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Lyons, Lenore. "L’organisation au service des droits des travailleurs migrants : le militantisme transnational à Singapour et en Malaisie." Thème 4 – Mobilités, identités et frontières, no. 75 (May 11, 2016): 285–99. http://dx.doi.org/10.7202/1036312ar.

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Abstract:
La mondialisation marque un point charnière dans l’action des militants féministes et des organisations non gouvernementales. À la faveur d’une participation à des réseaux de lobbying transnationaux et d’alliances avec des organisations non gouvernementales internationales, des organisations féministes et des organisations vouées à la défense des droits des femmes, locales et nationales, se sont converties à de nouvelles formes de militantisme transnational. Cependant, il est une question qui n’a que très peu retenu l’attention des chercheurs dans le domaine de l’organisation féministe transnationale : c’est celle du lien entre le militantisme transnational et les théories qui sous-tendent les féminismes transnationaux. Bien que ceux-ci formulent une critique radicale de la mondialisation, à la fois antiraciste et anticapitaliste, peu de chercheurs se sont penchés sur la façon dont les féminismes transnationaux se transposent en pratiques militantes. En étudiant deux cas d’organisations vouées à la défense des droits des travailleuses migrantes, à Singapour et en Malaisie, le présent article examine les multiples sens du terme « militantisme féministe transnational ». En faisant la distinction entre le concept d’organisation transnationale d’une part, et celui de cadre de référence transnational de l’autre, le présent article vise à clarifier les différents concepts associés aux féminismes transnationaux.
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Lyons, Lenore. "L’organisation au service des droits des travailleurs migrants : le militantisme transnational à Singapour et en Malaisie." Lien social et Politiques, no. 58 (February 6, 2008): 57–71. http://dx.doi.org/10.7202/017551ar.

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Abstract:
Résumé La mondialisation marque un point charnière dans l’action des militants féministes et des organisations non gouvernementales. À la faveur d’une participation à des réseaux de lobbying transnationaux et d’alliances avec des organisations non gouvernementales internationales, des organisations féministes et des organisations vouées à la défense des droits des femmes, locales et nationales, se sont converties à de nouvelles formes de militantisme transnational. Cependant, il est une question qui n’a que très peu retenu l’attention des chercheurs dans le domaine de l’organisation féministe transnationale : c’est celle du lien entre le militantisme transnational et les théories qui sous-tendent les féminismes transnationaux. Bien que ceux-ci formulent une critique radicale de la mondialisation, à la fois antiraciste et anticapitaliste, peu de chercheurs se sont penchés sur la façon dont les féminismes transnationaux se transposent en pratiques militantes. En étudiant deux cas d’organisations vouées à la défense des droits des travailleuses migrantes, à Singapour et en Malaisie, le présent article examine les multiples sens du terme « militantisme féministe transnational ». En faisant la distinction entre le concept d’organisation transnationale d’une part, et celui de cadre de référence transnational de l’autre, le présent article vise à clarifier les différents concepts associés aux féminismes transnationaux.
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Schwimmer, Eric. "Le don en Mélanésie et chez nous. Les contradictions irréductibles." Anthropologie et Sociétés 19, no. 1-2 (September 10, 2003): 71–94. http://dx.doi.org/10.7202/015349ar.

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Abstract:
Résumé Le don en Mélanésie et chez nous Les contradictions irréductibles Le modèle du don, présenté par Godbout et Caillé, ne rend pas compte de certaines qualités importantes du don en Mélanésie, où les « dons libres » jouent un rôle plutôt mineur, notamment ceux destinés aux personnes non locales, étrangères; où l'on remettrait rarement en question la grande valeur morale du don équilibré; où les relations avec les animaux, les plantes, le paysage occupent une place importante dans le système du don; où les dons sexués, masculins et féminins, forment un tout bien équilibré. Après avoir évoqué brièvement les théories de Mali-nowski et de Mauss, l'article présente phis en détail les critiques qu'elles ont provoquées depuis les années 1970, des points de vue du marxisme, de l'opérationnalisme, du féminisme, de la phénoménologie et de diverses tendances postmodernes. Cette analyse fait ressortir plus clairement la grande distance entre les modèles mélanésien et judéo-chrétien du don. Finalement, l'article démontre que dans le Québec contemporain, le modèle chrétien du don ne rend pas compte de tous les phénomènes, mais qu'on retrouve ici quelques tendances importantes, omises dans l'analyse de Godbout, qui s'expliquent plus facilement par un modèle de type mélanésien.
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Bugeaud, Virginie. "Classification analytique et théorie de Galois locales des modules aux q-différences à pentes non entières." Comptes Rendus Mathematique 349, no. 19-20 (November 2011): 1037–39. http://dx.doi.org/10.1016/j.crma.2011.09.002.

