé :
On a longtemps vu l’histoire et l’anthropologie comme deux disciplines très distinctes n’ayant pas grand-chose en partage. Jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire fut essentiellement celle des « civilisés », des Européens et donc des colonisateurs. Si les colonisés n’étaient pas complètement absents du tableau, ils étaient, au mieux, des participants mineurs. L’anthropologie, pour sa part, s’est instituée en ayant pour objet la compréhension des populations lointaines, les « petites sociétés », autochtones et colonisées, ces populations vues comme hors du temps et de l’histoire. Cette situation était le produit d’une division traditionnelle (Harkin 2010 : 114) – et coloniale (Naepels 2010 : 878) – du travail entre histoire et anthropologie. Celle-ci se prolongeait dans le choix des méthodes : les historiens travaillaient en archives alors que les anthropologues s’intéressaient aux témoignages oraux et donc, s’adonnaient à l’enquête de terrain. Les deux disciplines divergeaient également quant à la temporalité : « Pour l’histoire, (…) le temps est une sorte de matière première. Les actes s’inscrivent dans le temps, modifient les choses tout autant qu’ils les répètent. (…) Pour l’anthropologue, s’il n’y prend garde, le temps passe en arrière-plan, au profit d’une saisie des phénomènes en synchronie » (Bensa 2010 : 42). Ces distinctions ne sont plus aujourd’hui essentielles, en particulier pour « l’anthropologie historique », champ de recherche dont se revendiquent tant les historiens que les anthropologues, mais il n’en fut pas de tout temps ainsi. Après s’être d’abord intéressés à l’histoire des civilisations dans une perspective évolutionniste et spéculative, au tournant du siècle dernier, les pères de l’anthropologie, tant en France (Émile Durkheim, Marcel Mauss), aux États-Unis (Franz Boas), qu’en Angleterre (Bronislaw Malinowski, Alfred Radcliffe-Brown), prendront fermement leur distance avec cette histoire. Les questions de méthode, comme le développement de l’observation participante, et l’essor de concepts qui devinrent centraux à la discipline tels que « culture » et « fonction » furent déterminants pour sortir de l’idéologie évolutionniste en privilégiant la synchronie plutôt que la diachronie et les généalogies. On se détourna alors des faits uniques pour se concentrer sur ceux qui se répètent (Bensa 2010 : 43). On s’intéressa moins à l’accidentel, à l’individuel pour s’attacher au régulier, au social et au culturel. Sans être nécessairement antihistoriques, ces précepteurs furent largement ahistoriques (Evans-Pritchard 1962 : 172), une exception ayant été Franz Boas – et certains de ses étudiants, tels Robert Lowie ou Melville J. Herskovits – avec son intérêt pour les contacts culturels et les particularismes historiques. Du côté de l’histoire, on priorisait la politique, l’événement et les grands hommes, ce qui donnait lieu à des récits plutôt factuels et athéoriques (Krech 1991 : 349) basés sur les événements « vrais » et uniques qui se démarquaient de la vie « ordinaire ». Les premiers essais pour réformer l’histoire eurent lieu en France, du côté des historiens qui seront associés aux « Annales », un nom qui réfère à la fois à une revue scientifique fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre et à une École d’historiens français qui renouvela la façon de penser et d’écrire l’histoire, en particulier après la Seconde Guerre mondiale (Krech 1991; Schöttler 2010). L’anthropologie et la sociologie naissantes suscitèrent alors l’intérêt chez ce groupe d’historiens à cause de la variété de leurs domaines d’enquête, mais également par leur capacité à enrichir une histoire qui n’est plus conçue comme un tableau ou un simple inventaire. Les fondateurs de la nouvelle École française des Annales décrivent leur approche comme une « histoire totale », expression qui renvoie à l’idée de totalité développée par les durkheimiens, mais également à l’idée de synthèse du philosophe et historien Henry Berr (Schöttler 2010: 34-37). L’histoire fut dès lors envisagée comme une science sociale à part entière, s’intéressant aux tendances sociales qui orientent les singularités. L’ouvrage fondateur de Marc Bloch, Les rois thaumaturges (1983 [1924]), pose les jalons de ce dépassement du conjoncturel. Il utilise notamment la comparaison avec d’autres formes d’expériences humaines décrites notamment dans Le Rameau d’Or (1998 [1924; 1890 pour l’édition originale en anglais]) de James G. Frazer et explore le folklore européen pour dévoiler les arcanes religieux du pouvoir royal en France et en Angleterre (Bensa 2010; Goody 1997). Il s’agit alors de faire l’histoire des « mentalités », notion qui se rapproche de celle de « représentation collective » chère à Durkheim et Mauss (sur ce rapprochement entre les deux notions et la critique qui en a été faite, voir Lloyd 1994). Les travaux de la deuxième génération des historiens des Annales, marqués par la publication de l’ouvrage de Fernand Braudel La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II en 1949 et de son arrivée en 1956 à la direction de la revue, peuvent encore une fois mieux se comprendre dans l’horizon du dialogue avec l’anthropologie, d’une part, et avec les area studiesqui se développèrent aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, de l’autre (Braudel 1958). Le projet est de rapporter « la spécificité des acteurs singuliers, des dates et des événements à des considérations plus vastes sur la transformation lente des mœurs et des représentations. Le travail ne consiste pas seulement à capter au projet de l’histoire des rubriques chères à l’anthropologie, mais aussi à caractériser une époque [et une région] par sa façon de percevoir et de penser le monde » (Bensa 2010 : 46). Il s’agit alors de faire l’histoire des structures, des conjonctures et des mentalités (Schöttler 2010 : 38). Les travaux de cette deuxième génération des Annales s’inscrivent dans un vif débat avec l’anthropologie structuraliste de Claude Lévi-Strauss. Si tant Braudel que Lévi-Strauss voulaient considérer les choses de façon globale, Lévi-Strauss situait la globalité dans un temps des sociétés des origines, comme si tout s’était joué au départ et comme si l’histoire n’en serait qu’un développement insignifiant. Pour sa part, Braudel, qui s’intéressait à l’histoire sérielle et à la longue durée, situait plutôt la globalité dans un passé qui sert à comprendre le présent et, jusqu’à un certain point, à prévoir ce qui peut se passer dans le futur. Ce qui constitue le fond de leur opposition est que l’un s’intéresse à l’histoire immobile alors que l’autre s’intéresse à l’histoire de longue durée, soit l’histoire quasi immobile selon laquelle, derrière les apparences de la reproduction à l’identique, se produisent toujours des changements, même très minimes. Dans les deux cas, l’ « événementiel » ou ce qui se passe à la « surface » sont à l’opposé de leur intérêt pour la structure et la profondeur, même si ces dernières ne sont pas saisies de la même façon. Pour Braudel, la structure est pleinement dans l’histoire ; elle est réalité concrète et observable qui se décèle notamment dans les réseaux de relations, de marchandises et de capitaux qui se déploient dans l’espace et qui commandent les autres faits dans la longue durée (Dosse 1986 : 89). Les travaux de Braudel et son concept d’ « économie-monde » inspireront plusieurs anthropologues dont un Marshall Sahlins et un Jonathan Friedman à partir du tournant des années 1980. Pour Lévi-Strauss, la structure profonde, celle qui correspond aux enceintes mentales humaines, « ne s’assimile pas à la structure empirique, mais aux modèles construits à partir de celle-ci » (Dosse 1986 : 85). Elle est donc hors de l’histoire. Comme le rappelait François Hartog (2014 [2004] : 287), Lévi-Strauss a souvent dit « rien ne m’intéresse plus que l’histoire. Et depuis fort longtemps! » (1988 : 168; voir d’ailleurs notamment Lévi-Strauss 1958, 1983), tout en ajoutant « l’histoire mène à tout, mais à condition d’en sortir » (Lévi-Strauss 1962 : 348) ! Parallèlement à l’entreprise déhistoricisante de Lévi-Strauss, d’autres anthropologues insistent au contraire à la même époque sur l’importance de réinsérer les institutions étudiées dans le mouvement du temps. Ainsi, Edward E. Evans-Pritchard, dans sa célèbre conférence Marett de 1950 qui sera publiée en 1962 sous le titre « Anthropology and history », dénonce le fait que les généralisations en anthropologie autour des structures sociales, de la religion, de la parenté soient devenues tellement généralisées qu’elles perdent toute valeur. Il insiste sur la nécessité de faire ressortir le caractère unique de toute formation sociale. C’est pour cette raison qu’il souligne l’importance de l’histoire pour l’anthropologie, non pas comme succession d’événements, mais comme liens entre eux dans un contexte où on s’intéresse aux mouvements de masse et aux grands changements sociaux. En invitant notamment les anthropologues à faire un usage critique des sources documentaires et à une prise en considération des traditions orales pour comprendre le passé et donc la nature des institutions étudiées, Evans-Pritchard (1962 : 189) en appelle à une combinaison des points de vue historique et fonctionnaliste. Il faut s’intéresser à l’histoire pour éclairer le présent et comment les institutions en sont venues à être ce qu’elles sont. Les deux disciplines auraient donc été pour lui indissociables (Evans-Pritchard 1962 : 191). Au milieu du XXe siècle, d’autres anthropologues s’intéressaient aux changements sociaux et à une conception dynamique des situations sociales étudiées, ce qui entraîna un intérêt pour l’histoire, tels que ceux de l’École de Manchester, Max Gluckman (1940) en tête. En France, inspiré notamment par ce dernier, Georges Balandier (1951) insista sur la nécessité de penser dans une perspective historique les situations sociales rencontrées par les anthropologues, ce qui inaugura l’étude des situations coloniales puis postcoloniales, mais aussi de l’urbanisation et du développement. Cette importance accordée à l’histoire se retrouva chez les anthropologues africanistes de la génération suivante tels que Jean Bazin, Michel Izard et Emmanuel Terray (Naepels 2010 : 876). Le dialogue entre anthropologie et histoire s’est développé vers la même époque aux États-Unis. Après le passage de l’Indian Claims Commission Act en 1946, qui établit une commission chargée d’examiner les revendications à l’encontre de l’État américain en vue de compensations financières pour des territoires perdus par les nations autochtones à la suite de la violation de traités fédéraux, on assista au développement d’un nouveau champ de recherche, l’ethnohistoire, qui se dota d’une revue en 1954, Ethnohistory. Ce nouveau champ fut surtout investi par des anthropologues qui se familiarisèrent avec les techniques de l’historiographie. La recherche, du moins à ses débuts, avait une orientation empirique et pragmatique puisque les chercheurs étaient amenés à témoigner au tribunal pour ou contre les revendications autochtones (Harkin 2010). Les ethnohistoriens apprirent d’ailleurs à ce moment à travailler pour et avec les autochtones. Les recherches visaient une compréhension plus juste et plus holiste de l’histoire des peuples autochtones et des changements dont ils firent l’expérience. Elles ne manquèrent cependant pas de provoquer un certain scepticisme parmi les anthropologues « de terrain » pour qui rien ne valait la réalité du contact et les sources orales et pour qui les archives, parce qu’étant celles du colonisateur, étaient truffées de mensonges et d’incompréhensions (Trigger 1982 : 5). Ce scepticisme s’estompa à mesure que l’on prit conscience de l’importance d’une compréhension du contexte historique et de l’histoire coloniale plus générale pour pouvoir faire sens des données ethnologiques et archéologiques. L’ethnohistoire a particulièrement fleuri en Amérique du Nord, mais très peu en Europe (Harkin 2010; Trigger 1982). On retrouve une tradition importante d’ethnohistoriens au Québec, qu’on pense aux Bruce Trigger, Toby Morantz, Rémi Savard, François Trudel, Sylvie Vincent. L’idée est de combiner des données d’archives et des données archéologiques avec l’abondante ethnographie. Il s’agit également de prendre au sérieux l’histoire ou la tradition orale et de confronter les analyses historiques à l’interprétation qu’ont les acteurs de l’histoire coloniale et de son impact sur leurs vies. La perspective se fit de plus en plus émique au fil du temps, une attention de plus en plus grande étant portée aux sujets. Le champ de recherche attira graduellement plus d’historiens. La fin des années 1960 fut le moment de la grande rencontre entre l’anthropologie et l’histoire avec la naissance, en France, de l’« anthropologie historique » ou « nouvelle histoire » et, aux États-Unis, de la « New Cutural History ». L’attention passa des structures et des processus aux cultures et aux expériences de vie des gens ordinaires. La troisième génération des Annales fut au cœur de ce rapprochement : tout en prenant ses distances avec la « religion structuraliste » (Burguière 1999), la fascination pour l’anthropologie était toujours présente, produisant un déplacement d’une histoire économique et démographique vers une histoire culturelle et ethnographique. Burguière (1999) décrivait cette histoire comme celle des comportements et des habitudes, marquant un retour au concept de « mentalité » de Bloch. Les inspirations pour élargir le champ des problèmes posés furent multiples, en particulier dans les champs de l’anthropologie de l’imaginaire et de l’idéologique, de la parenté et des mythes (pensons aux travaux de Louis Dumont et de Maurice Godelier, de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier). Quant à la méthode, la description dense mise en avant par Clifford Geertz (1973), la microhistoire dans les traces de Carlo Ginzburg (1983) et l’histoire comparée des cultures sous l’influence de Jack Goody (1979 [1977]) permirent un retour de l’événement et du sujet, une attention aux détails qui rejoignit celle qu’y accordait l’ethnographie, une conception plus dynamique des rapports sociaux et une réinterrogation des généralisations sur le long terme (Bensa 2010 : 49 ; Schmitt 2008). Aux États-Unis, la « New Culturel History » qui s’inscrit dans les mêmes tendances inclut les travaux d’historiens comme Robert Darnon, Natalie Zemon Davis, Dominick La Capra (Iggers 1997; Krech 1991; Harkin 2010). L’association de l’histoire et de l’anthropologie est souvent vue comme ayant été pratiquée de manière exemplaire par Nathan Wachtel, historien au sens plein du terme, mais également formé à l’anthropologie, ayant suivi les séminaires de Claude Lévi-Strauss et de Maurice Godelier (Poloni-Simard et Bernand 2014 : 7). Son ouvrage La Vision des vaincus : les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570 qui parut en 1971 est le résultat d’un va-et-vient entre passé et présent, la combinaison d’un travail en archives avec des matériaux peu exploités jusque-là, comme les archives des juges de l’Inquisition et les archives administratives coloniales, et de l’enquête de terrain ethnographique. Cet ouvrage met particulièrement en valeur la capacité d’agir des Autochtones dans leur rapport avec les institutions et la culture du colonisateur. Pour se faire, il appliqua la méthode régressive mise en avant par Marc Bloch, laquelle consiste à « lire l’histoire à rebours », c’est-à-dire à « aller du mieux au moins bien connu » (Bloch 1931 : XII). Du côté des anthropologues, l’anthropologie historique est un champ de recherche en effervescence depuis les années 1980 (voir Goody 1997 et Naepels 2010 pour une recension des principaux travaux). Ce renouveau prit son essor notamment en réponse aux critiques à propos de l’essentialisme, du culturalisme, du primitivisme et de l’ahistoricisme (voir Fabian 2006 [1983]; Thomas 1989; Douglas 1998) de la discipline anthropologique aux prises avec une « crise de la représentation » (Said 1989) dans un contexte plus large de décolonisation qui l’engagea dans un « tournant réflexif » (Geertz 1973; Clifford et Marcus 1986; Fisher et Marcus 1986). Certains se tournèrent vers l’histoire en quête de nouvelles avenues de recherche pour renouveler la connaissance acquise par l’ethnographie en s’intéressant, d’un point de vue historique, aux dynamiques sociales internes, aux régimes d’historicité et aux formes sociales de la mémoire propres aux groupes auprès desquels ils travaillaient (Naepels 2010 : 877). Les anthropologues océanistes participèrent grandement à ce renouveau en discutant de la nécessité et des possibilités d’une anthropologie historiquement située (Biersack 1991; Barofsky 2000; Merle et Naepels 2003) et par la publication de plusieurs monographies portant en particulier sur la période des premiers contacts entre sociétés autochtones et Européens et les débuts de la période coloniale (entre autres, Dening 1980; Sahlins 1981, 1985; Valeri 1985; Thomas 1990). L’ouvrage maintenant classique de Marshall Sahlins, Islands of History (1985), suscita des débats vigoureux qui marquèrent l’histoire de la discipline anthropologique à propos du relativisme en anthropologie, de l’anthropologie comme acteur historique, de l’autorité ethnographique, de la critique des sources archivistiques, des conflits d’interprétation et du traitement de la capacité d’agir des populations autochtones au moment des premiers contacts avec les Européens et, plus largement, dans l’histoire (pour une synthèse, voir Kuper 2000). Pour ce qui est de la situation coloniale, le 50e anniversaire de la publication du texte fondateur de Balandier de 1951, au début des années 2000, fut l’occasion de rétablir, approfondir et, dans certains cas, renouveler le dialogue non seulement entre anthropologues et historiens, mais également, entre chercheurs français et américains. Les nouvelles études coloniales qui sont en plein essor invitent à une analyse méticuleuse des situations coloniales d’un point de vue local de façon à en révéler les complexités concrètes. On y insiste aussi sur l’importance de questionner les dichotomies strictes et souvent artificielles entre colonisateur et colonisé, Occident et Orient, Nord et Sud. Une attention est aussi portée aux convergences d’un théâtre colonial à un autre, ce qui donne une nouvelle impulsion aux analyses comparatives des colonisations (Sibeud 2004: 94) ainsi qu’au besoin de varier les échelles d’analyse en établissant des distinctions entre les dimensions coloniale et impériale (Bayart et Bertrand 2006; Cooper et Stoler 1997; Singaravélou 2013; Stoler, McGranahn et Perdue 2007) et en insérant les histoires locales dans les processus de globalisation, notamment économique et financière, comme l’ont par exemple pratiqué les anthropologues Jean et John Comaroff (2010) sur leur terrain sud-africain. Ce « jeu d’échelles », représente un défi important puisqu’il force les analystes à constamment franchir les divisions persistantes entre aires culturelles (Sibeud 2004: 95). Ce renouveau a également stimulé une réflexion déjà amorcée sur l’usage des archives coloniales ainsi que sur le contexte de production et de conservation d’une archive (Naepels 2011; Stoler 2009), mais également sur les legs coloniaux dans les mondes actuels (Bayart et Bertrand 2006; De l’Estoile 2008; Stoler 2016)
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Marie-Pier, Girard. « Enfance ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.109.

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Résumé :
L’origine des études contemporaines de l’enfance remonte à l’ouvrage L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960) dans lequel l’auteur, Philippe Ariès, expliqua qu’à l’époque médiévale le sentiment de l’enfance, soit la conscience de la particularité enfantine, n’existait pas (Ariès 1960 : 134; Stephens 1995 : 5). En exposant qu’au Moyen-âge les plus jeunes ne jouissaient pas d’un statut spécial, distinctif, c’est-à-dire qu’ils étaient traités comme de petits adultes, cet ouvrage montra le caractère socialement construit de l’enfance. Si la thèse constructiviste de Philippe Ariès a permis de révéler que la conception de l’enfance qui prévaut aujourd’hui est historiquement spécifique, les travaux d’anthropologues tels que Margaret Mead avaient déjà mis en évidence le rôle déterminant de la culture dans la configuration des enfances à travers le monde (Mead 1932 ; Montgomery 2008b : 22-23). En fait, ces contributions ont montré que la façon d’envisager et d’encadrer l’enfance varie considérablement selon les époques et les contextes socioculturels et qu’incidemment, celle-ci ne peut se voir abordée comme un descripteur non problématique d’une phase biologique et naturelle (James et James 2001 : 27). Ainsi, la définition naturalisée et normative de l’enfance qui se voit actuellement globalisée ne constitue qu’une représentation particulière des premières années de l’existence humaine, une représentation qui fut construite à partir d’expériences spécifiques pouvant être situées localement. La définition dominante de l’enfance qui admet l’âge comme critère primordial de division a émergé au début du XIXe siècle alors que s’est mise en branle dans les sociétés occidentales une exploration systématique de l’enfance, notamment menée par la psychologie, la biologie, les sciences de l’éducation et la sociologie (Ariès 1960; Archard 1993 : 30). Ces savoirs ont décrit une enfance ontologiquement distincte et séparée de l’âge adulte, un stade crucial et formatif dans ce qui fut appelé le développement de l’être humain. La constitution de cette vision de l’enfance qui insiste sur les besoins de protection des plus jeunes, sur leur vulnérabilité et sur leur innocence, est aussi rattachée aux bouleversements complexes et contradictoires survenus en Occident durant le XXe siècle au moment où des attentes élevées quant au bien-être des enfants ont côtoyé la réalité dévastatrice de la guerre (Fass 2011 : 17). En effet, les progrès scientifiques de l’époque (par exemple l’antisepsie, la vaccination, des méthodes contraceptives plus efficaces), la préoccupation des gouvernements au sujet de la santé publique et leur instrumentalisation de l’enfance à des fins nationalistes ont donné lieu aux premiers programmes et législations visant spécifiquement les enfants. La scolarisation, rendue obligatoire dans presque tout le monde occidental, devint alors le moyen de prédilection pour étendre les bénéfices des progrès scientifiques aux enfants défavorisés et pour établir de nouveaux standards d’alphabétisation, de bien-être infantile, d’hygiène et de nutrition. Ainsi, l’école s’institua comme le lieu privilégié de l’enfance, mais aussi comme l’alternative salutaire au travail et aux rues. L’attention sur les jeunes esprits éduqués et les petits corps sains n’occupait pas uniquement l’espace public, elle pénétra aussi la sphère privée où les parents s’intéressaient de plus en plus au potentiel individuel de leur enfant et à son épanouissement (Fass 2011 : 21). Alors que l’enfance était devenue moins risquée, davantage protégée, mieux nourrie et qu’un nouvel attachement sentimental à celle-ci s’était développé, des images terribles d’enfants fusillés puis affamés lors de la Première Guerre Mondiale bouleversèrent l’Occident. Cette confluence d’une émotivité naissante envers les plus jeunes, de leur visibilité croissante et de leur victimisation durant la guerre, a constitué le cadre initial d’un engagement envers un idéal international de protection de l’enfance (Fass 2011 : 22). Quand plus tard, la Seconde Guerre Mondiale exposa un paysage d’une destruction et d’une horreur encore plus grandes dans lequel les enfants, désormais emblèmes de la vulnérabilité, périrent par millions, la nécessité de proclamer une charte consacrant juridiquement la notion de droits de l’enfant devint évidente. Adoptée par les Nations unies en 1959, la Déclaration des droits de l’enfant servit de fondement à la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 (CRDE) (de Dinechin 2006 : 19). Transformant les droits déjà proclamés en 1959 en un instrument légalement contraignant sur le plan international, la CRDE est devenue la traduction dans le monde de l’enfance de la promotion de la philosophie des droits de la personne, et sa cible, l’enfant, un sujet de droits défini par son âge (de Dinechin 2006 : 19-20). La CRDE, aujourd’hui le document historique global le plus acclamé, établit que certains principes fondamentaux doivent universellement et indistinctement s’appliquer à tous les enfants au-delà des différences ethniques, de religion, de culture, de statut économique et de genre. Même si elle accepte certaines particularités locales, la CRDE transmet une vision de ce que devrait être l’enfance à travers le monde en faisant appel à un idéal défini en Occident à partir de ses catégories culturelles et construit à partir de ses propres savoirs. Alors, les paramètres structurants de la conception occidentale des premières années de l’existence humaine, soit l’âge, l’innocence, l’asexualité, la vulnérabilité, l’incompétence, la sacralité de l’enfance, l’école et le jeu, ont été essentialisés et institués comme les propriétés paradigmatiques de toute enfance (Meyer 2007 : 100). Par conséquent, les enfances « autres », qui s’écartent de cette définition, doivent être transformées par des interventions menées par des adultes. C’est dans ce contexte d’universalisation d’un idéal occidental, de développement de l’enfance en domaine de pensée et d’intervention, mais aussi de prolifération d’images et de témoignages d’enfants dont les vies sont plus que jamais marquées par les inégalités sociales, l’abus et les violences, que se situe le regard anthropologique contemporain posé sur les enfants. Ainsi, une des questions essentielles qui habite cette anthropologie est : comment réconcilier un regard fondamentalement critique du discours et des pratiques liés aux droits de l’enfant avec une approche engagée face à ce même régime des droits, qui reconnaît, rend visible et dénonce les violations bien réelles que subissent les enfants au quotidien (Goodale 2006 : 1) ? Un retour sur les travaux anthropologiques révèle que des références à l’enfance et aux enfants y sont souvent présentes, mais pas toujours de manière explicite et généralement, celles-ci visaient à éclairer la recherche sur d’autres thèmes ou à mieux appréhender l’univers des adultes. D’ailleurs, dès les premiers écrits en anthropologie, l’enfant est apparu aux côtés du « primitif » pour expliquer le développement socioculturel et moral, le passage à l’âge adulte représentant l’équivalent de la transition de l’état sauvage à la civilisation (Montgomery 2008b : 18). Néanmoins, certains anthropologues dont Franz Boas (1858-1942), considéré comme le précurseur de la recherche ethnographique sur l’enfance aux États-Unis, puis Margaret Mead (1901-1978), ont contesté le déterminisme biologique en plus de placer réellement les enfants à l’agenda anthropologique (Levine 2007 : 249). Dans le cas de Margaret Mead, elle demeure une des premières anthropologues à avoir pris les enfants au sérieux et à avoir confronté les postulats universels des savoirs sur le développement humain, et à ce titre, elle a largement inspiré l’anthropologie contemporaine de l’enfance (Mead 1932 ; Montgomery 2008b : 22-23). L’idée d’une véritable anthropologie de l’enfance a été soulevée dès 1973 par Charlotte Hardman qui critiquait le regard jusque là porté sur les enfants, un regard qui les envisageait le plus souvent comme les simples spectateurs d’un monde adulte qu’ils assimilaient passivement (Hardman 1973 citée dans Montgomery 2008b : 38). Charlotte Hardman a fait valoir que les univers des enfants constituaient des objets d’étude valables qui permettaient de révéler des aspects de la vie sociale ignorés par les ethnographies conventionnelles, mais surtout, elle souligna l’importance de considérer leurs points de vue : « children [are] people to be studied in their own right » (Hardman 2001 : 516). Devenue axiomatique et reprise par nombre d’anthropologues depuis les années 1970, cette citation posait les jalons d’une nouvelle anthropologie de l’enfance dans laquelle les enfants devenaient les meilleurs informateurs de leur propre vie. Une telle anthropologie centrée sur l’enfant a impliqué un changement de paradigme, soit un déplacement d’une compréhension des vies des enfants exclusivement basée sur les critères des adultes vers une prise en compte des interprétations, des négociations, des réappropriations et des réinventions des enfants eux-mêmes. Au cours des dernières années, de nombreuses recherches anthropologiques se sont inscrites dans cette perspective et ont fait valoir l’importance de reconnaître les enfants en tant que véritables acteurs sociaux activement impliqués dans le façonnement de l’enfance et du monde qui les entoure (voir Hecht 1998 ; Scheper-Hughes et Sargent 1998 ; Bluebond-Langner et Korbin 2007 ; Levine 2007 ; Montgomery 2008a). À l’heure actuelle, l’enfance en tant que champ d’étude en anthropologie se définit dans un premier temps comme un espace générationnel dans lequel les garçons et les filles construisent leurs trajectoires et négocient leurs pratiques face aux processus historiques, économiques, politiques et culturels. Si l’enfance renvoie à l’expérience de celle-ci par les sujets anthropologiques, une expérience entre autres différenciée par le genre, elle constitue aussi un champ de pensée et d’action qui englobe l’ensemble des représentations, pratiques, savoirs, doctrines, institutions, politiques et interventions qui lui sont rattachés dans un contexte donné. D’ailleurs, dans un même pays, plusieurs visions concurrentes des premières années de l’existence humaine peuvent coexister, par exemple en fonction des différentes classes sociales ou de l’appartenance ethnique, donnant lieu à des discours et à des pratiques divergentes; produisant des mondes enfantins différenciés. L’anthropologie contemporaine de l’enfance porte donc sur cette hétérogénéité des expériences et des conceptions socioculturelles de l’enfance et sur la variabilité de ses usages politiques, idéologiques et sociaux (Scheper-Hughes et Sargent 1998). Si elle se consacre à dépeindre cette diversité, l’anthropologie actuelle témoigne aussi de plus en plus des similarités dans les manières par lesquelles les structures économiques et politiques affectent les vies des jeunes personnes dans un monde de plus en plus instable et polarisé. La CRDE constitue à ce titre l’effort le plus notoire de définition des similarités de l’enfance; ce faisant, elle a constitué les enfants en un groupe ciblé par un même agenda global, à qui l’on assigne certaines caractéristiques identitaires communes et pour lesquels on prescrit des interventions analogues. D’ailleurs, la pénétration de constructions culturelles et formations discursives hégémoniques dans différents contextes donne bien souvent lieu à une redéfinition des enfances et des rôles et responsabilités des garçons et des filles. En somme, dans le cadre d’une anthropologie contemporaine, il s’agit d’analyser la complexité des réalités mondialisées des plus jeunes et les reconfigurations constantes du champ de l’enfance qui s’opèrent, de continuer de problématiser les savoirs, postulats et définitions globalisés qui ont acquis le statut de vérités, et ce, tout en confrontant les relativismes culturels qui sont mobilisés pour justifier les abus et les violences qui s’exercent contre les enfants.
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Gagnon, Éric. « Care ». Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.031.

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Résumé :
Les années 1980 ont vu l'émergence, en philosophie, d’une éthique du care, qui n’a cessé de se développer et de gagner en importance. En rupture avec les conceptions kantiennes et rationalistes de la vie morale, cette éthique féministe met au centre de l’expérience morale la dépendance et le souci de l’autre, plutôt que la liberté et le détachement. Loin d’être des entités séparées, les individus dépendent des autres pour la satisfaction de besoins vitaux, et ce tout au long de leur vie, même s’ils le sont davantage à certains moments (naissance, maladie). Par delà leurs différences, les théoriciennes du care mettent au centre des discussions sur la justice et l’éthique la responsabilité à l’égard des personnes dépendantes et vulnérables, ainsi que le fait de prendre soin des autres (Paperman et Laugier, 2011). Le care désigne l’ensemble des gestes et des paroles essentielles visant le maintien de la vie et de la dignité des personnes, bien au-delà des seuls soins de santé. Il renvoie autant à la disposition des individus – la sollicitude, l’attention à autrui – qu’aux activités de soin – laver, panser, réconforter, etc. –, en prenant en compte à la fois la personne qui aide et celle qui reçoit cette aide, ainsi que le contexte social et économique dans lequel se noue cette relation. L’émergence de ce courant philosophique coïncide avec trois grands phénomènes sociaux et intellectuels. D’abord, l’accès grandissant des femmes au marché du travail, et la remise en cause de la division sexuelle du travail, qui conduisent les historiens et les anthropologues à s’intéresser aux tâches et aux métiers traditionnellement féminins (Loux, 1983), dont le travail domestique de soin ou les professions soignantes (infirmières, auxiliaires de soin). L’essor des recherches et des théories du care est ensuite lié au vieillissement de la population dans les sociétés occidentales, et aux préoccupations grandissantes touchant l’aide et les soins aux personnes âgées et dépendantes, plus nombreuses et vivant plus longtemps (Buch, 2015). Enfin, ces recherches et théories sont nourries par les débats sur l’assistance publique, la capacité de l’État-providence à prendre en charge les personnes vulnérables et à en décharger les familles (France, Canada), la situation de dépendance, négativement perçue, dans laquelle se trouvent ceux qui donnent et ceux qui reçoivent l’assistance (États-Unis). Les travaux sur le care mettent en évidence le fait que la responsabilité du soin aux autres revient davantage à certaines catégories sociales (les femmes, les groupes les plus démunis ou subordonnés comme les immigrants ou les pauvres). Un souci traverse et anime l’éthique du care : revaloriser les activités de soins, dont l’importance est ignorée et les savoirs déniés, du fait de leur association à des groupes d’un bas statut social ; dénoncer du même coup la manière dont les plus riches s’en déchargent sur les plus pauvres et les plus vulnérables, tout en ignorant ou oubliant leur dépendance à leur égard (Kittey et Feder, 2003). L’éthique du care ne peut manquer d’intéresser les anthropologues, qui peuvent y retrouver plusieurs de leurs interrogations et préoccupations. Premièrement, cette éthique remet en question un certain idéal du sujet, dominant en Occident, conçu comme un individu indépendant, délié de toute attache lorsqu’il fait ses choix. Les théories du care mettent en évidence sa profonde et naturelle dépendance aux autres pour la satisfaction de ses besoins primordiaux. Dans ces théories, comme en anthropologie, le sujet est le produit des rapports sociaux, il n’est compréhensible que replacé dans ces rapports généralement asymétriques. L’incomplétude de l’individu est posée dès le départ : se croire indépendant, c’est ne pas voir ses dépendances. S’il est possible de réduire sa dépendance, ce n’est qu’au bout d’un apprentissage, à l’intérieur de certains rapports sociaux et, paradoxalement, avec le soutien des autres. Deuxièmement, dans l’éthique du care, le jugement moral n’exige pas de s’abstraire de sa situation, de se libérer de toute passion et sentiment, mais plutôt, à partir de son expérience, de sa propre histoire et de la relation que l’on entretient avec l’autre, de chercher à comprendre son point de vue et sa situation. On se trouve là très proche de la démarche et de la compréhension ethnographique, fondée sur la relation que l’ethnologue entretient avec ceux qu’il étudie et dont il cherche à saisir le point de vue. Troisièmement, l’éthique du care attire l’attention sur des réalités négligées, oubliées ou dévalorisées ; elle conduit à une réévaluation de ce qui est précieux (Tronto, 1993). Comme l’anthropologie très souvent, elle s’intéresse à ce qui passe inaperçu ou demeure méconnu, mais aussi aux activités quotidiennes, en apparence banales, à ce qui s’exprime moins par des mots que par des gestes, dans les corps et les interactions, dont elle dévoile la richesse, la complexité, la signification et l’importance. Comme l’anthropologie, elle fait entendre des voix différentes, elle permet d’élargir le point de vue, de dépasser une vision dominante ou coutumière des choses. Quatrièmement, les recherches et les théories du care supportent une critique des inégalités et des rapports de domination, jusque dans la sphère privée. Elles s’interrogent sur le pouvoir qui s’exerce au sein de la relation d’aide et du lien affectif. Elles dénoncent les conditions de vie et la situation d’indignité dans laquelle se trouvent certaines personnes dépendantes (handicapées, âgées, seules, démunies), mais également les conditions de travail de celles et ceux qui apportent l’aide et les soins, et l’exploitation dont elles sont l’objet (travailleuses immigrantes, domestiques et femmes de ménage). Elles replacent ces rapports de domination au sein des rapports sociaux de sexe et des relations raciales, mais aussi dans les rapports entre les pays riches et les pays pauvres, comme le font les anthropologues. Enfin, cinquièmement, l’éthique du care conduit à une critique de la naturalisation de certaines dispositions et attitudes attribuées aux femmes : compassion, souci de l’autre, dévouement, oubli de soi. Ces dispositions et attitudes ne sont pas propres aux femmes, mais socialement et culturellement distribuées. Elles ne doivent pas être valorisées en les extrayant du contexte matériel et politique dans lequel elles s’expriment, au risque de renforcer les hiérarchies sociales et les injustices. Pareille critique est également menée par l’anthropologie, en montrant la relativité culturelle des dispositions et attitudes. Si l’anthropologie peut apprendre beaucoup de l’éthique du care, elle peut aussi apporter sa contribution aux débats sur le prendre soin, à partir de sa propre perspective et de ses méthodes : en décrivant et analysant les pratiques, les savoir-faire, l’organisation domestique, les institutions qui fournissent des services ; en prêtant attention aux gestes et aux rituels, aux expérience sensorielles, où la raison et les émotions, le sensible et l’intelligible ne se séparent pas (Buch, 2013); en comparant les pratiques et les situations entre différents pays et différentes époques, différents milieux socioéconomiques et différentes cultures, afin de montrer les constantes et les différences (Kaufman et Morgan, 2005); en sortant du monde occidental et en élargissant la perspective (l’éthique du care demeurant encore très marquée par la culture et les valeurs nord-américaines) ; en inscrivant le care et les pratiques de soins, non seulement dans les rapports sociaux et économiques, mais dans l’ensemble des systèmes symboliques, qui relient les individus entre eux, et qui tissent des correspondances entre les différentes dimensions de leur expérience, entre les âges de la vie, le passé et le présent, les gestes et les croyances, le corps et l’imaginaire (Verdier, 1979). L’anthropologie sera attentive au travail de la culture, au processus par lequel des expériences sont inscrites dans la culture par le biais de symboles, à la poétique des gestes et des paroles, à ce qui cherche à se dire et à s’exprimer, ainsi qu’aux résistances et à la distance que le soignant ou le soigné prend avec le groupe, ses valeurs et ses normes, à sa capacité de faire entendre autre chose, de faire voir d’autres dimensions de l’expérience (Saillant, 2000). Le care et le prendre soin ne forment pas un domaine spécifique de recherche, une anthropologie spécialisée à côté de l’anthropologie de la maladie, l’anthropologie de la famille et l’anthropologie du genre. Ce sont moins des «objets» d’étude, qu’une manière d’examiner des réalités multiples et variées. Faire de l’anthropologie du care et du prendre soin, c’est opérer un déplacement d’attention de la médecine vers les activités domestiques et quotidiennes, des savoirs scientifiques et techniques vers les arts de faire plus discrets, mais nécessitant tout autant un apprentissage, de l’intelligence et de la créativité, et reposant sur des savoirs. C’est également un moyen d’ouvrir l’anthropologie à des débats sociaux contemporains. Mais c’est aussi revenir par un autre chemin à la question anthropologique de l’articulation du biologique et du culturel, la manière dont le corps est culturellement investi, traversé de significations, façonné et transformé par les sociétés, la manière dont les faits naturels de la naissance, de la maladie et de la mort sont transformés en expériences humaines, inscrits dans un monde social spécifique et une conjoncture historique particulière (Saillant et Gagnon, 1999). Faire de l’anthropologie des soins, c’est ainsi reprendre à de nouveaux frais la question générale de l’articulation entre reproduction biologique et reproduction sociale.
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Dutrait, Claire. « Les arts de l’attention : une catharsis pour les temps extrêmes ». Fabula-LhT : littérature, histoire, théorie, no 27 (7 décembre 2021). http://dx.doi.org/10.58282/lht.2851.

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Resume :Dans son enquête anthropologique Le Champignon de la fin du monde, Anna Tsing présente les arts of noticing comme ce qui fonde sa démarche tout en se refusant à les théoriser. Ils ne se donnent à lire qu’en filigrane le long de son récit. En ce qu’ils recouvrent toute une série de pratiques (arts) pour observer (noticing), décrire (noticing), remarquer (noticing), se rendre attentifs à (noticing), considérer (noticing) et rendre remarquables (noticing) les attachements que nous avons avec la chose terrestre, ces arts de l’attention brouillent les limites entre sciences et arts, entre sciences humaines et sciences naturelles, entre art et techniques, entre attention politique et attention religieuse. Mettant en œuvre une poétique de la perturbation pour saisir l’ébranlement que connait notre monde dans les temps extrêmes, le récit d’Anna Tsing travaille à purger la terreur et la pitié qui nous saisissent face à l’incertitude de notre situation. Expérience scientifique, esthétique, sociale et politique, la lecture de l’enquête opère une catharsis et renouvelle l’art du récit pour mieux nous lier au terrestre.
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Cortado, Thomas Jacques. « Maison ». Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.131.

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Le champ sémantique de la maison imprègne nos perceptions individuelles et collectives du monde comme peu d’autres. Il suffit de songer à la distinction très marquée entre house et home en anglais, si difficile à retranscrire dans nos langues latines, ou encore aux usages politiques de l’expression « chez nous » en français. Ce champ renvoie à des lieux souvent riches d’affects, de mémoires et de désirs, qui nous définissent en propre et orientent nos perceptions du temps et de l’espace. Ils font d’ailleurs la matière des poètes, peintres et autres artistes. À cet égard, lorsque nous perdons notre maison, nous ne nous retrouvons pas seulement privés d’un bien utile et échangeable, d’un « logement », nous voyons aussi s’effacer une partie de nous-mêmes et le centre à partir duquel s’organise notre existence quotidienne. En dépit de sa densité, les anthropologues ont d’abord rabattu le thème de la maison sur ceux de la famille et de la culture matérielle. Pour Lewis H. Morgan, la forme de l’espace domestique ne fait qu’épouser un certain type d’organisation familiale; elle en est, pour ainsi dire, le révélateur (1877). À la « hutte » des « sauvages » correspond donc la famille consanguine, qui autorise le mariage entre cousins, alors qu’à la « maison commune » des « barbares » correspond la famille patriarcale, autoritaire et polygame. Les « maisons unifamiliales » de l’Occident contemporain renvoient à la famille nucléaire, fondement de la « civilisation ». Quant aux anthropologues davantage intéressés par l’architecture et les artefacts domestiques, leurs analyses consistent souvent à expliquer leur genèse en accord avec une vision évolutionniste du progrès technique ou par des facteurs géographiques. On aurait pu s’attendre à ce que l’invention de l’ethnographie par Bronislaw Malinowski ouvre de nouvelles perspectives. Avec elle, c’est en effet un certain rapport à la maison qui se met à définir le métier d’anthropologue, celui-là même qu’exemplifie la célèbre représentation de ce dernier sous sa tente, immortalisée dans la première planche photographique des Argonautes du Pacifique occidental. Pour autant, la maison reste un objet secondaire par rapport à l’organisation de la vie familiale, le vrai principe de la société. Elle est avant tout le lieu où le couple choisit de résider après le mariage et ce choix se plie à certaines « règles », dont on peut assez facilement faire l’inventaire, grâce aux liens de filiation entre les membres du couple et les autres résidents (Murdock 1949). On parlera, par exemple, de résidence « matrilocale » quand le couple emménage chez les parents de l’épouse, « patrilocale » dans le cas inverse. Quant aux sociétés occidentales, où le couple forme habituellement un nouveau ménage, on parlera de résidence « néolocale ». La critique de ces règles permet, dans les années 1950 et 1960, d’étendre la réflexion sur la maison. Face aux difficultés concrètes que pose leur identification, Ward Goodenough suggère d’abandonner les taxinomies qui « n’existent que dans la tête des anthropologues » et de « déterminer quels sont, de fait, les choix résidentiels que les membres de la société étudiée peuvent faire au sein de leur milieu socioculturel particulier » (1956 : 29). Autrement dit, plutôt que de partir d’un inventaire théorique, il faut commencer par l’étude des catégories natives impliquées dans les choix résidentiels. La seconde critique est de Meyer Fortes, qui formule le concept de « groupe domestique », « unité qui contrôle et assure l’entretien de la maison (householding and housekeeping unit), organisée de façon à offrir à ses membres les ressources matérielles et culturelles nécessaires à leur conservation et à leur éducation » (1962 : 8). Le groupe domestique, à l’instar des organismes vivants, connaît un « cycle de développement ». En Europe du sud, par exemple, les enfants quittent le domicile parental lorsqu’ils se marient, mais y reviennent en cas de rupture conjugale ou de chômage prolongé ; âgés, les parents souvent cherchent à habiter près de leurs enfants. En conséquence, « les modèles de résidence sont la cristallisation, à un moment donné, d’un processus de développement » (Fortes 1962 : 5), et non l’application statique de règles abstraites. La maison n’est donc pas seulement le lieu où réside la famille, elle est nécessaire à l’accomplissement de tâches indispensables à la reproduction physique et morale des individus, telles que manger, dormir ou assurer l’éducation des nouvelles générations (Bender 1967). Cette conception du groupe domestique rejoint celle qu’avait formulée Frédéric Le Play un siècle auparavant : pour l’ingénieur français, il fallait placer la maison au centre de l’organisation familiale, par la défense de l’autorité paternelle et la transmission de la propriété à un héritier unique, de façon à garantir la stabilité de l’ordre social (1864). Elle exerce de fait une influence considérable sur les historiens de la famille, en particulier ceux du Cambridge Group for the History of Population and Social Structure, dirigé par Peter Laslett (1972), et sur les anthropologues (Netting, Wilk & Arnould 1984), notamment les marxistes (Sahlins 1976). En Amérique latine, de nombreuses enquêtes menées dans les années 1960 et 1970 mettent en évidence l’importance des réseaux d’entraide, attirant ainsi l’attention sur le rôle essentiel du voisinage (Lewis 1959, Lomnitz 1975). La recherche féministe explore quant à elle le caractère genré de la répartition des tâches au sein du groupe domestique, que recoupe souvent la distinction entre le public et le privé : à la « maîtresse de maison » en charge des tâches ménagères s’oppose le « chef de famille » qui apporte le pain quotidien (Yanagisako 1979). Un tel découpage contribue à invisibiliser le travail féminin (di Leonardo 1987). On remarquera néanmoins que la théorie du groupe domestique pense la maison à partir de fonctions établies par avance : ce sont elles qui orientent l’intérêt des anthropologues, plus que la maison en elle-même. C’est à Claude Lévi-Strauss que l’on doit la tentative la plus systématique de penser la maison comme un principe producteur de la société (1984 ; 2004). Celui-ci prend pour point de départ l’organisation sociale de l’aristocratie kwakiutl (Amérique du Nord), telle qu’elle avait été étudiée par Franz Boas : parce qu’elle présentait des traits à la fois matrilinéaires et patrilinéaires, parce qu’elle ne respectait pas toujours le principe d’exogamie, celle-ci défiait les théories classiques de la parenté. Lévi-Strauss propose de résoudre le problème en substituant le groupe d’unifiliation, tenu pour être au fondement des sociétés dites traditionnelles, par celui de « maison », au sens où l’on parlait de « maison noble » au Moyen Âge. La maison désigne ainsi une « personne morale détentrice d’un domaine, qui se perpétue par transmission de son nom, de sa fortune et de ses titres en ligne réelle ou fictive » (Lévi-Strauss 1984 : 190). Plus que les règles de parenté, ce sont les « rapports de pouvoir » entre ces « personnes morales » qui déterminent les formes du mariage et de la filiation : celles-ci peuvent donc varier en accord avec les équilibres politiques. Lévi-Strauss va ensuite généraliser son analyse à un vaste ensemble de sociétés apparemment cognatiques, qu’il baptise « sociétés à maison ». Celles-ci se situeraient dans une phase intermédiaire de l’évolution historique, « dans un état de la structure où les intérêts politiques et économiques tend[ent] à envahir le champ social » (Lévi-Strauss 1984 : 190). Très discuté par les spécialistes des sociétés concernées, ce modèle a eu la grande vertu de libérer l’imagination des anthropologues. Critiquant son évolutionnisme sous-jacent, Janet Carsten et Stephen Hugh-Jones (1995) proposent toutefois d’approfondir la démarche de Lévi-Strauss, en considérant la maison comme un véritable « fait social total ». L’architecture, par exemple, ne relève pas que d’une anthropologie des techniques : celle de la maison kabyle, analysée par Pierre Bourdieu, met en évidence un « microcosme organisé selon les mêmes oppositions et mêmes homologies qui ordonnent tout l’univers » (1972 : 71), un parallélisme que l’on retrouve dans de nombreux autres contextes socioculturels (Hamberger 2010). Fondamentalement, la maison relève d’une anthropologie du corps. Dans son enquête sur la parenté en Malaisie, Carsten souligne le rôle joué par la cuisine ou le foyer, en permettant la circulation des substances qui assurent la production et la reproduction des corps (alimentation, lait maternel, sang) et leur mise en relation, ce que Carsten appelle la « relationalité » (relatedness) (1995). Fait dynamique plutôt que statique, la maison nous met directement au contact des processus qui forment et reforment nos relations et notre personne : son étude permet donc de dépasser la critique culturaliste des travaux sur la parenté; elle nous montre la parenté en train de se faire. Il convient aussi de ne pas réduire la maison à ses murs : celle-ci le plus souvent existe au sein d’un réseau. Les enquêtes menées par Émile Lebris et ses collègues sur l’organisation de l’espace dans les villes d’Afrique francophone proposent ainsi le concept de « système résidentiel » pour désigner « un ensemble articulé de lieux de résidences (unités d’habitation) des membres d’une famille étendue ou élargie » (Le Bris 1985 : 25). Ils distinguent notamment entre les systèmes « centripètes », « de concentration en un même lieu d’un segment de lignage, d’une famille élargie ou composée » et les systèmes « centrifuges », de « segmentation d’un groupe familial dont les fragments s’installent en plusieurs unités résidentielles plus ou moins proches les unes des autres, mais qui tissent entre elles des liens étroits » (Le Bris 1985 : 25). Examinant les projets et réseaux que mobilise la construction d’une maison dans les quartiers noirs de la Bahia au Brésil, les circulations quotidiennes de personnes et d’objets entre unités domestiques ainsi que les rituels et fêtes de famille, Louis Marcelin en déduit lui aussi que la maison « n’est pas une entité isolée, repliée sur elle-même. La maison n’existe que dans le contexte d’un réseau d’unités domestiques. Elle est pensée et vécue en interrelation avec d’autres maisons qui participent à sa construction – au sens symbolique et concret. Elle fait partie d’une configuration » (Marcelin 1999 : 37). À la différence de Lebris, toutefois, Marcelin part des expériences individuelles et des catégories socioculturelles propres à la société étudiée : une « maison », c’est avant tout ce que les personnes identifient comme tel, et qui ne correspond pas nécessairement à l’image idéale que l’on se fait de cette dernière en Occident. « La configuration de maisons rend compte d’un espace aux frontières paradoxalement floues (pour l'observateur) et nettes (pour les agents) dans lequel se déroule un processus perpétuel de création et de recréation de liens (réseaux) de coopération et d'échange entre des entités autonomes (les maisons) » (Marcelin 1996 : 133). La découverte de ces configurations a ouvert un champ de recherche actuellement des plus dynamiques, « la nouvelle anthropologie de la maison » (Cortado à paraître). Cette « nouvelle anthropologie » montre notamment que les configurations de maisons ne sont pas l’apanage des pauvres, puisqu’elles organisent aussi le quotidien des élites, que ce soit dans les quartiers bourgeois de Porto au Portugal (Pina-Cabral 2014) ou ceux de Santiago au Chili (Araos 2016) – elles ne sont donc pas réductibles à de simples « stratégies de survie ». Quoiqu’elles se construisent souvent à l’échelle d’une parcelle ou d’un quartier (Cortado 2019), ces configurations peuvent très bien se déployer à un niveau transnational, comme c’est le cas au sein de la diaspora haïtienne (Handerson à paraître) ou parmi les noirs marrons qui habitent à la frontière entre la Guyane et le Suriname (Léobal 2019). Ces configurations prennent toutefois des formes très différentes, en accord avec les règles de filiation, bien sûr (Pina-Cabral 2014), mais aussi les pratiques religieuses (Dalmaso 2018), le droit à la propriété (Márquez 2014) ou l’organisation politique locale – la fidélité au chef, par exemple, est au fondement de ce que David Webster appelle les « vicinalités » (vicinality), ces regroupements de maisons qu’il a pu observer chez les Chopes au sud du Mozambique (Webster 2009). Des configurations surgissent même en l’absence de liens familiaux, sur la base de l’entraide locale, par exemple (Motta 2013). Enfin, il convient de souligner que de telles configurations ne sont pas, loin de là, harmonieuses, mais qu’elles sont généralement traversées de conflits plus ou moins ouverts. Dans la Bahia, les configurations de maisons, dit Marcelin, mettent en jeu une « structure de tension entre hiérarchie et autonomie, entre collectivisme et individualisme » (Marcelin 1999 : 38). En tant que « fait social total », dynamique et relationnel, l’anthropologie de la maison ne saurait pourtant se restreindre à celle de l’organisation familiale. L’étude des matérialités domestiques (architecture, mobilier, décoration) nous permet par exemple d’accéder aux dimensions esthétiques, narratives et politiques de grands processus historiques, que ce soit la formation de la classe moyenne en Occident (Miller 2001) ou la consolidation des bidonvilles dans le Sud global (Cavalcanti 2012). Elle nous invite à penser différents degrés de la maison, de la tente dans les camps de réfugiés ou de travailleurs immigrés à la maison en dur (Abourahme 2014, Guedes 2017), en passant par la maison mobile (Leivestad 2018) : pas tout à fait des maisons, ces formes d’habitat n’en continuent pas moins de se définir par rapport à une certaine « idée de la maison » (Douglas 1991). La maison relève aussi d’une anthropologie de la politique. En effet, la maison est une construction idéologique, l’objet de discours politiquement orientés qui visent, par exemple, à assoir l’autorité du père sur la famille (Sabbean 1990) ou à « moraliser » les classes laborieuses (Rabinow 1995). Elle est également la cible et le socle des nombreuses technologiques politiques qui organisent notre quotidien : la « gouvernementalisation » des sociétés contemporaines se confond en partie avec la pénétration du foyer par les appareils de pouvoir (Foucault 2004); la « pacification » des populations indigènes passe bien souvent par leur sédentarisation (Comaroff & Comaroff 1992). Enfin, la maison relève d’une anthropologie de l’économie. La production domestique constitue bien sûr un objet de première importance, qui bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt. Florence Weber et Sybille Gollac parlent ainsi de « maisonnée » pour désigner les collectifs de travail domestique fondés sur l’attachement à une maison – par exemple, un groupe de frères et sœurs qui s’occupent ensemble d’un parent âgé ou qui œuvrent à la préservation de la maison familiale (Weber 2002, Gollac 2003). Dans la tradition du substantialisme, d’autres anthropologues partent aujourd’hui de la maison pour analyser notre rapport concret à l’économie, la circulation des flux monétaires, par exemple, et ainsi critiquer les représentations dominantes, notamment celles qui conçoivent l’économie comme un champ autonome et séparé (Gudeman et Riviera 1990; Motta 2013) – il ne faut pas oublier que le grec oikonomia désignait à l’origine le bon gouvernement de la maison, une conception qui aujourd’hui encore organise les pratiques quotidiennes (De l’Estoile 2014). Cycles de vie, organisation du travail domestique, formes de domination, identités de genre, solidarités locales, rituels et cosmovisions, techniques et production du corps, circulation des objets et des personnes, droits de propriété, appropriations de l’espace, perceptions du temps, idéologies, technologies politiques, flux monétaires… Le thème de la maison s’avère d’une formidable richesse empirique et théorique, et par-là même une porte d’entrée privilégiée à de nombreuses questions qui préoccupent l’anthropologie contemporaine.
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Rougeon, Marina. « Photographie ». Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.053.