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Ávila Molero, Javier. "Redes transnacionales. Análisis comparativo de argentinos, dominicanos, senegaleses y marroquíes en España." Revista Trace, no. 60 (July 15, 2018): 41. http://dx.doi.org/10.22134/trace.60.2011.446.

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Abstract:
El presente artículo propone algunos conceptos sobre “comunidades transnacionales” desde la perspectiva global de las redes personales de los inmigrantes en los niveles locales y no-locales. Estos conceptos permiten incluir en el análisis no sólo las redes que los inmigrantes desarrollan con sus paisanos en el país de origen, en un circuito transnacional, sino también las que se dan con la sociedad receptora e inmigrantes de otras nacionalidades. Este giro metodológico ofrece una mejor perspectiva acerca de los múltiples procesos de pertenencia social y cultural desarrollados por los inmigrantes entre las sociedades de destino y de origen. La propuesta se basa en el trabajo de campo realizado con inmigrantes argentinos, dominicanos, marroquíes y senegaleses en Barcelona, entre los años 2006 y 2008.Abstract: This paper proposes the study of the transnational communities from the perspective of the theory of social networks, specially the analysis of the personal networks in their local levels and non-local. This approach allows us to include in the analysis a wider screen for research of the personal networks of immigrants, that includes the whole social networks of immigrants settled in the host country and the country of origin, in a transnational circuit. Also, the personal network analysis allows us to include in the analysis the multicultural networks of the immigrant with people from different nationalities. This methodological turn provides a new perspective of analysis of the multiple processes of social and cultural belonging developed by immigrants. This proposal is based on a fieldwork with Argentine immigrants, Dominicans, Moroccans and Senegalese in Barcelona, between 2006 and 2008.Résumé : Cet article propose l’introduction de nouveaux concepts de la théorie des réseaux sociaux pour l’étude des “communautés trans- nationales” depuis la perspective globale des réseaux personnels des immigrants, à échelle locale ou non-locale. Ces concepts permettent de prendre en compte dans l’analyse non seulement les réseaux sociaux que les immigrés développent avec leurs concitoyens dans le pays d’origine, à l’intérieur du circuit transnational, mais aussi les réseaux au sein de la société d’accueil ou avec les immigrés d’autres natio- nalités. Ce tournant méthodologique offre une perspective plus réaliste quant aux multiples processus d’appartenance sociale et culturelle développés par les immigrés entre les sociétés d’accueil et d’origine. La proposition se base sur un travail de terrain réalisé avec des immigrés argentins, dominicains, marocains et sénégalais à Barcelone, de 2006 à 2008.
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OKOME ENGOUANG ép. NZESSEU, Liliane Surprise, and Mireille ESSONO EBANG. "Enseignement-apprentissage des langues endogènes gabonaises par le biais des médias sociaux : Facebook et WhatsApp." Langues & Cultures 3, no. 03 (December 20, 2022): 29–50. http://dx.doi.org/10.62339/jlc.v3i03.154.

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Abstract:
Dès son accession à l’indépendance en 1960, le Gabon a adopté le français comme langue officielle de travail et d’échanges interpersonnels. Cette décision a produit une sorte d’éclipse qui opacifie les langues endogènes. Et, en l’absence d’une véritable politique de promotion de ces dernières dans les espaces de formation et d’éducation, ces langues agonisent du fait même du non-usage ou, plus grave encore, des mésusages qui en résultent. Cet article propose d’étudier l’utilisation du web 2.0 pour la didactique de ces langues endogènes en voie de disparition. Plus précisément, l’article cherche à montrer le rôle des médias sociaux Facebook et WhatsApp dans le processus d’enseignement-apprentissage des langues locales du Gabon. La présente contribution se base sur le triangle didactique et la théorie comparative de la traduction. Les résultats de l’étude qualitative obtenus à partir de l’analyse de données virtuels permettent de constater que les médias communautaires peuvent être des espaces didactiques de l’endogénéité gabonaise, et laissent voir le caractère incontournable de la traduction dans ce contexte. Abstract As soon as it gained independence in 1960, Gabon adopted French as the official language of work and interpersonal exchanges. This decision produced a kind of eclipse that obscures endogenous languages. In the absence of a genuine policy to promote them in training and education, these languages are dying out as a result of their non-use or, even more seriously, their misuse. This article proposes to study the use of Web 2.0 for the didactics of these endogenous languages in danger of disappearing. More specifically,the paper seeks to show the role of Facebook and WhatsApp social media in the teaching-learning process of Gabonese local languages. The contribution is based on the didactic triangle and comparative translation theory. The results of the qualitative study obtained from the analysis of documents allow us to see the competence of community media to be didactic spaces of Gabonese endogeneity, as well as the inevitability of translation in this context.
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Hervé-Bazin, Céline. "Bringing water challenges to target groups: French water utilities within the European legislative context." Regions and Cohesions 5, no. 2 (June 1, 2015): 1–25. http://dx.doi.org/10.3167/reco.2015.050201.