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Depuis les débuts de l’ethnographie, nombreux sont les anthropologues à avoir eu recours à la photographie pour leurs recherches, de Bronislaw Malinowski à Margaret Mead en passant par Claude Lévi-Strauss, Alfred Métraux et Pierre Verger. Il faut dire que la photographie a connu son essor à la même époque que celui des sciences sociales, et toutes deux présentent une affinité non négligeable : elles montrent « quelque chose de l’homme » tout en révélant « comment l’homme s’informe sur l’homme » (Garrigues 1991 : 11). Toutefois, malgré quelques travaux emblématiques (Bateson et Mead 1942 ; Collier 1967), peu se sont aventurés à rendre compte des apports théoriques et méthodologiques d’un tel outil pour l’anthropologie. Il demeure marginalisé, notamment du fait de la méfiance dont les images sont encore l’objet. Par ailleurs, bien qu’elle s’inscrive dans le champ de l’anthropologie visuelle, la photographie est loin d’avoir acquis la même légitimité que l’image animée. À partir des années 1990, plusieurs auteurs tentent pourtant de remédier à cette « méconnaissance ethnologique de la photographie », signalant qu’il existe « une certaine harmonie épistémologique » (Piette 1992 : §. 2) avec l’anthropologie. Toutes deux partageraient une « dimension autobiographique obligée » (Garrigues 1991 : 30), du fait que l’observateur, étant de même nature que l’observé, est lui-même pris dans l’observation. La photographie constitue alors un objet de recherche pour l’anthropologie car elle est « au cœur de cette problématique de la compréhension de soi obtenue par le détour de la compréhension de l’autre », comme le rappelle Emmanuel Garrigues en citant Paul Rabinow (Garrigues 1991 : 42). L’ensemble de ces travaux va dans le sens d’un usage scientifique de la photographie comme moyen d’expression, pour faire de l’anthropologie et de l’ethnographie en photographie. Ils soulignent en premier lieu sa pertinence comme pratique de terrain. La photographie prend part au dispositif ethnographique comme un instrument de recherche qui met en exergue le visuel au cœur de la relation à l’autre. C’est le cas lors des entretiens, quand les photographies confrontées au regard des interlocuteurs constituent un support de restitution, qu’elles servent à confirmer des analyses ou encore à soulever de nouveaux éléments et pistes de recherche. En outre, l’appareil photographique constitue un outil transitionnel entre le chercheur et ses interlocuteurs, ce qui lui confère une valeur heuristique pour comprendre ce qui se joue dans la relation ethnographique. Cette particularité a amené plusieurs anthropologues à expliciter des techniques d’enquête pour ce recours méthodologique suite à John Collier (1967), le premier à avoir souligné l’importance d’établir des protocoles systématiques de prises de vue. Plus récemment, Luiz Eduardo Achutti (2004) a préconisé la méthode de la photoethnographie, indiquant un ensemble de lignes de conduite à suivre, du premier contact sur le terrain jusqu’au développement des photographies. Un autre point commun entre photographie et ethnographie réside dans l’impossible neutralité de l’observateur sur le terrain, tel que l’ont remarqué plusieurs chercheurs. Tout comme le cinéaste, l’ethnographe photographe opère des choix de point de vue, de distance à l’objet, de cadrage, entre autres. De même, bien qu’elle demeure hors champ de l’image, sa présence dans la scène observée invite à mesurer son « degré d’influence » sur les personnes photographiées, comme le souligne Albert Piette (1992 : 6 ; § 14). Cette implication soulève la question de la mise en scène et plus précisément, de l’articulation entre la manière dont les personnes se donnent à voir et celle par laquelle l’anthropologue relaie cette visibilité (Conord 2007). En outre, la photographie relève d’une expérience sensible du terrain par le regard, le sens le plus mis en évidence dans la discipline quand il est question d’ethnographie (Laplantine 2007). Les prises de vues sur le terrain renvoient les interlocuteurs à d’autres situations impliquant des regards échangés et la circulation d’images. Cela invite alors à analyser le sens et les effets du regard et des images dans un contexte socio-culturel donné, et à prendre en compte la dimension vécue et affective de ces expériences (Rougeon 2015). En plus d’être un formidable instrument de recherche pour comprendre les logiques à l’œuvre dans la relation ethnographique, la photographie est d’une grande richesse pour interroger des thématiques telles que « les relations au semblable, au semblant, au dissemblant » (Laplantine 2007 : 48), la dimension spirituelle de la vie sociale, la mémoire, la généalogie et les liens de parenté, sans parler des esthétiques et des détails de la vie quotidienne. Comme pratique d’observation et de visualisation sur le terrain, elle permet de capter une réalité donnée pour ensuite la révéler, transformant le négatif d’une image en positif, pour reprendre l’analogie de Sylvain Maresca (1996). Le second aspect majeur du recours à la photographie en anthropologie apparaît alors : elle peut constituer une forme d’écriture pour la recherche. Les images ont une force narrative, employée au moment d’établir un récit ethnographique. Œuvrant à la description détaillée du social, les photographies permettent une « prise de note de ce qui se trouve dans le monde sous tous les angles possibles » (Piette 1992 : 4 – § 6), par le rapport qu’elles entretiennent au réel. La dimension indiciaire de ces images, leur puissance de désignation d’un objet provoque « un effet extrêmement fort de vérité et d’authenticité » (Garrigues 1991 : 18). Leur rapport à la réalité alimente des débats, et l’image fixe est tout à tour considérée comme une trace, une reproduction ou encore une transformation du réel (Maresca 1996). Par ailleurs, la photographie pose la question des rapports entre image et langage, objet de nombreuses réflexions dans la discipline. Si Barthes cherchait à déterminer si la photographie était un message codé ou non, un langage ou un signe (1980), des chercheurs en anthropologie y voient un moyen d’expression « peut-être infiniment plus complexe que le langage » (Garrigues 1991 : 50). D’autres mettent l’accent sur sa capacité à organiser la pensée de manière non discursive, participant à l’élaboration d’une pensée du sensible (Laplantine 2007). Ils signalent que la lecture des images se produit sur le mode de l’évocation et suscite des émotions particulières, mais aussi qu’elle permet de penser le terrain notamment à partir de ses non-dits et de ce qui excède le langage (Rougeon 2017). Dans ce sens, la photographie constituerait « un médiateur possible entre science et sensibilité » (Attané et al. 2008 : 10). Les critères déterminant le choix des images pour composer une narration ethnographique sont divers. La dimension plastique, le cadre et la composition des éléments graphiques comptent, mais l’attention porte surtout sur le potentiel à délivrer du sens par rapport à la thématique analysée. On distingue une diversité de démarches pour écrire le terrain, en agençant des photographies entre elles, et avec du texte. Certains chercheurs opposent les images et les mots comme régimes de narrativité et en soulignent la différence, afin de conserver le potentiel de chacun (Achutti 2004). D’autres explorent leurs complémentarités, proposant une « collaboration sémantique (…) au service de la narration anthropologique » (Attané et al. 2008 : 7). D’autres encore défendent l’idée selon laquelle une photographie ne saurait se suffire à elle-même (Conord 2002). Le texte qui peut accompagner une image ne relève pas de la pure information ni de quelque chose qui ramènerait forcément les images à une dimension illustrative, à condition que la démarche ait été explicitée auparavant et que l’articulation entre textes et images fasse sens. Dans cette perspective, il convient de situer le cadre de la prise de vue mais aussi de l’interaction, comme qui prend la photographie, où elle est réalisée et qui sont les personnes photographiées, l’image photographique étant indissociable de l’acte qui la fait advenir. Ce rapport entre le textuel et le visuel relève alors non pas d’une opposition mais d’un tissage, d’un dialogue qui tient compte de leur écart (Rougeon 2017). Avec cet engouement renouvelé pour la photographie en anthropologie, différents enjeux contemporains se dessinent. L’un d’entre eux concerne le rapport entre démarche scientifique et artistique, et pose la question de la créativité dans le processus de recherche. L’exploration des rapports entre régimes de narrativité par des photographes à la croisée des genres artistiques offre des pistes qui peuvent s’avérer fructueuses pour l’anthropologie, afin d’élaborer un récit ethnographique qui ne soit pas uniquement textuel (Rougeon 2017). Une telle discussion s’inscrit dans le débat actuel concernant les nouvelles écritures du terrain et de la recherche, pour renouveler le mode de connaissance produit dans la discipline. Dans une autre perspective, le rapport entre démarche scientifique et artistique peut donner jour à une lecture ethno-photographique des œuvres des photographes (Garrigues 1991). Enfin, la question de savoir si le photographe sur le terrain est l’ethnographe ou pas pèse fortement sur la méthode adoptée. Les chercheurs ont le choix entre de nombreux dispositifs, y compris sous la forme de collaborations avec des artistes. Cette pluralité est porteuse là aussi d’un potentiel de créativité important, qui invite l’anthropologie à prendre en compte d’autres manières d’envisager ce qu’est le terrain. Les horizons de recherche s’annoncent stimulants, la discipline ayant déjà montré, par le passé, la nécessité et la pertinence d’un décloisonnement des approches.
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Calame, Claude. « Les noms de la femme dans les poèmes de Sappho : Traits érotiques, statuts sociaux et représentations genrées ». N.S. Sexe et genre : questions de dénomination, no 3 (1 janvier 2013). http://dx.doi.org/10.54563/eugesta.921.

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On le sait : ni le concept moderne de sexualité, ni la notion européenne de lyrique, ni même le concept anglo-saxon de gender ne correspondent à des notions grecques anciennes ; pas plus d’ailleurs que le concept anthropologique de mythe. Dans le retour aux catégories indigènes exigé par une perspective anthropologique d’ethnopoétique (par le moyen de concepts opératoires modernes dont le « gender ») on s’interrogera ici sur les différents statuts impliqués par les protagonistes des relations érotiques que mettent en scène les poèmes de Sappho. Dans un second volet de l’enquête à venir, il conviendra de s’interroger sur ces rapports eux-mêmes en relation avec les positions énonciatives que ces protagonistes, femmes et hommes, assument dans le chant en performance. Ainsi, quant aux statuts sociaux et symboliques de genre dans les poèmes de Sappho, l’attention peut se porter dans un premier temps, en bonne sémantique lexicale, sur les dénominations, selon la suggestion qui a présidé à l’organisation de ce numéro de la revue Eugesta. Mais qui dit sémantique dit aussi syntaxe et surtout pragmatique.
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Levy, Joseph. « érotisme ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.094.

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En anthropologie, les concepts de sexe (renvoyant aux dimensions biologiques), de sexualité (renvoyant aux conduites entourant la relation sexuelle et à la reproduction) et de genre (renvoyant aux constructions socioculturelles associées à la masculinité et à la féminité) dominent comme référents, alors que celui d’érotisme est peu employé. Pourtant, dès les débuts de l’anthropologie moderne, Malinowski (1930) avait souligné, dans son étude sur la sexualité des Trobriandais, l’intérêt de la notion d’érotisme, qu’il reprend pour définir certains aspects de la culture locale associés à la sensualité, aux sentiments et au plaisir. Ce concept d’érotisme se retrouve en filigrane dans l’un des premiers ouvrages collectifs en anthropologie sexuelle en le situant dans une perspective comparative (Marshalls et Suggs 1971). La définition reste cependant trop axée sur les dimensions biologiques et comportementales et ne tient pas compte des constructions historiques, culturelles et des variations dans les significations qui sont associées à ces conduites et leur expérience. Reiss (1986) souligne l’intérêt de l’étude des scénarios culturels, qui incluent la prise en compte et la signification des comportements, privilégiant, une approche proposée par Simon et Gagnon (1984), et du contexte qui oriente l’expression érotique. Sa notion de réponse érotique ne se situe cependant pas dans une perspective constructiviste, tout comme d’autres dimensions postulées comme universelles, que ce soit l’autorévélation de soi (self-disclosure) ou les états de conscience altérés qui accompagneraient l’activité érotique, mais dont les caractéristiques et les variations ne sont pas explicitées. Dans le cadre des études sur la sexualité brésilienne, la notion d’érotisme est reprise et définie comme « un système culturellement constitué à part entière [...], un système de formes symboliques intersubjectives qui acquiert une signification subjective seulement à travers des médiations sociales et culturelles successives », associé à une « esthétique ou [...] une économie des plaisirs corporels ». En insistant sur les « plaisirs corporels » et les « significations érotiques », une perspective constructiviste et interprétative est ainsi établie (Parker 1989, p.58 et 60). La notion d’érotisme n’est pas reprise au moment où « l’anthropologie redécouvre la sexualité » (Vance 1991), suite à la critique des modèles théoriques essentialistes et culturalistes, et aux répercussions de l’épidémie du VIH/sida sur la discipline anthropologique. La dimension construite de la sexualité et des expériences affectives qui dépendent des contextes culturels est néanmoins affirmée (Tuzin 1991; Leavitt 1991), avec une remise en question de l’adéquation trop étroite entre les scénarios culturellement définis et les comportements sexuels, comme le suggère la pratique des saignées péniennes répétées des Ilahita Arapesh de Nouvelle-Guinée et la place de l’expérience de plaisir dans la construction du processus érotique. L’approche constructiviste dans l’étude de l’érotisme est aussi affirmée par Elliston (1995) dans sa critique des travaux sur les rituels homoérotiques en Nouvelle-Guinée, en particulier ceux de Herdt (1981,1982, 1984) sur les Sambia. Notant que la notion de pratiques sexuelles n’a pas fait l’objet d’une théorisation approfondie et que l’articulation assumée entre l’homosexualité ritualisée et la dimension érotique semble constituer une projection des conceptions occidentales sur des conduites dont la signification serait tout autre, elle propose des modalités de mise en place d’une anthropologie de l’érotisme qui se baserait plutôt sur la prise en compte des catégories émiques. Des travaux sur les contextes coloniaux et postcoloniaux s’interrogent aussi sur la construction du désir et du plaisir (Manderson et Jolly 1997) et Mankekar (2004) propose la notion d’« erotics » pour référer aux « désirs sexuels et aux plaisirs construits à l’intersection du psychique et du structurel [et] contester l’hypothèse que l’érotique pourrait être “purement” instinctif ou primordial ou se situer en dehors du domaine du socius » (p. 404). Elle établit aussi un lien entre le désir érotique et le désir de consommation des objets qu’elle définit comme « l’affect de consommation » (commodity affect) qui inclut tout un registre d’émotions (désir, plaisir, aspirations, etc.) liées à l’attraction esthétique que les objets provoquent, élargissant ainsi le champ de l’érotisme à des sphères non sexuelles. Cette extension au champ sociopolitique se retrouve dans le contexte cubain avec la notion proposée par Allen (2012) de « pratiques du désir » (practices of desire) qui « forment l’une des parties d’un processus complexe constitué par des expériences incorporées, qui incluent le genre, la race et la couleur, et la nationalité » (p. 326), à la fois sur le plan des itinéraires personnels des individus, de leurs expériences du désir et de leurs relations intersubjectives, pour montrer comment des « actions infrapolitiques individuelles » de résistance peuvent avoir des répercussions sur le plan macropolitique. L’élargissement du champ de l’érotisme, articulé aux dimensions émotives et corporelles, est proposé par Azam (2013). Selon elle, la notion de sexualité, en étant associée aux actes sexuels ou renvoyant à l’identité de genre, ne peut suffire à rendre compte de la complexité de ce champ et elle en propose la définition suivante : « Aux fins de cette recherche, j’identifie les composantes de l’érotisme, ou l’amour érotique, comme renvoyant au désir (incluant l’inclinaison et l’attraction), l’expression de ce désir ou attirance, soit par des moyens verbaux ou gestuels), et le plaisir (ce qui signifie toute satisfaction du désir, que ce soit par le regard, l’approche, la conversation, le toucher, etc.) » (p.56). Cette approche élargie est reprise par Newmahr (2014) qui propose le concept d’érotisme asexuel (asexual eroticism), mais cette extension risque, néanmoins, de réduire son potentiel heuristique. Soulignant que les dimensions théoriques dans l’étude de l’érotisme sont plutôt rares, elle constate que cette analyse reste arrimée à l’amour romantique ou à la sphère génitale, mais ignore la pléthore des expressions asexuelles et les formes d’excitation présentes dans différents contextes et types de relations. Les analyses empiriques ne tiennent pas compte de l’expérience érotique, ses significations et son statut dans le quotidien des individus et elle suggère d’étudier l’érotisme sur le plan phénoménologique comme une « expérience émotionnelle, en explorer la structure sous-jacente, les conditions et le contexte de l’érotisme comme émotion […] L’érotisme n’est pas le mieux compris comme un état d’excitation spécifiquement sexuelle ou génitale, mais comme un état émotionnel corporel plus large de “charge” » (p.211). Pour rendre compte de l’articulation entre le plaisir et les valeurs de modernité chez les jeunes de la classe moyenne du Kenya, Spronck propose la notion de « bon sexe » (good sex), qui inclut les dimensions de la « connaissance somato-sensorielle » (body-sensorial knowledge) pour étudier les « qualités sensuelles de la sexualité comme médiateurs et modeleurs de la connaissance sociale » (p. 3). Les pratiques érotiques renvoyant aux dimensions de « sentiments sexuels et de désir sexuel » (p.19) permettent de saisir comme l’expérience, les significations sociales et les sensations corporelles s’articulent entre elles et sont interprétées par les acteurs. Le concept de séduction pourrait aussi être associé au champ de l’érotisme. Forme particulière de communication, elle se fonderait sur des rituels à la fois verbaux et non verbaux faisant appel à de nombreux éléments culturels qui alimentent le paraître, conditionnent son esthétique et définissent les codes de conduite (Boëtsch et Guilhem 2005). Les rituels mis en œuvre relèveraient « à la fois de l’auto-séduction, de la théâtralisation et de la mimésis» (p.185), rejoignant par certains aspects la notion de charme qui se construit, comme le montre l’exemple des Peuls Djeneri du Mali, en faisant appel à des catégories corporelles, à des référents esthétiques, à des normes d’expression corporelle et à des représentations sociales des processus physiologiques, mettant ainsi en évidence l’imbrication étroite du biologique et du social (Guilhem 2008). Dans l’ensemble de ces réflexions théoriques, l’apport de Bataille (1957) à la conceptualisation de l’érotisme en anthropologie reste peu évident, alors qu’il propose un triple modèle de l’inscription érotique dans les représentations et l’expérience : le corps, le cœur et le sacré. Dans l’érotisme des corps, dominerait, lors de la rencontre, la violence sans laquelle « l’activité érotique atteint plus difficilement la plénitude » (p. 25). Dans ce modèle, c’est la révélation de soi et les états de conscience modifiés liés à la dissolution des limites et au trouble qui leurs sont associés qui dominent. Dans l’érotisme des cœurs, on retrouve la passion amoureuse, rattachée à la souffrance de ne pouvoir réussir totalement la fusion avec l’être aimé et cette précarité affective « appelle la mort, le désir de meurtre ou de suicide » (p. 28), liant ainsi étroitement Éros et Thanatos, alors que l’érotisme sacré renverrait à une expérience de type mystique. Le rapport à la violence, à la mort et à la finitude se prolonge, chez Bataille, par les liens qu’il établit entre l’érotisme, l’interdit, la transgression et l’excès. Ces thèmes rejoignent les réflexions philosophiques et anthropologiques sur la place du dionysiaque comme mode d’expression érotique, associée à l’orgiasme, à l’excès et au désordre (Maffesoli 1982), qui interviendraient lors de la transgression des interdits, comme le suggèrent les rituels d’« effervescence collective », Durkheim (2008 [1912]). La conjonction entre le danger et le plaisir érotique n’est pas non plus très problématisée, alors qu’elle semble se manifester dans des conduites extrêmes, des formes de sadomasochisme ou dans la prise de risques liés à la transmission du VIH/sida (Lévy 1996). Ce survol de la notion d’érotisme suggère, en définitive, une nouvelle orientation des recherches anthropologiques qui, après avoir déconstruit la notion de sexe pour la distinguer de celles de sexualité et de genre, s’interrogent à présent sur les différentes dimensions de l’érotisme et ses arrimages aux constructions socioculturelles, aux champs du politique et de l’économie, à la fois sur les plans macrosociologique et microsociologique. L’attention portée sur la subjectivité, les sensations, les sentiments et les affects, mais aussi le désir et le plaisir (Arnfred 2014), n’est cependant pas sans poser des problèmes théoriques importants. En effet, cet accent oriente l’anthropologie vers des aspects psychologiques et idiosyncrasiques, une orientation qui nécessite de préciser l’articulation entre culture, individualité et érotisme.
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Kilani, Mondher. « Identité ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.122.

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Dans le lexique des anthropologues, le mot identité est apparu bien plus tard que le mot culture. Mais depuis quelques décennies, alors que divers anthropologues se sont presque vantés de soumettre à une forte critique et même de rejeter leur ancien concept de culture, l'identité a acquis un usage de plus en plus étendu et prépondérant, parallèlement à ce qui s'est passé dans d'autres sciences humaines et sociales, ainsi que dans le langage de la politique et des médias. Nombreux sont ceux dans les sciences sociales qui s'accordent pour dire que le concept d'identité a commencé à s'affirmer à partir des années soixante du siècle dernier. Il est habituel de placer le point de départ dans les travaux du psychologue Erik Erikson (1950 ; 1968), qui considérait l'adolescence comme la période de la vie la plus caractérisée par des problèmes d'identité personnelle. Cette reconstruction est devenue un lieu commun des sciences humaines et sociales du XXe siècle, et pour cette raison, elle nécessite quelques ajustements. Par exemple, le sociologue américain Robert E. Park (1939) utilisait déjà, à la fin des années 1930, le terme identité, en rapport avec ceux d'unité, d'intégrité, de continuité, pour décrire la manière dont les communautés et les familles se maintiennent dans le temps et l'espace. En ce qui concerne l'anthropologie, un examen rapide permet de constater que l'identité a déjà été utilisée dans les années 1920 par Bronislaw Malinowski d'une manière qui n'était pas du tout sporadique. Dans ses textes sur les Trobriandais – comme par exemple La vie sexuelle des Sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie (1930) – il parle de l'identité du dala, ou matrilignage, en référence à la « substance » biologique dont il est fait, une substance qui se transmet de génération en génération dans la lignée maternelle. Ce n’est peut-être pas par hasard que le terme identité fut ensuite appliqué par Raymond Firth, dans We, the Tikopia (1936), pour affirmer la continuité dans le temps du clan, et que Siegfried Nadel dans The Foundations of Social Anthropology (1949) parle explicitement de l’identité des groupes sociaux grâce auxquels une société s’articule. La monographie The Nuer (1940) d'Edward E. Evans-Pritchard confirme que l’on a fait de l’identité un usage continu et, en apparence, sans problèmes dans l'anthropologie sociale britannique sous l’influence de Malinowski. Dans ce texte fondamental, l’identité est attribuée aux clans, à chacune des classes d'âge et même à l'ensemble de la culture nuer, que les Nuer considèrent eux-mêmes comme unique, homogène et exclusive, même si le sentiment de la communauté locale était « plus profond que la reconnaissance de l'identité culturelle » (Evans-Pritchard 1975: 176). Par contre, l’autre grand anthropologue britannique, Alfred R. Radcliffe-Brown, qui était particulièrement rigoureux et attentif aux concepts que l'anthropologie devait utiliser (selon M.N. Srinivas, il « prenait grand soin de l'écriture, considérant les mots comme des pierres précieuses » 1973 : 12), il est resté, probablement pour cette raison, étranger au recours au terme d'identité. S’il fait son apparition dans son célèbre essai consacré à la structure sociale de 1940, c’est uniquement lorsqu'il fait référence à l'utilisation approximative de ce concept par Evans-Pritchard. Il soutient que certains anthropologues (y compris Evans-Pritchard) utilisent l’expression « structure sociale » uniquement pour désigner la persistance des groupes sociaux (nations, tribus, clans), qui gardent leur continuité (continuity) et leur identité (identity), malgré la succession de leurs membres (Radcliffe-Brown 1952 : 191). Son utilisation du terme identité ne se justifie ainsi que parce qu’il cite la pensée d'Evans-Pritchard presque textuellement. On a également l’impression que Radcliffe-Brown évite d’adopter le concept d’identité, utilisé par ses collègues et compatriotes, parce que les termes de continuité (continuity), de stabilité (stability), de définition (definiteness), de cohérence (consistency) sont déjà suffisamment précis pour définir une « loi sociologique » inhérente à toute structure sociale (Radcliffe-Brown 1952 : 45). Qu’est-ce que le concept d'identité ajouterait, sinon un attrait presque mystique et surtout une référence plus ou moins subtile à l'idée de substance, avec la signification métaphysique qu’elle implique? Radcliffe-Brown admet que la persistance des groupes dans le temps est une dimension importante et inaliénable de la structure sociale. Mais se focaliser uniquement sur la stabilité donne lieu à une vision trop étroite et unilatérale : la structure sociale comprend quelque chose de plus, qui doit être pris en compte. Si l’on ajoute le principe d’identité à la stabilité, à la cohérence et à la définition, ne risque-t-on pas de détourner l’attention de l’anthropologue de ce qui entre en conflit avec la continuité et la stabilité? Radcliffe-Brown a distingué entre la structure sociale (social structure), sujette à des changements continus, tels que ceux qui se produisent dans tous les organismes, et la forme structurale (structural form), qui « peut rester relativement constante pendant plus ou moins une longue période » (Radcliffe-Brown 1952 : 192). Même la forme structurale – a-t-il ajouté – « peut changer » (may change); et le changement est parfois graduel, presque imperceptible, alors que d’autres fois, il est soudain et violent, comme dans le cas des révolutions ou des conquêtes militaires. Considérant ces deux niveaux, la forme structurale est sans aucun doute le concept qui se prêterait le mieux à être associé à l'identité. Mais l’identité appliquée à la forme structurale ne nous aiderait certainement pas à appréhender avec précision les passages graduels, les glissements imprévus ou, au contraire, certaines « continuités de structure » qui se produisent même dans les changements les plus révolutionnaires (Radcliffe-Brown 1952 : 193). Bref, il est nécessaire de disposer d’une instrumentation beaucoup plus raffinée et calibrée que la notion d’identité, vague et encombrante, pour saisir l’interaction incessante et subtile entre continuité et discontinuité. On sait que Radcliffe-Brown avait l'intention de construire une anthropologie sociale rigoureuse basée sur le modèle des sciences naturelles. Dans cette perspective, l'identité aurait été un facteur de confusion, ainsi qu'un élément qui aurait poussé l'anthropologie naissante vers la philosophie et l'ontologie plutôt que vers la science. Alors que Radcliffe-Brown (décédé en 1955) avait réussi à éviter le problème de l'identité en anthropologie, Lévi-Strauss sera contraint de l'affronter ouvertement dans un séminaire proposé, conçu et organisé par son assistant philosophe Jean-Marie Benoist au Collège de France au milieu des années soixante-dix (1974-1975). Quelle stratégie Lévi-Strauss adopte-t-il pour s'attaquer à ce problème, sans se laisser aller à la « mode » qui, entre-temps, avait repris ce concept (Lévi-Strauss 1977 : 11)? La première étape est une concession : il admet que l’identité est un sujet d’ordre universel, c’est-à-dire qu’elle intéresse toutes les disciplines scientifiques, ainsi que « toutes les sociétés » étudiées par les ethnologues, et donc aussi l’anthropologie « de façon très spéciale » (Lévi-Strauss 1977 : 9). Pour Lévi-Strauss, les résultats suivants sont significatifs: i) aucune des sociétés examinées – même si elles constituent un petit échantillon – ne tient « pour acquise une identité substantielle » (Lévi-Strauss 1977 : 11), c’est-à-dire qu’il ne fait pas partie de leur pensée de concevoir l'identité en tant que substance ou la substance en tant que source et principe d'identité; ii) toutes les branches scientifiques interrogées émettent des doutes sur la notion d'identité et en font le plus souvent l'objet d'une « critique très sévère » (Lévi-Strauss 1977 : 11); iii) il est possible de constater une analogie entre le traitement réservé à l’identité de la part des « sociétés exotiques » examinées et les conceptions apparues dans les disciplines scientifiques (Lévi-Strauss 1977 : 11); iv) cela signifie alors que la « foi » que « nous mettons encore » sur l’identité doit être considérée comme « le reflet d'un état de civilisation », c'est-à-dire comme un produit historique et culturel transitoire, dont la « durée » peut être calculée en « quelques siècles » (Lévi-Strauss 1977 : 11) ; v) que nous assistons à une crise contemporaine de l'identité individuelle, en vertu de laquelle aucun individu ne peut se concevoir comme une « réalité substantielle », réduit qu’il est à une « fonction instable », à un « lieu » et à un « moment » éphémères d’« échanges et de conflits » auxquelles concourent des forces d’ordre naturel et historique (1977 : 11). Ceci fait dire à Lévi-Strauss que « quand on croit atteindre l'identité, on la trouve pulvérisée, en miettes » (in Benoist 1977 : 209), tout en constatant dans le même mouvement que, tant dans les sociétés examinées que dans les sciences interrogées, nous assistons à la négation d'une « identité substantielle » et même à une attitude destructrice qui fait « éclater » l’identité « en une multiplicité d’éléments ». Dans un cas comme dans l'autre, on arrive à « une critique de l’identité », plutôt qu’« à son affirmation pure et simple » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 331). Pourtant, nous ne pouvons pas oublier que Lévi-Strauss était parti d'une concession, c’est-à-dire de l'idée que nous ne pouvions pas nous passer du thème de l'identité : c'est quelque chose qui concerne d'une manière ou d'une autre toutes les sociétés, les sociétés exotiques étudiées par les anthropologues et les communautés scientifiques qui se forment dans la civilisation contemporaine. Lévi-Strauss aurait pu développer plus profondément et de manière plus radicale l’argument présenté au point iv), à savoir que l’identité est une croyance (voire une foi), produit d’une période historique de notre civilisation. Mieux encore, étant donné que les autres sociétés d’une part et nos sciences de l’autre « la soumettent à l’action d’une sorte de marteau-pilon », c’est-à-dire qu’elles la font « éclater » (in Benoist 1977 : 309), nous aussi nous pourrions finalement nous en débarrasser. Lévi-Strauss sent bien, cependant, la différence entre sa propre position et celle du public qui a participé au séminaire, beaucoup plus enclin à donner du poids et un sens à l'identité. Pour cette raison, il offre un compromis (un compromis kantien, pourrait-on dire), qui consiste à détacher la notion d’identité de celle de substance et à penser l’identité comme « une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il ait jamais d’existence réelle » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Si nous l’interprétons bien, c'est comme si Lévi-Strauss avait voulu dire à ses collègues anthropologues : « Voulez-vous vraiment utiliser le concept d'identité? » Au moins, sachez que cela ne fait jamais référence à une expérience réelle : c’est peut-être une aspiration, une affirmation, une manière de représenter des choses, auxquelles rien de réel ne correspond. Avec ce compromis, Lévi-Strauss semble finalement attribuer à l'identité une sorte de citoyenneté dans le langage des anthropologues. Cependant, même comme un feu virtuel, où se trouve l'idée d'identité : dans la tête des anthropologues, qui utilisent ce concept pour représenter des sociétés dans leur unité et leur particularité, ou dans la tête des groupes sociaux lorsqu'ils se représentent leur culture? Revenons à l'exemple de Malinowski et des Trobriandais. C'est Malinowski qui interprète le veyola, la substance biologique du matrilignage (dala), en termes d'identité, et établit un lien entre identité et substance. Parler de l'identité du dala, surtout si elle est soutenue par le concept de substance (c'est-à-dire quelque chose qui se perpétue avec le temps et qui est complet en soi, de sorte qu'il ne dépend de rien de ce qui lui est extérieur, selon la définition classique d'Aristote), finit par obscurcir la pensée plus profonde des Trobriandais, c’est-à-dire l’incomplétude structurelle du dala. Il ne suffit pas de naître dans le dala et de recevoir le veyola de la mère. Le veyola n'est pas une substance identitaire, mais une matière sans forme qui doit être modelée par l’intervention du tama ou tomakava, c'est-à-dire « l'étranger », avec lequel la mère est mariée et qui est proprement le modeleur, celui qui aide les enfants de son partenaire à grandir, à prendre un visage, une personnalité, non pas en assumant une identité, mais par une participation progressive à des relations sociales (Weiner 1976). Malgré l’utilisation extensive du terme identité dans leurs descriptions ethnographiques et leurs réflexions théoriques, les anthropologues feraient bien de se demander s’il est vraiment approprié de conserver ce concept dans leur boîte à outils ou s’il ne convient pas de considérer l’identité comme une modalité de représentation historiquement et culturellement connotée. L'auteur de cette entrée a tenté de démontrer que l'identité en tant que telle n'existe pas, sauf en tant que mode de représentation que les anthropologues peuvent rencontrer dans telle ou telle société (Remotti 2010). Toutes les sociétés, dans leur ensemble ou dans leurs éléments constitutifs, ressentent les besoins suivants : stabilité, continuité, permanence, cohérence d’un côté, spécificité, certitude et définissabilité de l’autre. Mais, comme l’a suggéré Radcliffe-Brown, les réponses à ces besoins sont toujours relatives et graduelles, jamais complètes, totales et définitives. Nous pourrions également ajouter que ces besoins sont toujours combinés avec des besoins opposés, ceux du changement et donc de l'ouverture aux autres et au futur (Remotti 1996 : 59-67). Autrement dit, les sociétés ne se limitent pas à être soumises au changement, mais le recherchent et l’organisent en quelque manière. Il peut y avoir des sociétés qui donnent des réponses unilatérales et qui favorisent les besoins de fermeture plutôt que d’ouverture, et d’autres le contraire. Si ce schéma est acceptable, alors on pourrait dire que l'identité – loin d'être un outil d'investigation – apparaît au contraire comme un thème et un terrain important de la recherche anthropologique. En retirant l'identité de leur boîte à outils, prenant ainsi leurs distances par rapport à l'idéologie de l'identité (un véritable mythe de notre temps), les anthropologues ont pour tâche de rechercher quelles sociétés produisent cette idéologie, comment elles construisent leurs représentations identitaires, pour quelles raisons, causes ou buts elles développent leurs croyances (même leur « foi » aveugle et aveuglante) en l’identité. Nous découvrirons alors que nous-mêmes, Occidentaux et modernes, nous avons construit, répandu, exporté et inculqué au monde entier des mythes et des concepts identitaires. Nous l’avons fait à partir de l’État-nation aux frontières rigides et insurpassables, de l’idéologie clairement identitaire qu’est le racisme, et pour terminer de la racialisation de la culture qui exalte les traditions locales ou nationales comme substances intouchables, dont la pureté est invoquée et qu’on entend défendre de toutes les manières contre les menaces extérieures. Passée au niveau du discours social et politique, l'identité révèle tôt toute la violence impliquée dans la coupure des liens et des connexions entre « nous » et les « autres ». Comme le disait Lévi-Strauss (et aussi Hegel avant Lévi-Strauss), à l'identité « ne correspond en réalité aucune expérience » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Mais les effets pratiques de cette représentation n'appartiennent pas au monde des idées : ils sont réels, souvent insupportablement réels.
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Martig, Alexis. « Esclavage contemporain ». Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.085.

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Résumé :
Depuis la fin du XXe siècle, on assiste à un usage récurrent et de plus en plus fréquent de la notion d’esclavage moderne par tout un ensemble d’acteurs sociaux et politiques : organisations non gouvernementales, associations, organisations internationales, médias, gouvernements nationaux… Selon l’Organisation internationale du Travail, il s’agit d’un phénomène touchant plus de 25 millions de personnes et qui génère 150 milliards de dollars de profits annuels illégaux. Face à ce constat, un certain nombre de disciplines (sociologie, économie politique, études des migrations, droit, histoire) en ont fait un objet propre, tentant quelquefois de le définir (Bales 1999) et, parlant d’esclavage moderne ou d’esclavage contemporain, certains ont été jusqu’à évoquer l’émergence d’un nouveau champ d’études : lesContemporary Slavery Studies (Brysk et Choi-Fitzpatrick 2012). Comment expliquer le fait que l’anthropologie contemporaine a quant à elle jusqu’alors produit peu de réflexions sur le sujet ? Le premier élément de réponse a trait à la nature même de l’analyse anthropologique, qui la distingue des autres disciplines des sciences humaines et sociales, et qui considère avant tout les notions émiques mobilisées par les sujets. Dans le cas de l’esclavage moderne, on est face à une notion éminemment politisée et utilisée avant tout par des acteurs associatifs, institutionnels ou médiatiques pour décrire les conditions de travail ou d’exploitation d’autres sujets souvent associés au passage au registre des « victimes ». Ce n’est que depuis très récemment qu’on assiste à l’usage de la notion par les sujets eux-mêmes pour dénoncer leurs conditions de travail, sans doute sous l’effet de sa banalisation dans les discours des acteurs de la lutte contre l’esclavage moderne. L’apparition et la dissémination de cette notion chez les acteurs sociaux et politiques ne sont cependant pas sans intérêt pour l’anthropologie. Elles sont notamment révélatrices de ce que Didier Fassin a qualifié d’« économie morale de notre temps » et de « nouvel ordre moral » mondial (2005) : il s’agit de cette économie morale globale constituée autour de nouveaux intolérables moraux inhérents aux droits de l’homme et à l’invention de la catégorie anthropologie d’humanité dans le contexte postérieur à la Seconde Guerre mondiale. La condamnation morale globale de l’esclavage moderne en est un exemple parfait. Les discours qui la constituent expriment et visent à générer une indignation, tout en ayant fréquemment recours aux registres des « victimes », de la « vulnérabilité » et de « la traite » avec pour effet de nier l’agencéité des sujets en faisant disparaître leurs trajectoires de vie et leurs motivations spécifiques. Comme l’a montré l’anthropologue américaine Alicia Peters (2015), si politisée que soit cette notion, rien n’empêche l’anthropologie de s’en saisir comme objet en étudiant notamment les jeux d’acteurs au cœur des plans de lutte qui en découlent. Peters a ainsi montré comment, aux États-Unis, la moralisation du travail du sexe et de la prostitution forcée a eu pour effet de rendre invisibles ou illégitimes la majorité des cas de traite humaine qui touchent d’autres secteurs : agriculture, usines, restaurants, sphère domestique… Cette moralisation et surreprésentation du travail du sexe et de la prostitution forcée dans la lutte contre l’esclavage moderne, assimilée à la traite d’êtres humains (human trafficking), est caractéristique des pays développés. Le deuxième élément de réponse touche au caractère fourre-tout d’une notion générique qui renvoie à tout un ensemble de situations hétérogènes situées dans des contextes sociaux, historiques et culturels extrêmement différents et dont la complexité, les spécificités et les nuances sont reléguées au second plan dans les discours politiques. En fonction des acteurs, l’esclavage moderne désigne des cas de : mariage forcé, travail forcé, travail infantile, enfants soldats, camps de travail, exploitation sexuelle… et ce, sur toute la planète… Mais pour saisir les spécificités et la complexité des cas étudiés, il faut aussi considérer les formes socioculturelles légitimatrices de la servitude ou de l’esclavage, de son acceptation ou de sa tolérance et les formes de régulation de la domination inhérentes : formes de parrainage, dettes, processus d’altérisation infériorisants… Si les situations dénoncées ont émergé ou ont évolué à partir de formes passées dans un contexte global de précarisation des conditions de travail, et en ce sens sont bien des phénomènes contemporains, il est pour autant impossible de les penser en faisant abstraction de la mémoire des régimes d’esclavages précédents et notamment de l’esclavage transatlantique. Il faut à ce titre distinguer les réflexions sur l’esclavage moderne, du grand nombre d’études anthropologiques sur les descendants d’esclaves, la mémoire de l’esclavage ou les problématiques de réparation. Comme l’a fait remarquer Roger Botte (2005), l’esclavage a toujours été pluriel. Il faut cependant reconnaître que l’une des caractéristiques de l’époque contemporaine est bien celle de la disparition progressive, depuis les abolitions de l’esclavage en tant que statut officiel. C’est en ce sens qu’Alain Morice, au sujet de travailleurs temporaires marocains en France, a utilisé l’expression d’« esclavage métaphorique » (2005), en opposition à l’esclavage historique. Derrière cette distinction s’en cache une autre qu’il est capital de saisir pour comprendre les enjeux des situations qualifiées d’esclavage moderne et leur analyse anthropologique : celle des conditions d’esclavageet dustatut d’esclave. Dans une analyse très intéressante entre un cas d’esclavage domestique en France en 2013 avec un cas d’esclavage datant du début du XIXe siècle, l’historienne Rebecca Scott (2013) attire l’attention sur le fait que, statut officiel ou non, les conditions des situations dénoncées sous l’expression d’esclavage moderne peuvent être identiques à celles de régimes d’esclavage passés. L’attention portée à la nature des conditions est intéressante car elle vient souligner que, s’il est important de conserver une distance face à un discours institutionnel et politisé, il n’en demeure pas moins que dans certains cas l’esclavage n’est pas que métaphorique… Une autre caractéristique liée à la disparition du statut est le fait que les situations observées sont très souvent temporaires, pour des raisons de coûts économiques et dans le but d’éviter de possibles contrôles. Plusieurs auteurs ont, de manière distincte, mis en avant que l’esclavage moderne n’est pas fondé de manière absolue sur des critères raciaux, mais sur des critères inscrits dans des rapports de production (Botte 2005 ; Bales 1999). Comme le fait justement remarquer Julia O’Connell Davidson (2015), si cela est pertinent, il ne faut pas pour autant perdre de vue que la majorité des populations concernées se trouvent dans d’anciennes colonies ou émigrent de celles-ci vers les pays développés. Si la race n’est donc pas l’élément premier à l’origine des formes d’exploitation, celles-ci s’inscrivent pour autant dans une division internationale du travail racialisée et genrée telle que décrite par la sociologie décoloniale, et Ramon Grosfoguel (2014) notamment. À ce sujet, il est intéressant de souligner certaines dynamiques de cette division internationale du travail qui distinguent les formes d’esclavage moderne dans les pays développés et les pays en développement. Dans les premiers, les cas concernent principalement des migrants légaux ou illégaux confrontés à des politiques migratoires qui les vulnérabilisent structurellement. Dans les pays en développement, il s’agit majoritairement et massivement de citoyens nationaux, protégés normalement par ailleurs par les droits associés à leur citoyenneté. La question de l’esclavage moderne se pose alors en termes d’anthropologie des droits associés à la citoyenneté, et de leur performativité, en s’intéressant aux manières dont les critères symboliques à la base de la construction de ces citoyens en tant qu’alter inégaux ont tendance à normaliser la négation de leurs droits comme dans le cas des travailleurs ruraux au Brésil, ou encore des intouchables en Inde, etc. S’ajoutent à cela les exclus des nations issues de la colonisation – là où d’anciens empires ont laissé la place à des nations aux frontières dessinées par les colons –qui constituent une main-d’œuvre potentielle, comme dans la zone située entre la Thaïlande et la Birmanie (Ivanoff, Chantavanich et Boutry 2017). L’un des enjeux spécifiques de la réflexion anthropologiques touche à la méthode d’investigation de la discipline : l’enquête de terrain. Pour la plupart des cas, ou du moins les plus extrêmes, il est quasiment impossible d’accéder aux terrains en question pour y pratiquer une forme d’observation participante. Les difficultés d’accès s’apparentent à celles des terrains de guerre, de combats, de prostitution, de camps de travail forcé, etc. Les recherches de terrain consistent donc le plus souvent à rencontrer et accompagner les sujets postérieurement aux situations pour réaliser avec eux des entretiens. Quand cela est possible, car comme le souligne l’anthropologue Denise Brennan, auteurede Life Interrupted: Trafficking into Forced Labour in the United States, s’entretenir au sujet d’une expérience souvent traumatisante n’est pas non plus sans difficultés ou sans poser de questions quant au rôle de l’anthropologue et de la nature de sa relation avec les sujets du terrain (Brennan 2014). L’un des autres enjeux des analyses anthropologiques, dans des contextes prononcés de vulnérabilité structurelle et face aux processus de subalternisation des sujets par le biais des discours institutionnels, est de faire ressortir l’agencéité des sujets. L’anthropologie, dans sa tendance à replacer les situations étudiées dans les trajectoires de vie des sujets et à donner la parole à ces derniers, possède un avantage certain sur d’autres disciplines pour donner à voir leur agencéité sans perdre de vue pour autant les contraintes structurelles auxquelles ceux-ci font face. L’engagement volontaire de sujets dans la prostitution, de manière temporaire (ou non), pour améliorer leur quotidien matériel, d’enfants au travail malgré leur âge mineur, la migration illégale volontaire par l’intermédiaire de passeurs, la fuite, l’usage des compétences linguistiques ou une volonté de travailler plus dur que les autres, etc., sont autant d’exemples d’agencéité des sujets. Plutôt que de négliger de prendre en considération l’esclavage moderne à cause de son caractère institutionnalisé et sa nature protéiforme, il me semble que l’anthropologie et son regard critique ont un rôle à jouer pour mettre en lumière la complexité des différentes dimensions de ce phénomène et leur enchevêtrement : une économie morale globale, une économie néolibérale précarisant les conditions de travail et une division internationale du travail racialisée, genrée et hiérarchisée entre les pays développés et en développement. Pour ce faire, et apporter une plus-value heuristique, les analyses anthropologiques sur l’esclavage moderne devront s’ancrer dans le contemporain et repenser des catégories analytiques dichotomiques héritées du début des sciences sociales qui ne parviennent plus à rendre compte des situations étudiées : esclavage, liberté, travail libre et travail non libre, etc. Ces catégories ne permettent pas de penser le continuum de situations (allant de libres à non libres) de travail dans lequel les sujets évoluent dans le temps et l’espace, et dont les conditions peuvent, à une extrémité du continuum, être similaires à des régimes passés d’esclavage. C’est dans cet esprit qu’une des voies pour saisir la complexité du social et les dynamiques de ce phénomène si actuel est celle des « situations contemporaines de servitude et d’esclavage » (Martig et Saillant 2017). La notion de « situations » permet en effet de garder à l’esprit que l’objet étudié relève localement des spécificités sociohistoriques et culturelles considérées tout en se « situant » aussi dans le contexte économique, moral, politique et historique plus global : c’est l’articulation de ces différentes dimensions qui permettent de saisir la complexité du social. Enfin, penser en termes de situation a pour avantage de replacer l’expérience liée à l’esclavage moderne dans la trajectoire de vie plus large des sujets, et de saisir ainsi plus facilement leur agencéité. Il s’agit d’une proposition. D’autres voies verront sûrement le jour pour analyser un phénomène complexe qui, loin de disparaître, donne à voir les limites des mythes du travail libre et de la performativité des droits des sociétés démocratiques libérales contemporaines, et en appelle du coup à une anthropologie du contemporain.
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Battegay, Alain. « Experiences de l’immigration algerienne en France et grammaires urbaines et publiques de la reconnaissance ». Antropolitica - Revista Contemporanea de Antropologia, no 44 (2 avril 2019). http://dx.doi.org/10.22409/antropolitica2018.0i44.a41957.

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Résumé :
Argumentant pour une méthode d’explorations situées, cet article vise à déployer des problématiques de la reconnaissance proches de l’expérience sociale, entre le quotidien et la politique, entre la reconnaissance à l’oeuvre dans des interactions ordinaires et le droit à la reconnaissance. Il s’appuie sur des recherches d’inspiration socio-anthropologique portant sur la manière dont les générations issues des migrations maghrébines, notamment Algériennes, et leur installation durable à domicile travaillent les manières de faire société en France et contribuent à leur re-fabrication. Deux domaines de recherches sont ainsi revisités qui concernent 1) les approches urbaines des migrations et les grammaires des pratiques urbaines (avec une insistance plus particulière sur les « centralités immigrées ») ; et 2) la place de l’immigration algérienne dans la mémoire publique en France. Ces deux domaines désignent à l’attention des zones de troubles en matière de connaissance, d’ambivalences en matière de reconnaissance marquées par des déficits, des différentiels, des registres dissociés dans l’expérience des populations d’origine Algérienne vivant en France, même si elles sont de nationalité française, qui inquiètent les conceptions des sociabilités d’interconnaissance en signalant la vulnérabilité des dispositifs d’inter-reconnaissance.
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Battegay, Alain. « Experiences de l’immigration algerienne en France et grammaires urbaines et publiques de la reconnaissance ». Antropolitica - Revista Contemporanea de Antropologia, no 44 (2 avril 2019). http://dx.doi.org/10.22409/antropolitica2018.0i44.a615.

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Résumé :
Argumentant pour une méthode d’explorations situées, cet article vise à déployer des problématiques de la reconnaissance proches de l’expérience sociale, entre le quotidien et la politique, entre la reconnaissance à l’oeuvre dans des interactions ordinaires et le droit à la reconnaissance. Il s’appuie sur des recherches d’inspiration socio-anthropologique portant sur la manière dont les générations issues des migrations maghrébines, notamment Algériennes, et leur installation durable à domicile travaillent les manières de faire société en France et contribuent à leur re-fabrication. Deux domaines de recherches sont ainsi revisités qui concernent 1) les approches urbaines des migrations et les grammaires des pratiques urbaines (avec une insistance plus particulière sur les « centralités immigrées ») ; et 2) la place de l’immigration algérienne dans la mémoire publique en France. Ces deux domaines désignent à l’attention des zones de troubles en matière de connaissance, d’ambivalences en matière de reconnaissance marquées par des déficits, des différentiels, des registres dissociés dans l’expérience des populations d’origine Algérienne vivant en France, même si elles sont de nationalité française, qui inquiètent les conceptions des sociabilités d’interconnaissance en signalant la vulnérabilité des dispositifs d’inter-reconnaissance.
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Delamour, Carole. « Les multiples résonances du teuehikan (tambour) des Ilnuatsh de Mashteuiatsh dans le renouvellement d’une éthique de l’attention ». Revue d'anthropologie des connaissances 13, no 3 (1 septembre 2019). http://dx.doi.org/10.4000/rac.1705.