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Abstract:
Water utilities have a strong potential for bringing key messages to water users, such as beneficiaries or non-state actors who will usually join together to manage water resources more effectively or based on participation of end-users. Water utilities have the possibility to convey local messages and to organize events that can generate changes. In this framework, they are important leaders for water communication. My main research interest is to consider the constraints to the communication of French water utilities on water resources in the European environment. I want to provide a theoretical concept to the communication of water utilities, analyze actual practices and case studies in order to highlight its main characteristics, and further study messages and the integration of targets groups throughout communication processes related to water issues. The main purpose of this publication is to analyze the specificities of communication by water utilities in France on water management resources, how they interact with their different target groups, and how they potentially contribute to the implementation of the European legislation. This article questions the way communication tools and strategies contribute to better implementation of EU water policies. Spanish Las compañías de agua tienen un fuerte potencial para transmitir mensajes clave a los usuarios del agua, por ejemplo, a los beneficiarios o a los actores no estatales, quienes normalmente se unirán para gestionar los recursos hídricos de forma más eficaz o en base a la participación de los usuarios finales. Las compañías de agua tienen la posibilidad de transmitir mensajes locales y organizar eventos que pueden generar cambios. En este contexto, las compañías son importantes líderes para la comunicación sobre el agua.Mi mayor interés de investigación es considerar los límites que se ejercen sobre la comunicación de las compañías francesas en materia de gestión de recursos hídricos en el contexto europeo. Deseo proporcionar un concepto teórico a la comunicación sobre el agua y analizar las prácticas vigentes y casos de estudio con la finalidad de resaltar sus características más importantes, así como estudiar los mensajes y la integración de los públicos objetivo a lo largo de los procesos de comunicación sobre asuntos hídricos.El objetivo más importante de esta publicación es analizar las especificidades de la comunicación de las compañías de agua en Francia sobre el manejo de los recursos hídricos; cómo interactúan estas con los diferentes públicos objetivos y cómo contribuyen potencialmente a la implementación de la legislación europea. Este artículo cuestiona cómo las herramientas y estrategias de comunicación contribuyen a una mejor implementación de las políticas europeas sobre el agua. French Les collectivités peuvent jouer un rôle clé pour transmettre des messages aux utilisateurs de l'eau, c'est-à-dire, l'ensemble des bénéficiaires ou la société civile qui peut être amené à participer à la gestion des ressources en eau. Les collectivités ont la capacité de sensibiliser à travers des outils locaux et d'organiser des événements qui peuvent changer les comportements des personnes touchées par un phénomène proche de chez eux. A ce titre, les collectivités peuvent devenir des porte-parole importants pour communiquer sur la préservation de l'eau. Notre recherche considère les limites qui s'exercent sur la communication des collectivités françaises en matière de gestion des ressources en eau dans le contexte législatif européen. Nous souhaitons éclairer la communication des collectivités à partir de l'analyse des pratiques actuelles et diff érentes études de cas afin d'en établir ses caractéristiques. L'enjeu est d'étudier l'adéquation entre les messages et les groupes cibles choisis au cours des diff érentes campagnes de communication dédiées aux défis de l'eau. Notre but est de détacher des éléments théoriques et si cette communication répond à des codes propres à toute communication locale sur l'eau. A partir de ces spécificités, nous étudierons dans quelle mesure les municipalités interagissent avec leurs publics cibles afin de faciliter l'application de la législation européenne à l'échelle locale. Nous analyserons en quoi ces outils et stratégies participent en eff et, à la réalisation des directives européennes sur l'eau.
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Almeida, Alexandre D’Avila de. "A viagem de Juan: uma contribuição à análise do homo economicus a partir do olhar de um viajante inadaptado." Século XXI – Revista de Ciências Sociais 12, no. 1 (January 18, 2024): 01–16. http://dx.doi.org/10.5902/2236672586433.

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Abstract:
Através de uma reflexão apoiada em dados etnográficos obtidos do relato de um artista de rua e viajante (aqui denominado Juan) em migração nos anos 2020 pelo sul do Estado do Espírito Santo, Brasil, procurou-se levantar alguns aspectos teóricos de relevância para análise de um modo de vida urbano moderno, notoriamente marcado nas sociedades ocidentais pelo consumo. Por meio de uma etnografia elaborada a partir de entrevistas não estruturadas realizadas em seu ambiente de trabalho e vida (principalmente o centro urbano de Cachoeiro de Itapemirim) e de correspondências eletrônicas demandando informações sobre sua situação durante a pandemia (quando, em quarentena, se estabeleceu na Serra do Caparaó no sul capixaba) Juan expõe sua cosmovisão. Ao tentar se posicionar voluntariamente fora da estrutura social no que tange a família, trabalho, religião, posição social e outras dimensões da existência, ele assume um lugar de fala externo ao padrão cultural de sua época. Seu olhar de outsider foi capaz de contribuir, em perspectiva, na objetivação de certas dimensões da experiência do Homo economicus, revelando o lado exótico deste modo de vida que nos é tão familiar. Abstract: Through a reflection based on ethnographic data obtained from the report of a street artist and traveler (here called Juan), migrating in the 2020s through the south of the State of Espírito Santo, Brazil, we sought to raise some theoretical aspects of relevance for analysis of a modern urban way of life, notoriously marked in Western societies by consumption. Through ethnography drawn from unstructured interviews carried out in their work and living environments (mainly the urban center of Cachoeiro de Itapemirim) and electronic correspondence demanding information about their situation during the pandemic (when, in quarantine, they established in Serra do Caparaó in the south of Espírito Santo) Juan reveals his worldview. By trying to voluntarily position himself outside the social structure in terms of family, work, religion, social position and other dimensions of existence, he assumes a place of speech outside the cultural standard of his time. His outsider's perspective was able to contribute, in perspective, to the objectification of certain dimensions of the experience of Homo economicus, revealing the exotic side of this way of life that is so familiar to us. Key words: homo economicus, traveler, anti structure, pandemic, ethnography. Résumé: À travers une réflexion basée sur des données ethnographiques obtenues à partir du récit d'un artiste de rue et voyageur (appelé ici Juan), migrant dans les années 2020 à travers le sud de l'État d'Espírito Santo, au Brésil, nous avons cherché à soulever certains aspects théoriques pertinents pour l'analyse. d'un mode de vie urbain moderne, notoirement marqué dans les sociétés occidentales par la consommation. À travers une ethnographie tirée d'entretiens non structurés réalisés dans leurs milieux de travail et de vie (principalement le centre urbain de Cachoeiro de Itapemirim) et une correspondance électronique exigeant des informations sur leur situation pendant la pandémie (lorsque, en quarantaine, ils se sont établis à Serra do Caparaó, dans le sud du pays). d'Espírito Santo) Juan révèle sa vision du monde. En essayant de se positionner volontairement en dehors de la structure sociale en termes de famille, de travail, de religion, de position sociale et d'autres dimensions de l'existence, il assume un lieu de parole en dehors des normes culturelles de son époque. Son regard extérieur a pu contribuer, en perspective, à l'objectivation de certaines dimensions de l'expérience d'Homo Economicus, révélant le côté exotique de ce mode de vie qui nous est si familier. Mots-clés: Homo economicus, migration, anti structure, pandemie, etnographie. Resumen: Por una reflexión basada en datos etnográficos obtenidos del relato de un artista callejero y viajero (aquí llamado Juan), que migra en la década de 2020 por el sur del Estado de Espírito Santo, Brasil, buscamos plantear algunos aspectos teóricos de relevancia para el análisis. de un modo de vida urbano moderno, notoriamente marcado, en las sociedades occidentales, por el consumismo. A través de una etnografía extraída de entrevistas no estructuradas realizadas en sus locales de trabajo y vida (en el centro urbano de Cachoeiro de Itapemirim) y correspondencia electrónica para información sobre su situación durante la pandemia (cuando, en cuarentena, se establecieron en la Serra do Caparaó en el sur de Espírito Santo) Juan revela su cosmovisión. Al tratar de posicionarse voluntariamente fuera de la estructura social en términos de familia, trabajo, religión, posición social y otras dimensiones de la existencia, asume un lugar de habla fuera del estándar cultural de su tiempo. Su mirada outsider pudo contribuir, en perspectiva, a la objetivación de ciertas dimensiones de la experiencia del Homo economicus, revelando el lado exótico de esta forma de vida que nos é tan familiar. Palabras clave: homo economicus, migración, antiestructura, pandemia, etnografia.
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Henrion-dourcy, Isabelle. "Télévision." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.028.