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Gagné, Karine. « Climat ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.110.

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Résumé :
Comment les cultures attribuent-elles sens et valeur à leurs interprétations du temps atmosphérique et du climat? Comment les gens s'adaptent-ils au climat local, à la température, aux inondations et aux précipitations – ou à leur absence? Comment les changements climatiques contemporains affectent-ils les communautés? Comment le savoir sur les changements climatiques est-il construit? Comment l’anthropologie peut-elle contribuer à l’élaboration de politiques liées au climat? L’archéologie a une longue tradition d'investigation sur les dynamiques culturelles liées au climat – en particulier, les changements concomitants entre sociétés humaines et environnement naturel, que ce soit sur le plan de la résilience ou du déclin de civilisations des suites d’événements climatiques (Weiss and Bradley 2001 ; McGovern. 1994 ; Rosen 2007). Cependant, il s’agit pour l’anthropologie culturelle d’un objet d’étude relativement récent. Bien que les études émergeant du matérialisme culturel et de l’écologie culturelle se soient penchées sur les interrelations entre culture et écologie, incluant les dimensions du climat, comme le note Susan Crate (2011 : 178) dans sa recension sur le climat et la culture, ces dernières fournissaient des explications déterministes et laissent peu de place au réseau mondial de connexions que le changement climatique contemporain invoque. Depuis le tournant du 21e siècle, l’anthropologie culturelle multiplie ses enquêtes sur les dimensions sociales et culturelles du climat et la question des changements climatiques occupe une place importante dans ces travaux. Cet intérêt a donné lieu à la publication d’importantes monographies et collections éditées (Cruikshank 2005 ; Crate and Nuttall 2009 ; Dove 2014 ; Hsu and Low 2008 ; Marino 2015 ; Strauss and Orlove 2003). Les ethnographies sur le climat se distinguent bien souvent par leur approche multisite. Elle se penchent à la fois sur les diverses dimensions locales de phénomènes climatiques globaux et la manière dont ceux-ci sont vécus et perçus, non seulement au sein de communautés locales (Crate 2008 ; Brugger et al. 2012) mais aussi en lieux non traditionnels comme les institutions tel le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) (O’Reilly 2012) ou dans le cadre de congrès internationaux visant à définir des questions et mettre en place des initiatives politiques liées aux changements climatiques (Doolittle 2010 ; Skrydstrup 2009). Ces études s’appuient sur une variété de méthodes, que ce soit l’enquête ethnographique ou l’histoire orale (Cruikshank 2001). Les anthropologues qui s’intéressent au climat se démarquent souvent par l’adoption d’une approche collaborative alors qu’ils œuvrent au sein d’équipes pluridisciplinaires (Bauer and Bhan 2018 ; Orlove, Wiegandt, et Luckman 2008 ; Ribot, Magalhães, et Panagides 1995). Comme l’invoquent par ailleurs Castree et ses collègues (2014), la question du changement climatique doit devenir une arène pour l’intégration des sciences naturelles, humaines et sociales. L’anthropologie s’intéresse aux perceptions, connaissances, évaluations et réponses liées au climat et à son changement. Elle apporte un éclairage sur les dimensions locales de processus globaux et sur comment ceux-ci sont articulés par le biais de systèmes de connaissances locaux. Les questions examinées sont multiples. En lien avec l’intérêt de l’anthropologie pour les savoirs locaux et les modèles culturels de cognition, l'ethnoclimatologie a fourni, dans de premiers efforts, des études émergeant de l’Inde sur la prévision de la sécheresse (Bharara 1982) et sur les multiples dimensions de la mousson (Zimmermann 1987). Plus récemment, des anthropologues se sont penchés sur les modèles locaux de prévisions météorologiques en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Sillitoe 1994), dans les Andes (Orlove, Chiang et Cane 2002) et au Burkina Faso (Roncoli, Ingram and Kirshen 2002). Les modèles de connaissances liés aux perturbations climatiques sont également examinés par les anthropologues et chercheurs qui adoptent une approche ethnographique (Schneider 1957 ; Carey 2008). L’anthropologie se penche également sur les catastrophes climatiques et leurs conséquences. Dans une étude précurseuse, James Spillius (1957) examine la réponse aux ouragans chez les habitants de l’île de Tikopia et revendique une plus grande inclusion par les administrateurs locaux des connaissances qui découlent d’études anthropologiques. Solway (1994) montre comment les sécheresses dans la région du Kalahari au Botswana catalysent des changements sociaux. Shaw (1992) et Scheper-Hughes (2005) considèrent les dimensions de genre et les questions raciales liées aux désastres. Les conséquences des désastres climatiques, notamment les déplacements de populations et les mouvements migratoires, sont également examinées (Olivier-Smith 2009 ; Oliver-Smith and Shen 2009). La reconnaissance de la réalité locale du changement climatique amène les anthropologues à examiner la résilience et l’adaptation des populations. L’anthropologie fournit ainsi des analyses ethnographiques sur les questions de risque et de vulnérabilité chez les communautés littorales et insulaires (Lazrus 2012), chez les populations montagnardes (Rasmussen 2015) et en milieu arctique (Crate 2008 ; Nuttal 2010). Par ailleurs, les anthropologues jettent un regard critique sur le caractère universalisant des concepts liés aux changements climatiques, tel celui de l’adaptation (Finan and Nelson 2001 ; Orlove 2009). La connaissance, la science et la compréhension du changement climatique sont en soi des phénomènes sociaux et les anthropologues s’interrogent sur la manière dont les variables sociales, culturelles, économiques et politiques affectent l’interprétation et l’expérience des événements climatiques extrêmes et des changements climatiques. Ils étudient ainsi la question des communications, se penchant sur la réception et la traduction locale (Rudiak-Gould 2012), l’attention du public (Broad and Orlove 2007), ainsi que sur le scepticisme public (Diemberger et al. 2012). Les chercheurs portent également un regard critique sur la construction scientifique des scénarios liés aux changements climatiques (Lahsen 2005 ; Hastrup and Skrydstrup 2013). La recherche anthropologique sur le climat se fait également activiste. Ainsi, de nombreux anthropologues plaident pour un plus grand engagement de l’anthropologie dans l’élaboration de politiques liées au climat, mettant de l’avant le rôle clé que peut jouer leur discipline dans la quête de solutions au changement climatique et à ses effets (Barnes et al. 2013 ; Batterbury 2008 ; Fiske 2009 ; Rayner & Malone 1998).
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Caroline, Hervé. « Réconciliation ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.113.

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La réconciliation est une préoccupation contemporaine qui oriente les politiques et les actions des institutions et des individus dans certains contextes nationaux et internationaux. Les politiques de réconciliation se déploient à la suite d’épisodes traumatiques dans le but de rebâtir des relations de confiance et de respect entre des États et des individus ou des groupes brimés. Elles se développent également dans les démocraties modernes dans le but de réparer la relation entre certains groupes et engager les pays dans des processus de démocratisation et d’inclusion des différents groupes culturels, ethniques et sociaux. Souvent édictées comme des politiques nationales, elles s’implantent à travers des mesures concrètes dans les différents niveaux institutionnels de la société et orientent les discours dominants. La question de la réconciliation a reçu l’attention des chercheurs en sciences sociales, en droit, en science politique, en philosophie morale, mais également en littérature ou en théologie. Il s’agit d’un objet dont l’anthropologie s’est emparé récemment en montrant la diversité des contextes dans lesquels il se déploie, les rapports de pouvoir sous-jacents et les significations variées que les différents groupes sociaux lui assignent. La réconciliation, comme projet politique national, est souvent mise en place à la suite des travaux d’une Commission de vérité et réconciliation (CVR) visant à éclairer certains troubles politiques et restaurer la justice sociale ou un nouvel ordre démocratique dans une optique de justice réparatrice. La Commission nationale d’Argentine sur la disparition des personnes (1983) est considérée comme la première d’une longue série de commissions qui ont enquêté sur des situations de troubles politiques, de guerres civiles, de répressions politiques, de génocide. Plus d’une quarantaine de commissions ont été dénombrées depuis cette date (Richards et Wilson 2017 : 2), principalement en Afrique (Tunisie, Burundi, Côte d’Ivoire, Togo, etc.), dans les Amériques (Canada, Pérou, Brésil) ou encore en Asie (Timor oriental, Népal, etc.). Parmi les plus importantes, on compte la Commission nationale de vérité et de réconciliation du Chili (1990-1991) qui a documenté les circonstances des milliers de disparitions et de morts sous la dictature d’Augusto Pinochet et préparé le pays vers une transition démocratique. La Commission de vérité et de réconciliation d’Afrique du Sud (1996-1998) visait quant à elle à recenser toutes les violations des droits de l’homme commises dans le pays au cours des décennies précédentes et à mettre fin à l’apartheid. La plupart du temps, ces commissions sont le résultat de pressions exercées par des groupes d’activistes au sein d’un État, ou, comme c’est de plus en plus souvent le cas, de pressions exercées au niveau international par les organisations non gouvernementales ou d’autres mouvements politiques. Elles constituent des organismes indépendants des appareils judiciaires et leur objectif premier est d’enquêter sur les coupables et les victimes et d’émettre des recommandations en vue de restaurer la paix (Richards et Wilson 2017 : 2). Ces Commissions de vérité et réconciliation s’appuient sur des principes de droit international, mais certains auteurs y voient aussi la résurgence d’une éthique religieuse à travers l’importance donnée au concept de pardon, central dans plusieurs religions du Livre, comme l’Ancien Testament, le Nouveau Testament ou encore le Coran (Courtois 2005 : 2). Les anthropologues ont montré qu’en fonction des méthodologies utilisées lors des enquêtes, les discours sur la vérité peuvent varier. Ainsi, certaines histoires ou expériences sont rendues visibles tandis que d’autres sont oubliées (Buur 2000, Wilson 2003, Ross 2002). Au fil du temps, les CVR ont eu des mandats, des prérogatives et des applications différents. En témoigne la CVR du Canada qui avait pour but, non pas d’assurer la transition d’un pays autocratique vers une démocratie, mais de lever le voile sur les expériences de déracinement et de violence vécues par les peuples autochtones au sein des pensionnats. À l’image du travail de Susan Slyomovics (2005) sur la Commission du Maroc, les anthropologues ont analysé les programmes de réparation et de restitution mis en place par certaines commissions. Ils ont aussi montré que certains groupes sociaux restaient marginalisés, comme les femmes (Ross 2002). Theidon (2013), dans son travail sur la commission de vérité et réconciliation du Pérou, a montré de son côté que les CVR oublient souvent d’inclure des enquêtes ou des discussions sur la façon dont les violences politiques détruisent les relations familiales, les structures sociales ou les capacités de production économique de certains groupes. Les anthropologues permettent ainsi de mieux comprendre les perspectives des survivants face au travail et aux recommandations de ces commissions en documentant la diversité de leurs voies et de leurs expériences. Ils montrent que la réconciliation est avant tout un projet construit politiquement, socialement et culturellement. La réconciliation est un objectif central à la plupart des CVR, mais elle est un objectif qui la dépasse car elle est la plupart du temps mise en place une fois que la CVR a achevé ses travaux et émis ses recommandations. Les CVR ont en effet rarement l’autorité de mettre en place les recommandations qu’elles édictent. Les anthropologues Richards et Wilson (2017) présentent deux versions de la réconciliation en fonction des contextes nationaux : une version allégée (thin version) à travers laquelle les politiques nationales encouragent la coexistence pacifique entre des parties anciennement opposées ; et une version plus forte (thick version) lorsque des demandes de pardon sont exigées à ceux qui ont commis des crimes. Si la réconciliation suppose qu’un équilibre puisse être restauré, il n’en reste pas moins qu’elle se base sur une interprétation spécifique de l’histoire (Gade 2013) et qu’elle participe à la construction d’une mémoire individuelle, collective et nationale. Cette notion permet donc d’offrir un cadre souple aux élites qui prennent en charge le pouvoir après les périodes de troubles pour que celles-ci puissent (re)légitimer leur position et les institutions politiques, souvent héritières de ce passé qu’on cherche à dépasser (Richards et Wilson 2017 : 7). Ce discours sur la réconciliation vise ainsi à instiller des valeurs morales publiques et construire une nouvelle image commune de la nation. Selon Wilson, les CVR seraient des modèles promus par les élites politiques pour construire une nouvelle harmonie qui permettrait d’occuper la conscience populaire et la détourner des questions de rétribution et de compensation financière. Le nouvel ordre politique est présenté comme étant purifié, décontaminé et déconnecté avec l’ancien ordre autoritaire, une façon de construire une nouvelle vision de la communauté en inscrivant l’individu dans un nouveau discours national (Wilson 2003 : 370). La réconciliation, comme projet politique national, ne fait en effet pas toujours l’unanimité. Par exemple, elle est devenue une véritable préoccupation collective au Canada depuis la remise du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2015, mais le sens donné à celle-ci varie. Même si le rapport de la CVRC prévient qu’il n’y a pas une vérité ou une vision de la réconciliation (CVRC 2015 : 14) et que pour les Autochtones, la réconciliation exige aussi une réconciliation avec le monde naturel (CVRC 2015 : 15), ce processus national est vivement critiqué par certains intellectuels autochtones, comme Taiaiake Alfred (2016), pour qui la réconciliation est un processus de « re-colonisation » qui occulte la dynamique coloniale encore à l’œuvre (Alfred 2011 : 8). Cette critique se retrouve dans d’autres contextes postcoloniaux, comme en Nouvelle-Zélande ou en Australie, où les excuses proférées par les gouvernements concernant les différentes formes d’injustice subies par les peuples autochtones oblitèrent les enjeux les plus cruciaux, à savoir la nécessité d’abolir les politiques coloniales et de faire avancer les projets d’autonomie politique des Autochtones (Johnson 2011 : 189). La réconciliation est constitutive de toute relation sociale et en ce sens elle peut être instrumentalisée au sein de discours visant à faire ou défaire les liens sociaux (Kingsolver 2013). C’est donc aussi là que se situe l’enjeu de la réconciliation, sur la capacité à s’entendre sur ce qu’est une bonne relation. Borneman définit la réconciliation comme un au-delà de la violence (departure from violence), c’est-à-dire comme un processus intersubjectif à travers lequel deux personnes ou deux groupes tentent de créer une nouvelle relation d’affinité, non plus marquée par la violence cyclique, mais par la confiance et l’attention réciproques ; cela étant possible seulement si les États instaurent des politiques de réparation et que la diversité des points de vue des personnes concernées par ces politiques est prise en compte (Borneman 2002 : 282, 300-301). En ce sens, une lecture anthropologique au sujet de la réconciliation permet de développer une réflexion critique sur la réconciliation en la considérant avant tout comme une préoccupation politique contemporaine dont il s’agit de saisir le contexte d’émergence et les articulations et comme un processus à travers lequel les individus tentent, à partir de leurs points de vue respectifs, de redéfinir les termes d’une nouvelle relation. La discipline anthropologique est en effet à même de mettre au jour les rapports de pouvoir inhérents aux processus de réconciliation, de révéler les significations culturelles sous-jacentes que les différents acteurs sociaux attribuent au pardon, à la réconciliation ou encore à ce qui constitue les bases d’une relation harmonieuse. L’anthropologie peut enfin lever le voile sur les dynamiques de réciprocité et de don/contre-don qui se déploient au travers de ces processus et ainsi décrypter les multiples dimensions qui participent à la fabrique des sociétés.
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Massé, Raymond. « Morale ». Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.019.

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Résumé :
Dans toutes les sociétés, à toutes les époques, l’homme porte des jugements de valeurs sur des pratiques individuelles ou collectives qu’il estimera bonnes ou mauvaises, justes ou injustes, honorables ou déshonorantes, vertueuses ou vicieuses, honnêtes ou malhonnêtes. Il pourra s’agir de ses propres comportements, de ceux d’autres membres de sa société ou ceux d’autres sociétés. La morale réfère alors aux conceptions du bien et du mal, du juste et de l’injuste, de l’acceptable et du répréhensible, à ce qui est noble ou infâme, louable ou blâmable dans ces comportements humains. Elle réfère en fait à l’ensemble des normes et des règles qui serviront de balises permettant à l’individu de transposer ces conceptions idéalisées dans des pratiques morales (Massé 2015). Ces jugements seront construits à partir de la perception du non respect de normes relevant tantôt de lois divines et de prescriptions ou d’interdits religieux, tantôt de conventions proprement sociales ou de principes séculiers liés à la conception de la nature humaine. Toutes les normes sociales ne sont pas des normes morales (même si l’inverse est vrai). Certaines normes sociales régissant les interactions au sein d’une société se mueront en normes morales dès lors que des valeurs fondamentales (ex. : justice, honnêteté, sincérité, responsabilité, respect de la vie) seront en cause. La morale n’est donc pas confinée au champ du religieux. Si les pères de l’anthropologie de la fin du XIXe siècle tel Edward Taylor et James Frazer niaient toute aptitude à la pensée morale chez les peuples «primitifs» animistes, réservant la morale aux cultures reposant sur le monothéisme (seules jugées aptes à développer de véritables systèmes moraux), Émile Durkheim et Lucien Lévy-Bruhl resitueront la morale dans le champ du social. Les moralités sont dès lors considérées comme des produits des interactions sociales telles qu’elles sont incarnées dans la culture. Ainsi, pour Durkheim, les faits moraux sont parties intégrantes de tous les autres domaines sociaux (ex. religion, parenté, économie). Pour agir moralement, il faut agir d'après les fins de la société et au nom de la cohésion sociale. Après avoir documenté la pluralité des morales, soulevé la question du relativisme et redéfini les faits moraux comme faits sociaux, l’anthropologie défendra l’idée qu’ «il n’y a pas de peuple qui n’ait sa morale» (Durkheim, 2005[1903]), voire que l’homme, dans toutes les sociétés, est fondamentalement un philosophe apte au jugement et au raisonnement moral (Radin, 1957[1927]). Dans la foulée de la « science des mœurs » à laquelle Lucien Lévy-Bruhl (1903) convie la discipline, il est suggéré (Edel et Edel, 1968) que la morale étudiée par l’anthropologie recouvre l’étude « des règles choisies pour enjoindre et interdire (c'est-à-dire un ensemble de commandements), des traits de caractères valorisés ou à éviter (vertus et vices); des buts et de moyens (idéaux et valeurs instrumentales); un concept englobant de communauté morale et un ensemble de qualifications définissant une personne responsable; une sélection plus ou moins précise de termes et de règles linguistiques du discours moral; […] et, impliqués dans tous ces éléments, certaines perspectives existentielles et visions de l’homme, de ses outils, de sa place dans la nature, de la condition humaine » (Edel 1962 : 69). L’analyse descriptive comparative devrait alors cohabiter avec un souci pour la recherche de possibles universaux moraux (Linton 1952 ; Hatch 1983), alors que d’autres souligneront les limites et les dangers d’un relativisme moral radical (Macklin 1999). Si la morale se décline en autant de variantes qu’il existe de cultures, l’anthropologie n’en reconnaît pas moins divers types de morales à l’intérieur de chaque société. En particulier, l’individu évolue au carrefour de morales institutionnelles et d'une morale de sens commun. Les morales institutionnelles sont celles qui offrent des systèmes explicites de normes morales. Celles des grandes religions en sont les prototypes avec des règles et des normes à respecter et des vertus à promouvoir. Celles proposées, ailleurs, par les autorités religieuses et politiques, ou indirectement à travers les vertus des héros traditionnels ou de certaines divinités, en sont d’autres exemples. Tout comme, d’ailleurs, les morales véhiculées par les institutions publiques nationales ou internationales ou les corporations professionnelles, généralement sous la forme de codes de déontologie ou de codes d’éthique. Toutefois, l’intérêt de l’anthropologie se porte tout autant sur la morale vécue au quotidien, ce que Mikael Lambek désigne comme l’« éthique ordinaire » soit une éthique « relativement tacite, plus ancrée dans les accords communs que dans la règle, dans la pratique plutôt que dans la connaissance ou les croyances, et survenant sans attirer l’attention sur elle » (Lambek, 2010 : 2). Cette morale ordinaire n’est pas qu’une question de règles et des normes à suivre, d’analyse rationnelle de ce qui est bien ou mal. Elle s’exprime aussi sous forme d’une morale de sens commun, soit un habitus qui permet à l’individu d’agir la plupart du temps de façon moralement appropriée sans analyse éthique préalable de leurs pratiques ou décisions. Elle constitue une forme de morale incorporée que Jarret Zigon définit comme un ensemble de «dispositions incorporées [déterminant] un mode quotidien d’être au monde pour l’individu» (Zigon, 2008 : 164). L’anthropologie contemporaine de la morale a pris ses distances avec plusieurs des postulats classiques de l’anthropologie culturaliste (Massé 2015). Notons d’abord un premier postulat empiriste qui faisait de la morale un ensemble fini, stable, saisissable empiriquement à travers ses principaux fondements (normes, valeurs, vertus). Ensuite, un postulat rationaliste qui la ramenait à un système cohérent de normes à travers lequel évolue l’individu doté d’une capacité de raisonnement moral. L’anthropologie de l’éthique (voir entrée « éthique »), analysera tout particulièrement la place de la liberté, de l’agentivité et de l’esprit critique dans la définition des postures morales. Le postulat, encore, voulant que la morale ait une influence directe sur l’individu sans interférences avec les facteurs sociaux et politiques (la morale n’est pas qu’un fait de culture). Et surtout, le postulat essentialiste voulant que tous les membres d’une société adhèrent, indifféremment, à ce système de normes morales. Rejetant ces postulats, la morale est aujourd'hui considérée comme un ensemble de normes et de règles en évolution constante au travers desquelles l'individu navigue et négocie une position morale adaptée aux divers contextes et circonstances. Surtout, la morale est abordée comme lieu de pouvoir. Dans toute société, elle est promue par certains groupes d’intérêt (par exemple religieux, sexuels, de classe, ethniques). L’anthropologie de la morale s’intéressera ainsi aux usages sociaux et politiques de la morale. Bref, une anthropologie des moralités devra s’intéresser tout autant à l’identification de ceux qui la définissent et s’assurent de l’application, qu’à l’analyse de la distribution sociale (inégalitaire) des interdits, des responsabilités et de l’application des règles morales aux diverses catégories sociales (Howel 1997).
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Uhl, Magali. « Images ». Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.126.

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Résumé :
Image matérielle ou image mentale, émanation du geste humain ou production de l’esprit, artefact ou souvenir, l’image recouvre une multiplicité de formes et de significations qui vont des rêves aux dessins d’enfants, des ombres projetées aux peintures célébrées, des traces mnésiques aux images numériques. Tout autant confrontée à cette tension entre matérialité et virtualité, la connaissance anthropologique sur les images, comme les nombreux domaines du savoir qui lui sont associés (sociologie, sémiologie et études médiatiques, principalement) ont proposé des manières distinctes d’aborder les images, abandonnant toutefois aux sciences de l’esprit (psychanalyse et sciences cognitives) la dimension imaginative. Ainsi, deux voies se sont historiquement tracées pour intégrer les apports de la représentation imagée et se partagent, aujourd’hui encore, le domaine de l’anthropologie des images. D’un côté, l’image comme support au discours permet de questionner le potentiel culturel, politique et idéologique de l’image que les chercheurs vont déceler dans des corpus de représentations (publicités, images de la presse, cartes postales, selfies, snapshots et autres illustrations culturelles); de l’autre, l’image comme instrument de recherche dans laquelle la production visuelle des chercheurs (captations photographiques ou filmiques, tableaux, croquis, dessins et plans) est une manière d’accéder à leur terrain d’étude avec parfois pour ambition de proposer une visualisation de leurs résultats de recherche. Pour le dire avec Douglas Harper (1988), l’image peut aussi bien être un objet d’étude sur lequel on porte le regard qu’un instrument de recherche qui conduit ce regard. Si l’anthropologie s’est saisie dès le début du 20e siècle du potentiel expressif et cognitif de l’image avec les travaux photographiques de Margaret Mead et de Gregory Bateson sur les usages sociaux du corps dans la culture Balinaise (1942), et ceux, filmiques, de Robert Flaherty à travers son documentaire sur la population inuite de l’Arctique (1922), c’est l’iconologue et anthropologue Aby Warburg qui, à la même époque, a le plus insisté sur la complémentarité de ces deux formes d’images (matérielles et mentales) comme de ces deux postures de recherche (sur les images et avec les images). En effet, son projet d’un Atlas (2012) – composé de milliers de photographies et baptisé du nom de la déesse grecque de la mémoire, Mnemosyne – avait pour ambition de retracer, par la collecte et l’assemblage d’images, des invariants anthropologiques qui traverseraient les époques et les continents (de la Grèce antique à la Renaissance florentine; des Bacchantes romaines au peuple Hopi d’Arizona), et dont la mise en correspondance permettrait, par-delà les discours, une lecture visuelle de l’histoire culturelle. Dans cette méthode d’interprétation iconologique, les représentations matérielles et l’imagination sont intimement liées dans le processus de connaissance anthropologique : les images sont tout à la fois la source du savoir et son véhicule. Le terme de « formules de pathos » que Warburg propose, exprime, dès lors, le caractère idéal-typique du motif imaginaire qui se répète de représentation en représentation à travers les époques, les espaces et les cultures. La proposition qui, par ailleurs, est faite de mettre le détail au cœur de la démarche de recherche, en insistant sur l’attention aux motifs discrets mais persistants – comme la forme d’un drapé ou le tracé d’un éclair – retrouvera plus tard l’un des impératifs de l’anthropologie interprétative formulée par Geertz et l’effort ténu de description que sa mise en pratique exige (1973). Elle rejoindra également celui de l’anthropologie modale (Laplantine 2013) qui milite pour un mode mineur de la connaissance, à l’image des lucioles qui ne brillent la nuit que pour celles et ceux dont l’acuité sensible est mise au service de cette contemplation. Malgré sa radicalité, le parti pris de considérer les images comme la trame à partir de laquelle l’anthropologie se constitue comme savoir a ceci de fascinant qu’il inspire nombre de recherches actuelles. En effet, dans une société saturée par le visuel et dans laquelle les écrans forgent en partie le rapport au monde, cette voie originale trouve aujourd’hui un écho singulier dans plusieurs travaux d’envergure. Georges Didi-Huberman (2011 : 20) reprend, à son compte, le défi warburgien, autrement dit « le pari que les images, assemblées d’une certaine façon, nous offriraient la possibilité – ou, mieux, la ressource inépuisable – d’une relecture du monde ». De son côté, Hans Belting (2004 : 18) insiste sur le fait que « nous vivons avec des images et nous comprenons le monde en images. Ce rapport vivant à l’image se poursuit en quelque sorte dans la production extérieure et concrète d’images qui s’effectue dans l’espace social et qui agit, à l’égard des représentations mentales, à la fois comme question et réponse ». On le voit, l’héritage de l’iconologie a bel et bien traversé le 20e siècle pour s’ancrer dans le contemporain et ses nouveaux thèmes transversaux de prédilection. Les thèmes de l’expérience et de l’agentivité des images sont de ceux qui redéfinissent les contours de la réflexion sur le sujet en lui permettant de nuancer certains des épistémès qui lui ont préexisté. Désamorçant ainsi le partage épistémologique d’un savoir sur les images, qui témoignerait des représentations véhiculées par les artefacts visuels, et d’un savoir avec les images, qui les concevrait comme partenaires de recherche, on parle désormais de plus en plus d’agir des images aussi bien du côté de l’interprétation culturelle que l’on peut en faire, que du travail des chercheurs qui les captent et les mettent en récit. Par ailleurs, le fait que l’image est « le reflet et l’expression de son expérience et de sa pratique dans une culture donnée [et qu’à] ce titre, discourir sur les images n’est qu’une autre façon de jeter un regard sur les images qu’on a déjà intériorisées (Belting 2004 : 74) », relativise également cet autre partage historique entre image intérieure (mentale) et image extérieure (représentationnelle), image individuelle (idiosyncrasique) et image publique (collective) qui s’enracine dans une généalogie intellectuelle occidentale, non pas universelle, mais construite et située. L’agir des images est alors tout aussi bien l’expression de leur force auratique, autrement dit de leur capacité à présenter une réalité sensible, à faire percevoir une situation sociale, un prisme culturel ou un vécu singulier, mais aussi, celle de leur agentivité comme artefact dans l’espace public. Dans le premier ordre d’idées, l’historienne et artiste Safia Belmenouar, en collectant et en assemblant des centaines de cartes postales coloniales, qui étaient le support médiatique vernaculaire en vogue de 1900 à 1930, montre, à travers un livre (2007) et une exposition (2014), comment les stéréotypes féminins réduisant les femmes des pays colonisés en attributs exotiques de leur culture se construisent socialement, tout en questionnant le regard que l’on porte aujourd’hui sur ces images de femmes anonymes dénudées répondant au statut « d’indigène ». La performance de l’image est ici celle du dessillement que sa seule présentation, en nombre et ordonnée, induit. Dans le deuxième ordre d’idées, l’ethnologue Cécile Boëx (2013) n’hésite pas, dans ses contributions sur la révolte syrienne, à montrer de quelle manière les personnes en lutte contre le pouvoir se servent des représentations visuelles comme support de leur cause en s’appropriant et en utilisant les nouvelles technologies de l’image et l’espace virtuel d’Internet. Les images sont ici entendues comme les actrices des conflits auxquels elles prennent part. L’expérience des images, comme le montre Belting (2004) ou Laplantine (2013), est donc aussi celle dont nous faisons l’épreuve en tant que corps. Cette plongée somatique est, par exemple, au cœur du film expérimental Leviathan (2012), réalisé par les anthropologues Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel. Partant des images d’une douzaine de caméras GoPro fixées sur le corps de marins de haute mer partis pêcher au large des côtes américaines de Cape Cod, le documentaire immersif fait vivre l’âpre expérience de ce métier ancestral. À l’ère des pratiques photographiques et filmiques amateures (selfies, captations filmiques et montages par téléphones cellulaires) et de l’explosion des environnements numériques de partage (Instagram, Snapchat) et de stockage des données (big data), le potentiel immersif de l’image passe désormais par des pratiques réinventées du quotidien où captation et diffusion sont devenues affaire de tous les corps, indépendamment de leur position dans le champ social et culturel. Critiquées pour leur ambiguïté, leur capacité de falsification et de manipulation, les images ont aussi ce potentiel de remise en cause des normes hégémoniques de genre, de classe et d’ethnicité. Prises, partagées et diffusées de manière de plus en plus massive, elles invitent à l’activité critique afin de concevoir la visualité dans la diversité de ses formes et de ses enjeux contemporains (Mirzoeff 2016). Si aujourd’hui, dans un monde traversé de part en part par les images, l’anthropologie de l’image est un domaine de recherche à part entière dont l’attention plus vive à l’expérience sensible et sensorielle qui la singularise est le prérequis (Uhl 2015), l’iconologie comme méthode anthropologique spécifique répondant aux nouveaux terrains et aux nouvelles altérités a encore du chemin à parcourir et des concepts à inventer afin de ne pas s’enfermer dans le registre instrumental auquel elle est trop souvent réduite. Pour penser l’image dans le contexte actuel de sa prolifération et de la potentielle désorientation qu’elle induit, la tentative d’une iconologie radicale, telle qu’initiée par Warburg, demeure d’une évidente actualité. <
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Sacriste, Valérie. « L’individu à l’épreuve du chez-soi ». Enfances, Familles, Générations, no 39 (28 juillet 2022). http://dx.doi.org/10.7202/1090930ar.

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Cadre de la recherche : Le chez-soi a été l’objet de nombreuses analyses montrant son importance dans le processus d’individualisation, mais il a peu été étudié dans ses difficultés et ses tensions. Cet article se centre sur ces aspects. Objectifs : Il vise à montrer comment le chez-soi peut être une source d’épreuves pour les individus et donc conduire à de nombreuses contraintes ou vicissitudes dans l’expérimentation de soi et l’appropriation de sa vie. Méthodologie : L’analyse repose sur une enquête qualitative de type compréhensive, basée sur 40 entretiens semi-directifs menés en coprésence ou à distance auprès d’individus issus de la classe moyenne, plutôt jeunes, actifs, habitant pour l’essentiel à Paris et en Île-de-France, dans des appartements dont ils sont en général les locataires. Résultats : À partir des données de cette enquête, l’article dégage quatre types d’épreuves, relevant des processus d’installation, d’appropriation, de sa gestion ou de sa perte. Il montre ainsi comment les difficultés dans son accès, ses changements, sa personnalisation, son invasion, la pénibilité de ses tâches et son rapport aux objets, aussi bien que sa perdition (réelle ou symbolique) sont des épreuves qui peuvent conduire au sentiment de déstabilisation, de désappropriation, de fatigue et de la ruine de soi. Conclusions : Les épreuves du chez-soi conduisent donc à questionner la notion du refuge de soi que le chez-soi incarne dans l’imaginaire moderne, notamment dans ses dimensions de repaire et de repères. Contribution : Cet article veut attirer l’attention sur le fait que le chez-soi est devenu une source d’épreuves quotidiennes. Quelque peu sous-estimés en raison de la crise du logement, ses problèmes constituent une réalité dont les enjeux sont cruciaux au regard du processus de l’individualisation dans la construction et la propriété de soi.
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Beaumier, Marie-Laurence B. « Genre, âges de la vie, parentalité et dynamiques familiales : croisements et perspectives de recherche en histoire contemporaine du Québec et du Canada ». Enfances, Familles, Générations, no 27 (31 août 2017). http://dx.doi.org/10.7202/1045077ar.

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Cadre de la recherche :L’article revient sur l’émergence et le développement de l’histoire du genre et de l’histoire des âges de la vie, qui ont connu un rayonnement important depuis les années 1960 et 1970.Objectifs :L’article propose un bilan des impacts de la prise en compte des rapports de genre et d’âge dans la recherche en histoire au Québec et au Canada depuis une quarantaine d’années. À partir d’une synthèse critique, il s’interroge sur les imbrications entre le genre et les rapports d’âge, et les possibilités analytiques qu’elles offrent.Méthodologie :Il s’agit d’une recension des écrits et d’une réflexion historiographique.Résultats :La réflexion porte d’abord sur les avancées récentes, ensuite sur les avenues et les perspectives de recherche que les arrimages entre genre et âges de la vie ne laissent encore qu’entrevoir dans la recherche historique. La deuxième section de l’article souligne quelques pistes théoriques et conceptuelles qui se dégagent de cette grille d’analyse afin d’étudier l’histoire de la parentalité et des dynamiques familiales dans une perspective nuancée et critique.Conclusions :La synthèse met en lumière les lacunes qui persistent dans l’historiographie québécoise et canadienne quant à l’arrimage des rapports de genre et d’âge, et ce, notamment dans le champ de l’histoire des familles. Pour pallier les lacunes identifiées au fil de la réflexion historiographique, l’article réitère l’importance et l’intérêt d’une approche intersectionnelle, qui rend compte de la complexité des dynamiques à l’œuvre dans la production des rapports de pouvoir et de domination.Contribution :Tout en proposant une revue de la littérature, l’article attire l’attention des lecteurs sur des zones de recherche encore peu développées, et plus particulièrement sur les possibilités analytiques offertes par la notion de parentalité et l’approche des parcours de vie.
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Zuzanek, Jiri, Margo Hilbrecht et Gilles Pronovost. « Emploi du temps, résultats scolaires et bien-être chez les adolescents. Quel rôle pour les parents ? » Enfances, Familles, Générations, no 29 (15 mai 2018). http://dx.doi.org/10.7202/1051492ar.

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Cadre de recherche : L’écart générationnel grandissant entre les parents et adolescents a retenu l’attention des chercheurs depuis les années 1920. L’augmentation de cet écart a souvent été attribuée au rôle croissant des médias et des pairs dans la vie des adolescents. Objectifs : Les changements dans le rôle joué par les parents, les médias et les pairs dans la vie des adolescents sont examinés à la lumière de leur gestion du temps. Les données sur l’emploi du temps documentent le rôle déclinant des parents, mais montrent également que des stratégies constructives de la gestion du temps peuvent aider les parents à conserver et à renforcer leur rôle dans le développement intellectuel et affectif de leurs adolescents. Méthodologie : Les données proviennent de l’Enquête sociale générale menée par Statistique Canada (ESG) (1986 à 2005) et de l’Enquête ontarienne sur l’emploi du temps et le bien-être des adolescents de 2003 (OATUS). Les relations entre l’utilisation du temps des adolescents et le bien-être émotionnel sont contrôlées pour l’âge, le sexe et les antécédents familiaux. Résultats : Malgré l’élargissement de l’écart de communication et d’attitude entre les adolescents et les parents au cours des dernières décennies, la situation n’est pas irrémédiable. Les analyses des données d’OATUS suggèrent que les stratégies indirectes, soulignant l’importance des routines et des relations familiales, ont des impacts plus importants sur les performances scolaires et la qualité de vie des adolescents que les règles domestiques, les interventions verbales ou les contrôles comportementaux sporadiques. Conclusions : La conservation de l’influence parentale sur les adolescents s’effectue peut-être davantage par « osmose » des valeurs et des habitudes. En effet, le partage des valeurs familiales, des activités communes et la capacité parentale à servir de modèle joue un rôle important dans l’influence des structures de motivation des adolescents. Contribution : Les résultats de cette recherche appuient le fait que les performances scolaires et le bien-être émotionnel des adolescents sont fondés sur leurs routines comportementales et l’efficacité des interventions des parents.
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Bouvier, Pierre. « Socioanthropologie ». Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.026.

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Résumé :
Le contexte actuel tel que le dessinent les tendances lourdes de ce troisième millénaire convie à interpeller les outils des science sociales forgés précédemment. La compréhension de l’univers et donc du genre humain s’est appuyée, en Occident, au siècle des Lumières, sur une volonté d’appréhender les phénomènes sociaux non plus dans des lectures théologiques, métaphysiques mais au nom d’une démarche se voulant scientifique. Les explorations à l’extérieur du domaine européen transmises par divers types de voyageurs restaient lacunaires. Pour les appréhender de manière plus rationnelle des disciplines ont émergé telle que l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie allant du plus petit agrégat vers des lectures plus généralistes. Les sociétés de là-bas commencent, alors, à se frayer un domaine dans le champ des connaissances. C’est ainsi que peuvent être appréhendés les symboliques, les cosmogonies et les rituels de populations aussi diverses que celle des forêts amazoniennes, de la savane soudanaise ou des régions polaires et ce au delà d’a priori dévalorisants. Se révèlent, par l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie, leurs pratiques et leurs usages et les constructions idéelles qu’elles soient celles des Baruya, des Dogon ou des Inuit. L’autonomie prise par ces études et ces recherches contribuent à lutter plus qu’efficacement contre les idées préconçues antérieurement, celles empreintes de xénophobie sinon de racisme. Pour sa part la sociologie s’attache au développement et à la modernisation des sociétés occidentales déclinées suivant divers critères dont la mécanisation des productions de biens, l’urbanisation, les mobilités. Ces valeurs, la sociologie en est l’un des analyseurs comme elle le sera pour la période que Fourastié dénomma les « Trente glorieuses », décennies marquées par le plein emploi, l’élévation des niveaux de vie, le consumérisme du moins dans les sociétés occidentales et que traitent les sociologies de l’action, des organisations, des négociations, des régulations, des critiques de la bureaucratisation mais également des conflits entre catégories et classes sociales (Fourastié 1979). Ceci s’inscrit peu ou prou dans le cadre d’institutions et de valeurs marquées au sceau des Etat-nations. En ce troisième millénaire le cours des évènements modifie ces conditions antérieures. Les temporalités, les pratiques et les représentations changent. La mondialisation suscite des échanges croissants entre des entités et des ensembles populationnels hier fortement distincts. Les migrations non plus seulement idéelles mais physiques de cohortes humaines déstructurent les façons d’être et de faire. De ce fait il apparaît nécessaire de tenir compte de ces mutations en décloisonnant les divisions disciplinaires antérieures. Les processus d’agrégation mettent en place des interactions redéfinissant les valeurs des uns et des autres, hier ignorées voire rejetées par des mondes de la tradition ethnique, religieuse ou politique (Abélès et Jeudy 1997). La mise en réseau interpelle ces ensembles populationnels dorénavant modifiés par l’adjonction de valeurs antérieures étrangères à leurs spécificités. L’anthropologie, l’ethnologie s’avèrent nécessaires pour appréhender ces populations de l’altérité aujourd’hui insérées plus ou moins effectivement au cœur des sociétés post-industrielles (Sahlins 1976). De plus ces populations de là-bas sont elles-mêmes facteurs actifs de réappropriation et de création de nouvelles formes. Elles interpellent les configurations usuelles et reconnues par la sociologie. On ne peut plus leur assigner des valeurs antérieures ni les analyser avec les méthodologies et les paradigmes qui convenaient aux réalités précédentes, celles d’un grande séparation entre les unes et les autres (Descola 2005). Déjà les procédures habituelles privilégiant les notions de classe sociale, celles de mobilité transgénérationnelle, d’intégration, de partage des richesses étaient interpellées. Des individus de plus en plus nombreux ne se retrouvent pas dans ces dynamiques d’autant que ces dernières perdent de leur force. Le sous-emploi, le chômage, la pauvreté et l’exclusion dressent des scènes et des acteurs comme figures oubliées des siècles passés. Bidonvilles entourant les centres de prospérité, abris de fortune initiés par diverses associations constituent autant de figures ne répondant pas aux critères antérieurs. Une décomposition plus ou moins radicale des tissus institutionnels fait émerger de nouvelles entités. Les notions sociologique ne peuvent s’en tenir aux interprétations qui prévalaient sous les auspices du progrès. La fragilisation du lien social implique des pertes de repère (Bouvier, 2005). Face à l’exclusion économique, sociale et symbolique et aux carences des pouvoirs publics des individus essaient de trouver des parades. Quelques-uns mettent en place des pratiques signifiantes leur permettant, dans cet univers du manque, de redonner du sens au monde et à leur propre existence. Ainsi, par exemple, d’artistes, qui non sans difficulté, se regroupent et faute de lieux, investissent des locaux vides : usines, bureaux, immeubles, autant de structures à l’abandon et ce dû aux effets de la crise économique, des délocalisations ou des fermetures de bureau ou d’entreprises. Ces « construits pratico-heuristiques » s’appuient sur des techniques qui leur sont propres : peinture, sculpture, installation, vidéo, etc., facteurs donnant du sens individuel et collectif. Ils en définissent les règles eux-mêmes. Ils en gèrent collectivement l’installation, le fonctionnement et les perspectives en agissant en dehors des institutions. De plus ces configurations cumulent des éléments désormais indissociables compte tenu de la présence croissante, au cœur même des sociétés occidentales, de populations allogènes. Ces dernières n’ont pas laissé derrière elles leurs valeurs et leurs cultures. Elles les maintiennent dans ces périphéries urbaines et dans les arcanes des réseaux sociaux. En comprendre les vecteurs et les effets de leurs interactions avec les valeurs proprement occidentales nécessitent l’élaboration et l’ajustement d’un regard à double focale. Celui-ci permet de discerner ce qui continue de relever de ces mondes extérieurs de ce qui, comme suite à des contacts, fait émerger de nouveaux facteurs d’appréhension et de compréhension du monde. Les thèses sociologiques du progrès, du développement mais également de l’anomie et des marges doivent se confronter et s’affiner de ces rencontres avec ces valeurs désignées hier comme relevant de la tradition, du religieux : rites, mythes et symboliques (Rivière 2001). L’attention socioanthropologique s’attache de ce fait non seulement à cette dualisation mais également à ce qui au sein des sociétés du « premier monde » relève des initiatives des populations majoritaires autochtones et, à l’extérieur de leurs sphères, de leur frottement avec des minorités allogènes. Elle analyse les densités sociétales, celles en particulier des institutions qu’elles se sont données. Elle les conjugue avec les us et les données existentielles dont sont porteurs les effets tant des nouvelles populations que des technologies médiatiques et les mutations qu’elles entraînent dans les domaines du lien social, du travail, des loisirs. De leurs frictions émergent ces « construits de pratiques heuristiques » élaborés par des individualités sceptiques tant face aux idéologies politiques que face à des convictions religieuses ébranlées par les effets des crises économiques mais également par la perte de pertinence des grands récits fondateurs. Ces construits allouent du sens à des rencontres impensables du moins dans le cadre historique antérieur, là où les interventions de l’Etat, du personnel politique, des responsables cléricaux savaient apporter des éléments de réponse et de résolution aux difficultés. De ces « construits de pratiques heuristiques » peuvent émerger et se mettre en place des « ensembles populationnels cohérents » (Bouvier 2000). Ces derniers donnent du sens à un nombre plus élevé de constituants, sans pour autant que ceux-ci s’engagent dans une pratique de prosélytisme. C’est par écho que ces regroupements se constituent. Cet élargissement n’est pas sans être susceptible, à court ou moyen terme, de s’institutionnaliser. Des règles et des principes tendent à encadrer des expressions qui, hier, dans le construit, ne répondaient que de la libre volonté des membres initiateurs. Leur principe de coalescence, empreint d’incertitude quant à toute perspective pérenne, décline de l’existentiel et du sociétal : étude et compréhension des impositions sociales et expressions des ressentis individuels et collectifs. Ces dimensions sont peu conjuguées en sociologie et en anthropologie, chacune de ces disciplines malgré les discours récurrents sur l’interdisciplinarité, veillant à préserver ce qu’elles considèrent comme étant leur spécialisation ou du moins leur domaine (Bouvier 1999). La socioanthropologie est alors plus à même de croiser tant les données et les pesanteurs sociétales, celles portées par diverses institutions, tout en révélant les attentes anthropologiques, symboliques, rituelles et non rationnellement explicites que ces construits et ensembles populationnels produisent. La position du chercheur adhérent, bénévole, militant et réflexif en immersion partielle, en observation impliquée, impliquante et distancée comporte l’enjeu de pouvoir réussir à préserver son autonomie dans l’hétéronomie des discours et des pratiques. Une « autoscopie » est nécessaire pour indiquer les distances entre l’observateur et l’observé et plus encore pour donner un éclairage sur les motivations intimes de l’observateur. La socioanthropologie s’inscrit, de fait, comme advenue d’une relecture à nouveaux frais. Elle conjugue et suscite des modalités s’attachant aux émergences de ces nouveaux construits faisant sens pour leurs protagonistes et aptes à redonner de la signification aux données du contemporain (Bouvier 1995, 2011)
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Laplantine, François. « Wu Wei ». Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.0029.

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Résumé :
Wu en chinois, mu en japonais peut se traduire par rien, non-être, néant, vide. Quant à la notion chinoise de wu wei, que l’on traduit habituellement par passivité ou non agir, elle désigne ou plutôt suggère une attitude de réceptivité et de disponibilité extrême aux évènements et aux situations dans lesquels nous nous trouvons inclus et impliqués sans en avoir la maitrise. Pour comprendre cette notion qui remet en question les relations habituelles entre le sujet et l’objet et est susceptible d’affiner l’observation et ce que je propose d’appeler le moment ethnographique de l’anthropologie, il nous faut d’abord réaliser combien il est difficile de penser ce que la langue chinoise appelle wu à partir des présupposés dualistes de la philosophie européenne de l’être et du non-être et même beaucoup plus communément du oui et du non, le non étant envisagé soit comme privation (« il n’y a pas », « ce n’est pas » ou « ce n’est plus ») soit comme négation. Dans le premier cas le non apparait irréel et alors il n’y a rien à en dire. Dans le second il est franchement oppositionnel, c’est-à-dire source de conflit, ce qui fait horreur à la pensée chinoise. Chaque fois que dans une langue européenne nous utilisons le verbe être, c’est pour affirmer une réalité, ce qui rend explicite une évidence partagée par tout le monde : l’adéquation de l’être et du réel. Être et non être sont dans ces conditions des antithèses. Il n’en va pas de même pour la culture (et d’abord la langue) chinoise qui ne se résigne pas à reconnaître le néant comme étant le vide absolu. Ce que nous appelons « non être » ou « néant », d’un point de vue chinois, ce n’est pas grand-chose, mais ce n’est pas rien. C’est très proche de ce que Jankélévitch (1981) appelle « le presque rien ». Dans ce « presque rien », il y a tant de possibles en genèse, tant de virtualités. Elles n’adviennent nullement, comme dans les monothéistes, d’un acte de création, mais d’un processus d’éclosion succédant à une germination qui va peu à peu connaître une maturation, puis une altération avant une disparition. L’être tend inéluctablement vers le non-être, l’apparaître vers le disparaître, mais ce qui est premier et génère l’essor puis l’élan est bien le non-être, le il n’y a pas (wu) précédant le il y a (you) et est une potentialité d’il y aura ou plutôt il pourra y avoir, il pourrait y avoir, avoir non au sens de posséder mais d’advenir. Si donc le wu est une négation, ce n’est nullement une négation privative mais plutôt une indétermination (le « je-ne-sais-quoi » de Jankélévitch), une matrice dont l’une des caractéristiques est l’invisibilité mais qui est d’une extrême fécondité car d’elle peuvent jaillir différentes possibilités. Pour approcher du caractère processuel du wu, il nous faut suspendre la logique antithétique et antinomique de l’affirmation et de la négation et envisager une modalité non absolue de la négation (Laplantine 2016). Autrement dit dans une perspective chinoise, il peut y avoir des contradictions mais non des contraires, source de contrariété et de division. Il ne saurait y avoir d’opposition (frontale) ni de négation (pure) car ces dernières ne se rencontrent jamais dans le vivant. Mais le négatif (cuo) n’en existe pas moins pour autant. Il est la face cachée susceptible au terme d’un processus secret et silencieux de maturation d’arriver à éclosion. Ce qui était jusqu’alors invisible entre le champ de vision. Le négatif peut même conduire à une inversion (zong) de ce qui nous apparaissait stable et homogène comme dans le cas du métal fondu en train de devenir liquide. Cuo n’a rien d’une substance (appelant dans les langues européennes des substantifs), d’un principe ni même d’une forme hétérogène. Cuo, ce n’est pas l’autre (encore moins « l’Autre ») mais bien le même qui se transforme et devient, par modulations successives, différent de ce qu’il était. Le wu wei n’est pas un concept. C’est une notion empirique qui s’expérimente dans un processus de dessaisissement et de non affirmation de soi. Ce processus a certes été originellement pensé dans la matrice taoïste de la civilisation chinoise (Lao-Tseu 2002, Tchouang-Tseu 2006) mais il n’est pas cependant indéfectiblement lié à cette dernière. Il a des implications précises sur les méthodes d’observation dans les sciences humaines et sociales et singulièrement sur ce que les anthropologues appellent le regard. C’est un mouvement qui s’effectue dans un mode de temporalité très lent consistant à laisser venir, à ne pas (trop) intervenir, à ne pas opérer un tri parmi les perceptions. Le wu-wei est une attention diffuse non focalisée, non précipitée, non arrêtée et bloquée sur une perception particulière, ce qui risquerait d’anticiper une position et de contrarier le flux d’un processus en cours. La conscience se déleste de toute intentionnalité, de toute finalité, de toute préméditation. Si nous envisageons le wu wei selon la dimension du voir, nous pouvons dire que ce que nous voyons n’est qu’une partie du voir car il y a aussi ce qui nous regarde. Or le regard de l’ethnographie classique tend à ignorer le passif. C’est un regard orienté et concentré. Ce que je vois, je m’en satisfais. D’une part il n’y a pas d’invisibilité. D’autre part il n’y a pas d’autre vectorialité que celle que j’assigne à des « objets ». La chose est entendu, cela va de soi, il n’y a pas lieu d’y revenir : seul existe ce que nous voyons qui est nécessairement devant. Ce qui nous regarde, à l’inverse, est susceptible de remettre en question l’unidirectionnalité du devant. Pour dire les choses autrement, dans une conception positiviste de l’ethnographie, ce qui nous regarde tend à être éliminé. Ce qui nous regarde ne nous regarde pas. À partir de l’expérience d’être regardé que chacun de nous a effectué sur le terrain, il convient alors de délier le voir et l’avoir, le voir et le prendre. Car il existe un voir ethnographique qui peut nous conduire jusqu’aux limites du perdre et du se perdre. Tel me semble être l’attitude du wu wei : nous ne poursuivons pas à proprement parler un but, nous ne visons pas un résultat, nous ne cherchons pas à capter, capturer, maîtriser, saisir, prendre mais à nous déprendre de cette position vectorielle qui est celle de la conquête. Une observation par imprégnation doit être distinguée d’une observation par concentration et fixation. Or nous avons résolument privilégié être concentré sur au détriment d’être absorbé par. La concentration permet certes le discernement mais peut aussi conduire à la discrimination. Wu wei n’est pas pour autant la sidération et encore moins la possession. Ce n’est pas la vigilance sans être pour autant la somnolence. Ce n’est ni l’impatience ni la nonchalance mais ce que j’appellerai une passivité affairée. C’est une attitude qui est assez proche de ce que Rousseau appelle la rêverie : la conscience errante et flottante non orientée vers un but particulier. Ce régime de connaissance (mais d’abord de perception) peut être figuré par un éventail ouvert permettant une amplitude maximum. Une démarche d’observation rigoureuse fécondée par le wu wei consiste à mettre nos perceptions en état d’éveil mais aussi en état de variation continue en ne cherchant pas à les dompter, à les organiser et à les orienter en vue d’un résultat ou d’une résolution finale. Tout doit être considéré et d’abord perçu à égalité et aucun réglage des sensations ne doit être effectué à partir d’une position centrale éliminant ce qui ne serait pas digne d’intérêt. Il y a de la spontanéité dans le wu-wei qui défait ce qui est de l’ordre de l’intention, de la volonté et des illusions du sujet croyant dominer « son » objet et maitriser « son » terrain. Mais cette spontanéité n’a aucune connotation anti-intellectualiste (Confucius 2006). Elle consiste simplement dans une disponibilité à l’évènement. Or force est de constater que la tendance principale de la rationalité scientifique européenne nous apprend à nous engager dans une toute autre direction. Elle est encore tributaire d’un héritage hellénique qui peut être qualifié de thétique au sens grec de témi, poser, affirmer, défendre une position, soutenir une thèse, ce qui peut contribuer à un blocage de l’attention sur une posture exclusive. Cette attitude privilégie la préhension (qui peut devenir prédation), le recueil au détriment de l’accueil, des dispositifs d’objectivation au détriment des dispositions du chercheur, bref des opérations de forçage (consistant à ramener l’inconnu au connu) au détriment de ce que l’on appelle en psychanalyse un processus de frayage. La disponibilité dans l’imprégnation du terrain ne peut être dans ces conditions considérée que comme une invasion, une dispersion et une déperdition de soi. Dans le wu wei, la position affirmative n’est pas à proprement parler congédiée mais suspendue dans une expérience qui n’est plus celle du vieil idéalisme européen de la conscience lucide et de la maîtrise de soi-même et des autres. C’est une attitude qui est faite d’ajustements successifs, de patience et de prudence. Elle ne consiste pas à accepter, mais plutôt à ne pas s’opposer avec précipitation, à s’imprégner de ce qui advient, survient, devient, revient, à laisser agir en soi des situations en perpétuelle transformation. Il convient dans ce qui ne peut plus être exactement considéré comme une perspective mais une ouverture des perceptions de suspendre ce qui est volontaire : non plus adopter une position (de principe) mais s’adapter aux situations. Le wu wei n’est pas un point d’arrivée mais de départ qui peut redonner du souffle à l’anthropologie. Il permet, dans un cheminement long, lent et méthodique, une plus grande marge de manœuvre et est susceptible d’affiner le moment ethnographique de l’anthropologie. Car malgré tout le travail effectué par les fondateurs de notre discipline, la notion même d’ethnographie demeure une notion balbutiante, laissée en friche en marge des constructions théoriques et quelque peu abandonnée épistémologiquement soit à des protocoles fonctionnels soit au bon vouloir de chacun. L’ethnographie se trouve en quelque sorte coincée entre des techniques objectives éprouvées et la bonne volonté. Le wu wei peut débloquer cette situation en ouvrant à des possibles qui n’avaient pas été essayés. Ce que nous apprendrons au contact de la Chine et du Japon est que le réel a un caractère non pas structurel ni à l’inverse pulsionnel, mais pulsatif, processuel, évènementiel et situationnel. Or cette pulsation rythmique de la respiration est aussi la pulsation rythmique de la méthode. Elle a des implications très concrètes en ethnographie et en anthropologie qui ont elles aussi besoin de respirer. L’ethnographie positiviste en effet ne respire pas assez. Elle est arythmique et étrangère au mouvement du vivant fait de flux et de reflux, de traits et de retraits, d’apparition et de disparition alors que ce mouvement même est susceptible d’inspirer la méthode. Quant à l’anthropologie académique, elle s’en tient souvent à une opération de construction dans lequel différents éléments sont assemblés pour constituer une totalité supérieure (Saillant, Kilani, Graezer-Bideau 2011). La voie négative du wu wei n’est pas moins opératoire et n’est pas moins « moderne » que la négativité à la manière de Freud ou d’Ardono. Si nous désencombrons cette notion formée dans la matrice taoïste de significations trop chargées, si nous la libérons de son carcan ésotérique pour la restituer à sa vocation anthropologique, nous nous apercevons que le taoïsme n’a rien d’un théisme. La voie inspirée par le wu wei est celle d’une désubstantialisation et d’une désessentialisation de notre rapport au réel. Elle provoque une déstabilisation mais ne doit pas être confondue avec le relativisme et encore moins avec l’idée occidentale de nihilisme. Elle en est même le contraire. S’imprégner méthodiquement de ce qui est en train de se passer et de passer ne conduit nullement à un renoncement, à la manière bouddhiste d’une dissolution du réel qui aurait un caractère illusoire, mais à une dé hiérarchisation des cultures et à une désabsolutisation des valeurs
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Dunoyer, Christiane. « Monde alpin ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.101.

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Résumé :
Après avoir été peint et décrit avec des traits plus pittoresques qu’objectifs par les premiers voyageurs et chercheurs qui traversaient les Alpes, mus tantôt par l’idée d’un primitivisme dont la difformité et la misère étaient l’expression la plus évidente, tantôt par la nostalgie du paradis perdu, le monde alpin a attiré le regard curieux des folkloristes à la recherche des survivances du passé, des anciennes coutumes, des proverbes et des objets disparus dans nombre de régions d’Europe. Au début du XXe siècle, Karl Felix Wolff (1913) s’inspire de la tradition des frères Grimm et collecte un nombre consistant de légendes ladines, avec l’objectif de redonner une nouvelle vie à un patrimoine voué à l’oubli. Tout comme les botanistes et les zoologues, les folkloristes voient le monde alpin comme un « merveilleux conservatoire » (Hertz 1913 : 177). Un des élèves les plus brillants de Durkheim, Robert Hertz, analyse finement ces « formes élémentaires de la vie religieuse » en étudiant le pèlerinage de Saint Besse, qui rassemble chaque année les populations de Cogne (Vallée d’Aoste) et du Val Soana (Piémont) dans un sanctuaire à la montagne situé à plus de 2000 mètres d’altitude. Après avoir observé et questionné la population locale s’adonnant à ce culte populaire, dont il complète l’analyse par des recherches bibliographiques, il rédige un article exemplaire (Hertz 1913) qui ouvre la voie à l’anthropologie alpine. Entre 1910 et 1920, Eugénie Goldstern mène ses enquêtes dans différentes régions de l’arc alpin à cheval entre la France, la Suisse et l’Italie : ses riches données de terrain lui permettent de réaliser le travail comparatif le plus complet qui ait été réalisé dans la région (Goldstern 2007). Une partie de sa recherche a été effectuée avec la supervision de l’un des fondateurs de l’anthropologie française et l’un des plus grands experts de folklore en Europe, Arnold Van Gennep. Pour ce dernier, le monde alpin constitue un espace de prédilection, mais aussi un terrain d’expérimentation et de validation de certaines hypothèses scientifiques. « Dans tous les pays de montagne, qui ont été bien étudiés du point de vue folklorique […] on constate que les hautes altitudes ne constituent pas un obstacle à la diffusion des coutumes. En Savoie, le report sur cartes des plus typiques d’entre elles montre une répartition nord-sud passant par-dessus les montagnes et les rivières et non pas conditionnée par elles » (Van Gennep 1990 : 30-31). L’objectif de Van Gennep est de comprendre de l’intérieur la « psychologie populaire », à savoir la complexité des faits sociaux et leur variation. Sa méthode consiste à « parler en égal avec un berger » (Van Gennep 1938 : 158), c’est-à-dire non pas tellement parler sa langue au sens propre, mais s’inscrire dans une logique d’échange actif pour accéder aux représentations de son interlocuteur. Quant aux nombreuses langues non officielles présentes sur le territoire, quand elles n’auraient pas une fonction de langue véhiculaire dans le cadre de l’enquête, elles ont été étudiées par les dialectologues, qui complétaient parfois leurs analyses des structures linguistiques avec des informations d’ordre ethnologique : les enseignements de Karl Jaberg et de Jakob Jud (1928) visaient à associer la langue à la civilisation (Wörter und Sachen). Dans le domaine des études sur les walsers, Paul Zinsli nous a légué une synthèse monumentale depuis la Suisse au Voralberg en passant par l’Italie du nord et le Liechtenstein (Zinsli 1976). Comme Van Gennep, Charles Joisten (1955, 1978, 1980) travaille sur les traditions populaires en réalisant la plus grande collecte de récits de croyance pour le monde alpin, entre les Hautes-Alpes et la Savoie. En 1973, il fonde la revue Le monde alpin et rhodanien (qui paraîtra de 1973 à 2006 en tant que revue, avant de devenir la collection thématique du Musée Dauphinois de Grenoble). Si dans l’après-guerre le monde alpin est encore toujours perçu d’une manière valorisante comme le reliquaire d’anciens us et coutumes, il est aussi soumis à la pensée évolutionniste qui le définit comme un monde arriéré parce que marginalisé. C’est dans cette contradiction que se situe l’intérêt que les anthropologues découvrent au sein du monde alpin : il est un observatoire privilégié à la fois du passé de l’humanité dont il ne reste aucune trace ailleurs en Europe et de la transition de la société traditionnelle à la société modernisée. En effet, au début des années 1960, pour de nombreux anthropologues britanniques partant à la découverte des vallées alpines le constat est flagrant : les mœurs ont changé rapidement, suite à la deuxième guerre mondiale. Cette mutation catalyse l’attention des chercheurs, notamment l’analyse des relations entre milieu physique et organisation sociale. Même les pionniers, s’ils s’intéressent aux survivances culturelles, ils se situent dans un axe dynamique : Honigmann (1964, 1970) entend démentir la théorie de la marginalité géographique et du conservatisme des populations alpines. Burns (1961, 1963) se propose d’illustrer la relation existant entre l’évolution socioculturelle d’une communauté et l’environnement. Le monde alpin est alors étudié à travers le prisme de l’écologie culturelle qui a pour but de déterminer dans quelle mesure les caractéristiques du milieu peuvent modeler les modes de subsistance et plus généralement les formes d’organisation sociale. Un changement important a lieu avec l’introduction du concept d’écosystème qui s’impose à partir des années 1960 auprès des anthropologues penchés sur les questions écologiques. C’est ainsi que le village alpin est analysé comme un écosystème, à savoir l’ensemble complexe et organisé, compréhensif d’une communauté biotique et du milieu dans lequel celle-ci évolue. Tel était l’objectif de départ de l’étude de John Friedl sur Kippel (1974), un village situé dans l’une des vallées des Alpes suisses que la communauté scientifique considérait parmi les plus traditionnelles. Mais à son arrivée, il découvre une réalité en pleine transformation qui l’oblige à recentrer son étude sur la mutation sociale et économique. Si le cas de Kippel est représentatif des changements des dernières décennies, les différences peuvent varier considérablement selon les régions ou selon les localités. Les recherches d’Arnold Niederer (1980) vont dans ce sens : il analyse les Alpes sous l’angle des mutations culturelles, par le biais d’une approche interculturelle et comparative de la Suisse à la France, à l’Italie, à l’Autriche et à la Slovénie. John Cole et Eric Wolf (1974) mettent l’accent sur la notion de communauté travaillée par des forces externes, en analysant, les deux communautés voisines de St. Felix et Tret, l’une de culture germanique, l’autre de culture romane, séparées par une frontière ethnique qui fait des deux villages deux modèles culturels distincts. Forts de leur bagage d’expériences accumulées dans les enquêtes de terrain auprès des sociétés primitives, les anthropologues de cette période savent analyser le fonctionnement social de ces petites communautés, mais leurs conclusions trop tributaires de leur terrain d’enquête exotique ne sont pas toujours à l’abri des généralisations. En outre, en abordant les communautés alpines, une réflexion sur l’anthropologie native ou de proximité se développe : le recours à la méthode ethnographique et au comparatisme permettent le rétablissement de la distance nécessaire entre l’observateur et l’observé, ainsi qu’une mise en perspective des phénomènes étudiés. Avec d’autres anthropologues comme Daniela Weinberg (1975) et Adriana Destro (1984), qui tout en étudiant des sociétés en pleine transformation en soulignent les éléments de continuité, nous nous dirigeons vers une remise en cause de la relation entre mutation démographique et mutation structurale de la communauté. Robert Netting (1976) crée le paradigme du village alpin, en menant une étude exemplaire sur le village de Törbel, qui correspondait à l’image canonique de la communauté de montagne qu’avait construite l’anthropologie alpine. Pier Paolo Viazzo (1989) critique ce modèle de la communauté alpine en insistant sur l’existence de cas emblématiques pouvant démontrer que d’autres villages étaient beaucoup moins isolés et marginaux que Törbel. Néanmoins, l’étude de Netting joue un rôle important dans le panorama de l’anthropologie alpine, car elle propose un nouvel éclairage sur les stratégies démographiques locales, considérées jusque-là primitives. En outre, sur le plan méthodologique, Netting désenclave l’anthropologie alpine en associant l’ethnographie aux recherches d’archives et à la démographie historique (Netting 1981) pour compléter les données de terrain. La description des interactions écologiques est devenue plus sophistiquée et la variable démographique devient cruciale, notamment la relation entre la capacité de réguler la consistance numérique d’une communauté et la stabilité des ressources locales. Berthoud (1967, 1972) identifie l’unité de l’aire alpine dans la spécificité du processus historique et des différentes trajectoires du développement culturel, tout en reconnaissant l’importance de l’environnement. C’est-à-dire qu’il démontre que le mode de production « traditionnel » observé dans les Alpes n’est pas déterminé par les contraintes du milieu, mais il dérive de la combinaison d’éléments institutionnels compatibles avec les conditions naturelles (1972 : 119-120). Berthoud et Kilani (1984) analysent l’équilibre entre tradition et modernité dans l’agriculture de montagne dans un contexte fortement influencé par le tourisme d’hiver. Dans une reconstruction et analyse des représentations de la montagne alpine depuis la moitié du XVIIIe siècle à nos jours, Kilani (1984) illustre comment la vision du monde alpin se dégrade entre 1850 et 1950, au fur et à mesure de son insertion dans la société globale dans la dégradation des conditions de vie : il explique ainsi la naissance dans l’imaginaire collectif d’une population primitive arriérée au cœur de l’Europe. Cependant, à une analyse comparative de l’habitat (Weiss 1959 : 274-296 ; Wolf 1962 ; Cole & Wolf 1974), de la dévolution patrimoniale (Bailey 1971 ; Lichtenberger 1975) ou de l’organisation des alpages (Arbos 1922 ; Parain 1969), le monde alpin se caractérise par une surprenante variation, difficilement modélisable. Les situations de contact sont multiples, ce qui est très évident sur le plan linguistique avec des frontières très fragmentées, mais de nombreuses autres frontières culturelles européennes traversent les Alpes, en faisant du monde alpin une entité plurielle, un réseau plus ou moins interconnecté de « upland communities » (Viazzo 1989), où les éléments culturels priment sur les contraintes liées à l’environnement. Aux alentours de 1990, la réflexion des anthropologues autour des traditions alpines, sous l’impulsion de la notion d’invention de la tradition, commence à s’orienter vers l’étude des phénomènes de revitalisation (Boissevain 1992), voire de relance de pratiques ayant subi une transformation ou une rupture dans la transmission. Cette thèse qui a alimenté un riche filon de recherches a pourtant été contestée par Jeremy MacClancy (1997) qui met en avant les éléments de continuité dans le culte de Saint Besse, presqu’un siècle après l’enquête de Robert Hertz. La question de la revitalisation et de la continuité reste donc ouverte et le débat se poursuit dans le cadre des discussions qui accompagnent l’inscription des traditions vivantes dans les listes du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
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Tremon, Anne-christine. « Tribut ». Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.129.

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Résumé :
Le tribut peut être défini comme le prélèvement d’un surplus par une entité, le plus souvent étatique, détentrice du pouvoir. Il en est le socle, puisque son prélèvement finance les infrastructures (routes, canaux, ou encore systèmes d’irrigation), mais aussi l’appareil administratif et militaire. La forme la plus générale du tribut est celle de la taxation, mais le prélèvement peut aussi en prendre d’autres : corvées, monopoles étatiques sur certains biens, nationalisations, et même cadeau offert par un citoyen à un fonctionnaire d’État (Yan 1996), ou encore par un État tributaire à une puissance hégémonique. Par ces prélèvements, des richesses privées sont généralement transformées (ou sont censées l’être) en biens et services procurés par la puissance extractrice. L’attention réduite versée par l’anthropologie économique au tribut tient probablement à ce qu’il échappe aux grandes dichotomies que celle-ci a échafaudées, et qui continuent à la préoccuper, même si c’est dans le but de les dépasser. Sa singularité le place hors du radar du sous-champ de l’anthropologie en raison de la focalisation de celle-ci sur deux statuts des choses et des transactions, présentés comme étant plus ou moins étanches : le don et la marchandise. Il ne relève pas du domaine des marchandises, puisque les mécanismes d’extraction du tribut ne s’inscrivent pas dans les rapports de production capitalistes. Il n’appartient pas non plus à la sphère du don contre-don maussien, caractérisée par la réciprocité. Parce qu’il échappe aux logiques du marché et qu’il permet l’existence d’une économie redistributive (l’État-providence), le tribut s’apparente pourtant à l’économie du don plutôt qu’à l’économie marchande. La distinction proposée par Alain Testart (2007) entre don et échange (marchand et non marchand) permet d’affiner la définition du tribut. Selon Testart, le don est un transfert non exigible impliquant la renonciation à tout droit sur le bien transféré et sans attente de contrepartie autre que morale, alors que l’échange est un transfert dont la contrepartie est juridiquement exigible. Or les corvées, amendes et taxes de toutes sortes sont dépourvues de la contrainte de contrepartie, mais elles sont exigibles. Alain Testart nomme ce type de prestation « transfert du troisième type, t3t »; il se distingue du don en ce qu’il est exigible, et de l’échange en ce qu’il est dépourvu de contrepartie juridiquement exigible. Le tribut en est un, et probablement le principal (la plupart des t3t correspondent au tribut, à l’exception de certains transferts spécifiques tels que le versement d’une pension alimentaire). On pourrait donc, en amendant l’appellation de Testart, avancer que le tribut est un « t3t » c’est-à-dire un transfert du troisième type en direction ascendante dans la hiérarchie. La clarification conceptuelle opérée par Testart et son prolongement par François Athané (2011) sont importantes et nécessaires. Il paraît toutefois judicieux d’intégrer le brouillage habituel des catégories à l’analyse de la notion, puisqu’il est en lui-même significatif. En effet, si le tribut n’est pas un don selon la définition de Testart, il peut en prendre l’apparence, être présenté comme un abandon librement consenti. Et s’il ne donne pas lieu à une contrepartie exigible, il est néanmoins souvent justifié au nom d’une contrepartie rendue sous forme de services. Les manipulations et justifications morales et idéologiques dont il fait l’objet doivent donc être intégrées à sa définition. On y reviendra après avoir examiné la place qu’a tenu le tribut dans les écrits des anthropologues. Outre son statut particulier au regard des autres formes de prestation qui ont davantage été au cœur de leurs préoccupations, le don ainsi que les échanges non marchands, la centralité de la notion de réciprocité a relégué à l’arrière-plan les « dons » hiérarchiques ainsi que toutes les formes de transferts unilatéraux obligatoires. C’est sans doute de la part des anthropologues travaillant avec le concept marxiste de mode de production que le tribut a reçu le plus de considération. Samir Amin a résumé dans une formule efficace ce qui distingue le mode tributaire du mode capitaliste : dans le second, le pouvoir est mis au service de l’accumulation de richesses, tandis que dans le premier, ce sont les richesses qui sont mises au service de l’accumulation de pouvoir (Amin 2011). Eric Wolf (1982) a déployé ce distinguo pour examiner comment le mode de production capitaliste s’est étendu sur la surface du globe avec l’expansion impériale européenne, entrant en contact avec des modes de production « basés sur la parenté » ou « tributaires » qui prévalaient chez les populations non européennes. Les anthropologues ont abandonné les approches en termes de mode de production pour deux ensembles de raisons. La première est l’économicisme sous-jacent à la caractérisation typologique de sociétés selon leur mode de production dominant, qui réduit ainsi « des sociétés entières à de simples réserves de main d’œuvre » et ignorant leurs « formes de vie » (Friedman 1987, 84). Wolf entendait pourtant précisément éviter une telle dérive typologisante, entendant en faire un outil pour « révéler les relations politico-économiques qui sous-tendent, orientent et contraignent l’interaction » (1982, 76). L’emploi qu’en fait Emmanuel Terray (1995) dans son étude de la genèse du royaume abron met d’ailleurs en relief l’articulation entre modes de production tributaire, esclavagiste, capitalistique et domestique d’une manière qui n’a rien d’évolutionniste. La seconde raison est l’eurocentrisme qui conduit à faire du mode de production capitaliste un facteur déterminant de la trajectoire singulière de l’Europe et explicatif de sa domination sur le reste du monde. Ce dernier n’aurait su résister à l’agression européenne parce que son mode d’organisation économique, qu’il soit basé sur la parenté ou sur le tribut, aurait provoqué un retard et une faiblesse qui l’auraient rendu vulnérable aux incursions de l’impérialisme capitaliste européen. Cette thèse s’applique tout particulièrement à la Chine. C’est dans un sens à la fois non évolutionniste et non eurocentrique que Hill Gates (1996) a proposé une lecture de l’histoire de la Chine sur une durée d’un millénaire basée sur l’idée d’une articulation entre modes de production tributaire (MPT) et « capitalistique ». Le MPT est le mode de production de l’État impérial chinois, dont la classe des fonctionnaires lettrés prélève un surplus sur les classes productives (paysans, petits capitalistes, travailleurs) à travers des taxes et des corvées. Contrairement à ce qu’avait pu écrire Marx à propos du « mode de production asiatique », l’État chinois n’était pas inerte ni immobile mais animé par la tension entre des tendances, plus ou moins affirmées selon les époques, à l’accumulation capitalistique, ainsi que les réponses en provenance de la classe dirigeante qui cherchait à les contenir à l’intérieur du cadre de la puissance tributaire (Gates1996 : 273). Les lignages des propriétaires terriens qui produisaient en partie pour le marché, ou les marchands, tout particulièrement ceux qui participaient au commerce étranger, agissaient en tant que capitalistes; « toutefois, leur influence n’a jamais été suffisante pour désarçonner le pouvoir tributaire et permettre à une véritable classe capitaliste d’émerger (Gates1996 : 112). Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Gates suggère que la Chine contemporaine demeure caractérisée par un mode tributaire, maintenu par les révolutionnaires communistes et qui continue à modeler les relations entre citoyens ordinaires et officiels chinois (1996 : 269). Ellen Hertz (1998) s’appuie sur les propositions de Gates pour interpréter la fièvre qui s’est emparée de la première bourse ouverte à Shanghai au début des années 1990, signe de la transition chinoise vers le capitalisme initiée dix ans plus tôt, et qui a vu s’opposer le pouvoir « des masses » au pouvoir étatique. Cette opposition peut être expliquée par la tension entre un mode de production capitalistique (les petits porteurs) et le mode de production tributaire (l’État). Ce dernier, agissant à la manière d’un seigneur tributaire, a cherché à canaliser l’épargne de ses citoyens de façon à soutenir son économie en transition. Gates concilie le sens élargi de la notion de tribut tel que présenté en introduction et le sens restreint que lui confèrent les historiens mais aussi ceux d’entre les anthropologues qui se sont intéressés à sa dimension cosmologique et civilisationnelle. En effet, le système tributaire a été constitutif de l’empire chinois, qui était conçu sur le plan cosmologique comme un « royaume territorial bordé de suzerains tributaires » (Feuchtwang 1992 :26, cf. également Sahlins 1994). Les origines des fengshan, désignation officielle des cérémonies au cours desquelles le tribut était versé, sont incertaines. Ils seraient apparus sous les Zhou orientaux (771-256 av. J-C.), c’est-à-dire durant la période des Printemps et Automnes, suivie par celle des Royaumes combattants. C’est à partir de la dynastie Tang (618-907) que le système tributaire s’est renforcé, et il s’est maintenu jusqu’au Qing. En échange du tribut (gong), les tributaires recevaient les faveurs (enci) de l’empereur au même titre que les vassaux internes. Wang Mingming souligne que la relation à l’État engagée dans le « mode de production » selon Gates est la même que celle qui relie la cour impériale au monde extérieur (2012 : 345). Réciproquement, Gates indique que le mode tributaire est inséparable de la totalité de la cosmologie civilisationnelle chinoise (1996 : 21). Ce sont précisément ces dimensions idéologiques et cosmologiques du tribut qui rendent compte de l’ambiguïté relative à son caractère volontaire ou contraint. De fait, c’est précisément l’existence d’un ordre hiérarchique dicté par les impératifs catégoriques de la cosmologie impériale, qui permet de comprendre non seulement le consentement au paiement du tribut mais même son caractère désirable, et qu’il fait qu’il peut prendre l’apparence d’un don, ou être présenté comme tel par le contributeur (cf Trémon 2019 pour un cas contemporain chinois). C’est aussi cette dimension cosmologique qui explique sa grande proximité avec le sacrifice. Tribut et sacrifice se distinguent par le fait que l’un constitue un transfert direct et le second un transfert indirect (Werbner 1990 : 272) à une entité supérieure. Robertson Smith, dont les écrits ont inspiré ceux de Durkheim et Mauss sur le sacrifice, avait suggéré que le sacrifice aux divinités ou aux ancêtres serait apparu chez les tribus nomadiques du désert du Sinaï sous la forme de la consommation sacrificielle de l’animal totémique, mais que ce sacrifice primitif aurait ensuite, avec la sédentarisation et sous l’action de l’État, suivi le modèle du tribut versé au chef ou au roi dans les sociétés hiérarchisées (Robertson Smith 1889 : 266-267 cité in Scubla 2005 : 147). Si cette proposition relève de la pure spéculation, normative qui plus est puisqu’elle est avancée par Robertson Smith dans un souci de démonstration de la supériorité du sacrifice chrétien, la distinction ainsi esquissée offre matière à penser : le sacrifice originel n’aurait rien d’un don, n’ayant pris cette forme que dans les sociétés à pouvoir centralisé, et le tribut le serait bien davantage, mais il serait dépourvu de l’idée de violence expiatoire associée au sacrifice. C’est pourquoi l’on ne saurait entièrement suivre la définition par David Graeber du tribut, placé dans la troisième catégorie d’une tripartition entre « communisme », « échange » et « hiérarchie » (dans une discussion précédente des modes de production (2006), il avait ignoré le mode tributaire). Celle-ci correspond d’assez près à celle proposée par Alain Testart (don, échange et t3t). Cependant, la façon dont il caractérise le tribut comme relevant de la pure contrainte violente exercée par l’État (2014 : 74) paraît insatisfaisante. Ceci tient en partie à ce que, à la différence de Testart, il établit les distinctions sur les bases de « modes de moralité », qu’il entend substituer aux « modes de production ». S’en tenant uniquement à une acception historiquement lointaine du « tribut » (il n’aborde pas l’impôt moderne), la définition morale qu’il en donne ne rend paradoxalement pas compte du consentement à l’impôt (elle n’explique que la résistance). Le tribut obéit selon lui à la logique du précédent, puisqu’un don offert à une puissance pour la première fois devient ensuite exigible d’année en année. Le tribut est donc un échange devenu transfert en raison des (fausses) promesses de contrepartie qui ont conduit à l’institutionnalisation du système. Cependant, ce qui fait toute la complexité du tribut est qu’il s’agit en effet d’un transfert exigible sans contrepartie exigible, mais qu’une contrepartie n’en est pas moins attendue. Nous pensons à la contrepartie de ce que nous versons à l’État. François Athané déconsidère cette façon de penser, qu’il juge inévitable et légitime, mais qui n’est qu’une « façon de penser et de parler » (2011 : 190) dont il conviendrait de ne pas tenir compte parce qu’elle viendrait polluer l’analyse. La contrepartie n’est jamais exigible dans le double sens où elle ne saurait pas toujours être appuyée par le droit, et où elle ne serait de toute manière pas mesurable (comment calculer la part de ce que je reçois en retour pour mes impôts?). Il n’en demeure pas moins que sans cette attente de réciprocité, les révoltes fiscales seraient bien plus nombreuses. C’est pourtant une façon de penser et de parler qui est chargée de sens et lourde de conséquences. C’est bien parce que des services et biens publics sont produits au moyen des prélèvements que la relation tributaire est rarement remise en cause, et réciproquement, que des révoltes fiscales apparaissent lorsque les services et biens publics ne paraissent pas remplir l’attente de contrepartie. Ces services et biens étant généralement essentiels à la reproduction sociale (au sens des anthropologues, cf. entre autres Weiner 1980), on pourrait réactualiser la notion en substituant à « modes de production » la notion de « modes de reproduction » (marchande, tributaire, etc.) (Trémon 2019 : chap. V). De même, la notion de « relation tributaire » à l’État inclut à la fois le tribut en tant que type de transfert (par contraste avec le don et l’échange) et la relation morale et idéologique qu’elle engage avec le destinataire du tribut. La notion de tribut est ainsi élargie au-delà des contextes historiques spécifiques des systèmes tributaires interétatiques centrés sur un hégémon, et dépouillée de ses relents eurocentriques et évolutionnistes – comme l’a souligné Jack Goody (2006 : 121), qui invitait dans son dernier livre à réactualiser le programme de recherche lancé par Eric Wolf, les États tributaires se trouvant « à l’ouest comme à l’est », et peut-on ajouter, au nord comme au sud
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Fresia, Marion. « Réfugiés ». Anthropen, 2017. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.049.

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Résumé :
Qu’elles soient liées à la persécution, la pauvreté, la sécheresse ou la recherche de meilleures conditions de vie, les sociétés humaines n’ont cessé d’être façonnées par des déplacements forcés de populations, massifs et soudains dans certains cas; continuels, de faible ampleur et liés à une mixité de facteurs le plus souvent. L’ancienneté et la permanence de la migration forcée contrastent avec la construction relativement récente des réfugiés comme problème social et politique devant faire l’objet d’un traitement bureaucratique spécifique. Bien que l’obligation de protéger les personnes persécutées se retrouve dans toutes les grandes traditions religieuses, ce n’est qu’au cours de la première moitié du XXe siècle que la notion de réfugié devient une catégorie juridique à part entière et qu’émerge, aux échelles transnationales et nationales, un ensemble de politiques, de normes et d’organisations dédiées aux questions d’asile. L’ampleur des déplacements de populations générés par les révolutions bolcheviques puis les deux guerres mondiales, et l’apparition du phénomène des « sans-États » suite au démantèlement des derniers grands empires européens, préoccupent les gouvernements d’Europe occidentale. Réfugiés et apatrides sont perçus comme une menace pour leur sécurité et un poids dans un contexte économique difficile. En même temps, certains voient un intérêt politique à accueillir les réfugiés qui fuient des pays ennemis (Gatrell 2013: 35). Parallèlement, l’aide humanitaire est en plein essor et renforce l’attention internationale portée sur les réfugiés en faisant d’eux des victimes à secourir (ibid: 20). Gouvernements et acteurs humanitaires chargent alors la Sociétés des nations (SDN) de réfléchir à l’élaboration d’un statut spécifique pour les réfugiés, afin de mieux les identifier, les prendre en charge mais aussi les contrôler. Avec la disparition de la SDN et les milliers de nouveaux déplacés de la deuxième guerre mondiale, c’est au Haut commissariat des Nations-Unies aux réfugiés (HCR) que les États confieront par la suite la mission de trouver une « solution durable au problème des réfugiés ». Une année plus tard, la Convention de Genève relative au statut de réfugiés est finalisée: elle énoncera un ensemble de droits associés au statut de réfugié dont elle donnera, pour la première fois, une définition générale, alors largement informée par le contexte de la guerre froide. Si l’institutionnalisation du « problème » des réfugiés apparaît comme une réponse à l’ampleur des mouvements de réfugiés provoqués par les deux guerres mondiales, elle est surtout indissociable de l’histoire des États-Nations et de l’affirmation progressive de leur hégémonie comme seule forme d’organisation politique légitime sur la scène internationale (Loescher et al., 2008: 8). Avec l’émergence, depuis les traités de Westphalie de 1648, d’États centralisés en Europe naît en effet la fiction qu’à un peuple devrait toujours correspondre un territoire et un État. À la fin du XIXe siècle, c’est aussi la montée des nationalismes européens qui fera du contrôle des mouvements de populations aux frontières et de la réalisation du principe d’homogénéité nationale un élément central de l’idéologie du pouvoir souverain. Cet ancrage de la figure contemporaine du réfugié dans le système des États-Nations se reflète bien dans la définition qu’en donne la Convention de Genève : « une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle; qui craint, avec raison, d’être persécutée du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de la dite crainte ». C’est bien la perte de la protection de l’État du pays d’origine et le franchissement d’une frontière internationale qui définissent, juridiquement, le réfugié, en plus du motif, très restreint, de persécution individuelle. Reprise dans presque toutes les législations nationales des 147 pays aujourd’hui signataires de la Convention, cette définition constitue désormais la pierre angulaire du traitement bureaucratique de l’asile à l’échelle globale. Bien qu’elle soit fortement contestée pour son caractère obsolète, étato-centré et peu flexible (Loescher et al. 2008: 98), elle reste à ce jour le seul instrument juridique qui confère au statut de réfugié une légitimité universelle. L’anthropologie a apporté une contribution majeure à la compréhension du phénomène des réfugiés, en mettant en avant l’expérience de la mobilité telle qu’elle est vécue par les individus, et non pas uniquement telle qu’elles est construite et définie par les catégories juridiques et les organisations humanitaires (Chatty 2014: 74). En s’intéressant aux dispositifs d’aide aux réfugiés, elle a également nourri plusieurs autres champs de réflexion de la discipline, tels que l’anthropologie juridique, l’anthropologie du développement, l’anthropologie des organisations et l’anthropologie médicale. À l’exception de quelques recherches pionnières (Colson 1971; Loizios 1981), c’est surtout à partir du milieu des années 1980 qu’une importante littérature se développe sur ces questions. Avec l’institutionnalisation de l’aide humanitaire et la globalisation progressive d’un traitement ordonné et spatialisé de la migration, le « problème » des réfugiés est de plus en plus visible, en particulier dans les pays du Sud, théâtres des conflits liés à la guerre froide mais aussi terrains de prédilection des anthropologues. L’anthropologie joue alors un rôle important dans la constitution des réfugiés en objet de savoir : c’est en effet à Barbara Harell-Bond que l’on doit la création, en 1982, du Refugee studies Center de l’Université d’Oxford, qui marquera l’autonomisation de la réflexion sur les réfugiés des études, plus larges, sur les migrations. Les premières recherches ethnographiques se focalisent sur l’Afrique et appréhendent les réfugiés en termes de liminalité : des personnes ayant subi un rite de séparation, qui se retrouvent dans un entre-deux, ni dedans, ni dehors. L’aide humanitaire, analysée en termes de dysfonctionnements, de charity business et de rapports de domination, y est fortement critiquée (Harrell-Bond 1986; Harrell-Bond et Vourtira 1992), tandis que l’agencéité et les coping strategies des réfugiés sont mis en avant pour déconstruire la figure du réfugié dépendant de l’aide (Kibreab 1993). Parce qu’elles cherchaient à rester pertinentes du point de vue de l’action, ces premiers travaux sont souvent restés teintés d’un certain misérabilisme et n’ont pas véritablement déconstruit le cadre épistémologique sur lequel le système d’asile se fonde (Chatty 2014: 80). Il faudra attendre les travaux de Malkki (1995) pour le faire et pour questionner, plus largement, la pertinence d’utiliser la notion de « réfugié » comme catégorie d’analyse. Mobilisant les apports des études postmodernes et transnationales, Malkki s’attaque en particulier à la métaphore de l’enracinement. Elle montre comment les refugee studies sont restées encastrées dans l’« ordre national des choses », soit dans une vision sédentaire, nationale et territorialisée des appartenances identitaires qui n’appréhende la perte du lien à l’État-nation et la mobilité qu’en termes d’anormalité et de dépossession. Dénaturalisant les liens entre cultures et territoires, Malkki rappelle ainsi que les réfugiés n’occupent une situation liminale qu’au regard du système des États-Nations. Son travail amènera les refugee studies à redéfinir leur objet autour de la notion de « migration forcée », plus à même de capturer à la fois l’agencéité des acteurs dans les processus migratoires, et les contraintes qui les influencent (Van Hear 2011). Dans son héritage, plusieurs études ont alors cherché à documenter les parcours des réfugiés en dehors de leur seule relation au cadre juridique qui les définit : elles ont montré que les individus transcendent sans cesse les catégories d’appartenance nationales, mais également les frontières établies par la bureaucratie de l’asile entre réfugiés politiques et migrants économiques. Les stratégies socio-économiques se construisent sur la mobilité, souvent très valorisée, dans des rapports complexes à une diversité de lieux distants auxquels les camps sont incorporés (Monsutti 2005; Horst 2006). Tandis que les rapports d’appartenance se définissent par le maintien de mémoires, de pratiques et de relations sociales, qui se tissent, bien souvent, à cheval entre divers territoires ou en relation à une nation imaginée. Ces réflexions déboucheront finalement sur une critique plus large des politiques d’asile qui n’envisagent la solution au « problème » des réfugiés qu’en termes de rapatriement ou d’intégration, sans tenir compte de l’importance de la dimension transnationale des pratiques ordinaires (Backewell 2002; Long 2014) ni de la dimension problématique du retour « chez soi » (Allen 1996). Pratiques transnationales et renforcement du sentiment d’appartenance nationale, souvent exacerbé par la politisation des camps et des diasporas, peuvent néanmoins aller de pairs, l’enjeu étant alors de penser ces deux phénomènes de manière dialogique et de comprendre les rapports de classe, de genre ou d’ethnicité qui s’y jouent (Fresia 2014a). Parallèlement aux travaux centrés sur les vécus des réfugiés, les années 2000 sont marquées par une nouvelle vague d’études critiques envers la bureaucratie de l’asile et l’aide humanitaire. Parce qu’ils rendent visibles, en la spatialisant, la figure contemporaine du réfugié, les camps deviennent des lieux d’enquête particulièrement privilégiés, au point de voir émerger une véritable campnography. Inspirée par la philosophie politique de Giorgio Agamben, celle-ci les décrit comme des espaces de confinement, des hors lieux caractérisés par un régime d’exception: quelque que soit leur degré d’ouverture ou de fermeture, ils ont pour caractéristique de suspendre la reconnaissance d’une égalité politique entre leurs occupants et les citoyens ordinaires (Agier 2014: 20; Fassin et Pondolfi 2010). Ambivalents, les camps sont, en même temps, analysés comme de nouveaux lieux de socialisation, réinvestis de sens. Souvent marqués par une forte agitation politique, ils sont aussi des espaces de mobilisations. Incoporés dans des réseaux d’échanges économiques, ils se transforment, et durent jusqu’à devenir de nouvelles marges urbaines ordinaires (Agier 2014: 27). Constitués en lieux de mémoire des injustices passées ou présentes, mais aussi de projections vers un futur incertain, ils deviennent des sites privilégiés où observer la fabrique et l’expression de nouvelles formes de citoyenneté aux marges de l’État (Turner 2010; Fresia and Von Kanel 2014; Wilson, 2016). Très riche, cette campnography a parfois eu tendance à n’envisager les réfugiés que dans un seul face à face avec le « gouvernement humanitaire », délaissant ainsi une réflexion plus large sur la manière dont les camps sont aussi enchâssés et régulés par d’autres normes (droits coutumiers, droits de l’homme) que le seul régime d’exception que leur statut légitime. Autre élément constitutif de la bureaucratie de l’asile, les dispositifs de tri, chargés de distinguer les réfugiés des migrants, ont également fait l’objet de récentes études ethnographiques, marquant une ouverture de la réflexion sur des contextes européens et nord-américains. Leurs auteurs mettent en exergue la dimension fondamentalement située, négociée et contingente des pratiques d’octroi du statut de réfugiés ainsi que les normes implicites qui les régulent (Good 2007; Akoka 2012). Ils montrent comment la formalisation croissante de ces pratiques contribuent à naturaliser toujours plus la distinction entre vrais et faux réfugiés, mais aussi à dépolitiser les registres des demandes d’asile considérées comme légitimes, de plus en plus appréhendées à travers le vocabulaire de la compassion, du trauma et de la souffrance (D’Halluin-Mabillot 2012; Zetter 2007). Enfin, après avoir été « enrollés » dans le HCR pour un temps, certains anthropologues ont commencé à documenter, de manière empirique, le rôle de cette nébuleuse bureaucratique dans la globalisation du traitement bureaucratisé de l’asile, et les modalités concrètes d’exercice de son autorité, en montrant comment celles-ci reproduisent sans cesse un ordre national des choses lui-même à l’origine du « problème » des réfugiés (Scalletaris 2013; Sandvik et Jacobsen 2016 ; Fresia 2014b). Outre les enjeux d’accès aux bureaucraties de l’asile et la difficulté de reconstituer des parcours de vie souvent multi-situés, l’étude des migrations forcées n’a cessé de poser un enjeu épistémologique de taille à l’anthropologie : celui de réussir à penser la problématique de la mobilité, liée à des contextes de guerres ou de persécution, autrement qu’au travers des seuls espaces et labels produits par le régime de l’asile, mais tout en prenant « au sérieux » ce régime, son mode de (re)production et ses effets structurants sur le vécu des individus. À ce titre, un important travail de décentrement et d’historicisation reste à faire pour saisir la manière dont les espaces bureaucratiques de l’asile s’enchâssent, tout en les modifiant, dans des espaces migratoires et des dynamiques socio-historiques qui leur préexistent, et s’articulent à une pluralité plus large de normes et de régimes de droits, qui ne relèvent pas de la seule institution de l’asile. Continuer à documenter la manière dont les personnes trouvent des formes de protection et de solidarité en dehors des seuls dispositifs bureaucratiques de l’asile apparaît aussi comme un impératif pour pouvoir penser le phénomène de la mobilité sous contrainte et les réponses qu’on peut lui apporter autrement ou différemment.
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Desveaux, Emmanuel. « Parenté ». Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.102.

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Au milieu du XIXe siècle, Henry L. Morgan, un avocat américain puritain, fait une découverte considérable : dans toutes les langues humaines, il existe un ensemble de termes servant à désigner les différents types de parents. Si ces mots appartiennent à la langue, la façon dont se répartit leur usage répond à des principes logiques qui la dépassent dans la mesure où ils se retrouvent dans des langues voisines — ou éloignées — qui n’ont rien de commun. La somme des termes de parenté d’une langue forme ainsi une nomenclature, et celle-ci est, de façon universelle, égocentrée. Le fait qui illustre le mieux le caractère métalinguistique du fait nomenclatural réside dans la dichotomie qui prévaut dans de très nombreuses langues — en Amérique, en Australie ou encore en Océanie — entre cousins-parallèles(ceux qui sont issus du frère du père ou de la sœur de la mère), assimilés à des frères et sœurs, et les cousins-croisés(issus de la sœur du père ou du frère de la mère) parmi lesquels il est très souvent possible, voire parfois même obligatoire, de choisir un partenaire matrimonial. Ainsi une règle abstraite engendre les cousins-croisés, à savoir l’inversion de sexe au sein des fratries respectives de mes parents. D’autres règles d’ordre logique prévalent, bien qu’elles soient moins à même de retenir l’attention de la pensée occidentale car elles lui sont coutumières, telles que la différence entre les générations (grands-parents, parents, enfants, petits-enfants) ou la collatéralité (oncles, tantes, neveux et nièces). Surgissent enfin çà et là, notamment en Amérique, mais également en Afrique, d’autres règles qui paraissent encore plus déroutantes que la catégorie de cousins-croisés, telle que l’inclinaison générationnelle. Les Indiens des Plaines nord-américaines en offrent des beaux exemples, d’où l’appellation de systèmes Crow-Omaha, noms de deux tribus de cette région. Dans ce cas, l’individu a des parents appartenant à la même génération biologique que lui, mais qu’il désigne par des termes tels « grand-père », « grand-mère » ou « petit-fils, petite-fille ». Que signifie ce dispositif langagier et son universalité ? Notons alors qu’il s’oppose à un autre dispositif, tout aussi universel, de désignation des individus : celui des noms propres. Ces derniers sont conférés à l’individu, par exemple en vertu du baptême ou d’un autre rite de passage. Ils relèvent toujours d’une métaphore, puisque les noms propres possèdent toujours une signification commune préalable. Le dispositif de la nomenclature de parenté procède, quant à lui, par métonymie; il permet à l’individu, lors de son apprentissage de la langue, de s’approprier cognitivement la relation qu’il entretient avec les personnes qui l’entourent, puis de proche en proche de désigner par lui-mêmeceux qui sont liés à lui. Les deux dispositifs de désignation, l’un passif, l’autre actif, se révèlent universels, bien qu’ils connaissent respectivement de grandes variations, notamment d’étiquette, selon les cultures (Désveaux 2013 : 254). Le fait que les termes de parenté doivent être compris comme les compléments inverses des noms propres nous permet d’affirmer que la parenté en tant que telle renvoie en priorité à l’inscription de l’individu dans l’ordre social par le biais du langage. Ce point a été largement occulté par les parentalistes, car ils sont restés dans leur grande majorité fidèles au moule théorique hérité de Morgan, qui fait de la nomenclature tantôt le marqueur d’une évolution cognitive en quête d’une vérité biologique, tantôt l’expression de principes d’organisation sociale extérieurs à elle. L’inventeur de la parenté avait en effet tiré deux grandes conclusions de ses recherches comparées sur les nomenclatures. Primo, les longs progrès de l’humanité la conduisent à identifier et à isoler la famille nucléaire, dont la famille occidentale offre le modèle accompli. Nos langues ne distinguent-elles l’oncle du père, la tante de la mère, les frères des cousins, etc. ? Selon Morgan (1871), ces nomenclatures seraient descriptivescar elles attesteraient de la réalité des relations biologiques qui relient les individus. Il oppose la lucidité inhérente à nos nomenclatures au caractère aveugle des nomenclatures de la majorité des peuples exotiques primitifs qui, dites classificatoires, rangent dans une même catégorie, ou même classe, des frères et des cousins. Secundo, les termes de parenté reflètent des manières de cohabiter. Ainsi, là où des cousins s’appellent « frère », c’est parce que la société vit encore dans un état de promiscuité qui fait que des enfants issus de couples de géniteurs différents partagent la même maison, autrement dit vivent dans une « famille élargie ». Un premier courant des études de parenté, très présent aux États-Unis, va s’attacher à montrer que les systèmes de parenté, dans toutes les sociétés, même les plus « primitives », visent à certifier le lien « biologique » entre un homme et ses enfants (Sheffler 1973, pour une critique de ce courant, voir Schneider 1968). L’accent est alors mis sur l’étude des comportements plutôt que sur celle des termes et le dialogue avec l’éthologie animale très étroit. La capacité de déceler des ressemblances entre individus serait également tenue pour universelle. Un deuxième courant est plus proprement sociologique. Il cherche à montrer que l’architecture logique d’une nomenclature reflète des règles de filiation et surtout de mariage. L'initiateur de ce courant est Rivers (1913). Délaissant l’heuristique morganienne de la cohabitation, ce dernier montre que le phénomène des cousins-croisés résulte ou reflète une règle particulière d’alliance. Si de génération en génération se reproduit le même type de mariage avec sa cousine issue de l’oncle maternel ou de la tante paternelle, l’ensemble du champ de la parenté se déploie autour de deux lignées qui s’échangent leurs enfants. La démonstration était facilitée par la présence d’une idéologie de l’échange matrimonial chez les Dravidiens, population de l’Inde méridionale, où Rivers enquêtait. Or, Lévi-Strauss amplifie sa démonstration (1949). Le père du structuralisme y montre qu’une altération simple de la règle du mariage avec la cousine-croisée transforme profondément le système. L’interdiction du mariage avec la cousine patrilatérale a en effet pour conséquence de créer une structure d’échange non à deux termes, mais à trois unités échangistes en brisant une réciprocité immédiate au bénéfice d’une réciprocité plus englobante, à trois unités échangistes, voire plus : si les femmes circulent toujours dans le même sens, des donneurs aux preneurs, le système finit par se boucler sur lui-même. Cette nouvelle structure d’échange est dite généralisée et non plus restreinte puisque, à la différence de la première, elle se définit par sa faculté d’intégration d’un assez grand nombre d’unités échangistes, sans que soit altéré son fonctionnement. Toutefois, l’échange matrimonial se métamorphose : il n’est plus une pratique consciente pour les protagonistes, mais s’enfouit dans l’inconscient collectif. Lévi-Strauss va plus loin encore, inspiré à la fois par Le contrat socialde Rousseau et L’essai sur le donde Mauss, en disant que ce principe d’échange matrimonial est commun à toutes les sociétés humaines et se situe à l’origine de l’ordre social. La prohibition de l’inceste, universelle, en serait en quelque sorte la contrepartie négative, puisque afin de marier ma sœur à l’extérieur, je dois renoncer à elle. De ce renoncement, je peux m’attendre à recevoir à mon tour une épouse de celui qui sera mon beau-frère. L’échange des femmes sert la procréation comme il renforce la solidarité sociale. La puissance de ce modèle théorique, ainsi que sa compatibilité avec le freudisme, lui a longtemps garanti une audience considérable. Cette hégémonie s’est surtout exercée en France et en Grande-Bretagne, avant de subir, plus récemment, une certaine désaffection sous l’effet d’un double mouvement critique. D’un point de vue externe à la discipline, l’engouement féministe contemporain rend de plus en plus incongrue l’idée que les femmes soient à la fois des personnes, en tant qu’elles sont sujettes au langage, et des valeurs, en tant qu’objets d’échange. D’un point de vue interne à la discipline, la critique s’avère plus technique. Elle revient à dire que les nomenclatures à cousins-croisés peuvent autant s’expliquer par un impératif dualiste d’ordre cognitif que par des préceptes échangistes et que si leur prévalence n’est pas confirmée par l’ethnographie — comme c’est le cas en Amérique —, elle relève peut-être finalement d’une illusion de la théorie. Il existe une troisième voie dans les études de parenté, ouverte par Kroeber (1909) lorsqu’il disait que les opérateurs sémantiques inhérents à toute nomenclature ne se limitaient pas à la fascinante question des cousins-croisés. Les anthropologues culturalistes américains, peu sensibles au philosophisme lévi-straussien, ont développé ainsi l’approche componentielle, proposant de décomposer les termes de parenté en éléments (en composants) logiques (Goodenough 1956). Si ces recherches n’ont pas débouché sur des résultats spectaculaires, ils ont permis de comprendre que, dans l’ordre de la parenté, la parole abolit la différence des sexes, pourtant très saillante, dans la procréation elle-même, où la femme et l’homme ont des fonctions physiologiques et donc des rôles sociaux très différenciés. Car l'homme et la femme sont à égalité par rapport au langage, qu’ils maîtrisent pareillement. Leurs positions sont interchangeables dès lors qu’il s’agit de socialiser l’enfant en lui apprenant les relations de parenté qui lient tous ceux qui l’entourent. Nous sommes alors loin de l’obsession biologique d’un Morgan, qui pensait devoir fonder la parenté sur l’opposition, traditionnelle en Occident, de la consanguinitéet de l’affinité (Désveaux 2002).
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