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Abstract:
Les études anthropologiques de la télévision relèvent d’un domaine en pleine expansion depuis le début des années 2000 : l’anthropologie des médias (media anthropology, plus développée dans les travaux anglophones que francophones). En prise avec les aspects les plus modernes et globalisés des communautés ethnographiées, ces travaux confrontent l’anthropologie classique, enracinée dans la petite échelle des rapports sociaux de proximité, sur les plans à la fois théoriques et méthodologiques (Dickey 1997; Spitulnik 1993; Askew 2002). La production centralisée de ces contenus culturels dépasse largement la dimension locale ; et les généralisations à partir des ethnographies de la réception sont malaisées à formuler. Contrairement à l’imprimé et à Internet, qui excluent les illettrés, la télévision se veut plus « démocratique », à la portée de tous. Certes concurrencée en Occident par Internet, la télévision reste dans les sociétés non occidentales, où le taux d’alphabétisation est variable, le médium de masse de référence. Elle occupe une partie importante du temps et de l’espace domestique et elle reste l’écran privilégié sur lequel sont projetées des questions cruciales telles que la construction nationale et les reconfigurations identitaires. Les propositions théoriques de l’anthropologie des médias sont principalement politiques, et elles ont largement puisé à l’extérieur de l’anthropologie (Henrion-Dourcy 2012) : aux Cultural studies (études de la réception, publics actifs) ; aux études de la communication (construction du champ médiatique, rapport au champ politique national ou global, études d’impact) ; à la Social theory (opposition structure/pouvoir d’agir, théories de la gouvernance) ; à la sociologie (sphère publique, mouvements sociaux) ; à l’économie politique (car la télévision est avant tout une industrie culturelle) ; aux Postcolonial studies (étude critique de la modernité comme rapport à l’Occident post/colonisateur) ; aux théories du développement ; à celles de la globalisation (homogénéisation versus hétérogénéisation culturelle, impérialisme culturel, hybridité, modernités alternatives) ; et enfin aux théories du transnationalisme (loyautés multiples, identités flexibles). L’anthropologie des médias est donc intrinsèquement pluridisciplinaire. La télévision est produite en masse, mais consommée dans l’intimité des foyers. C’est la complexité de cette situation qui conduit les chercheurs à assembler des influences théoriques issues d’horizons divers. Les études proprement anthropologiques de la télévision ont débuté par la publication, dès le début des années 1980, d’articles épars où des anthropologues, familiers de longue date avec un groupe particulier, tentaient de faire sens de l’irruption subite de la petite lucarne sur leurs terrains d’enquête, un peu à la façon d’une comparaison qualitative « avant/après » (Granzberg et Steinberg 1980 chez les Algonquins; Graburn 1982 chez les Inuits; Kent 1985 chez les Navajos ; Lyons 1990 au Bénin ; Pace 1990 en Amazonie brésilienne). A la suite de quelques monographies marquantes (Naficy 1993 sur les immigrés iraniens de Los Angeles ; Gillespie 1995 sur les immigrés indiens du nord de l’Angleterre), l’anthropologie de la télévision a décollé au tournant des années 2000 grâce aux cinq figures importantes du Program for Culture and Media de la New York University : Ginsburg, Abu-Lughod et Larkin (2002), Abu-Lughod (2004) ainsi que Mankekar (1999). Le titre de ce dernier ouvrage résume d’ailleurs bien le propos de l’anthropologie de la télévision : « un écran sur lequel se projette la culture et un espace d’où l’on peut voir le politique » (Screening Culture, Viewing Politics). Il faudrait ajouter que le propre de la télévision est aussi de travailler ces deux dimensions macrosociales dans l’intimité de la famille. Les thèmes principaux de ces recherches touchent donc essentiellement aux ‘représentations culturelles’ et à leurs reconfigurations. On y observe comment les producteurs et les spectateurs sont amenés à mettre en lumière, débattre, contester ou négocier des représentations relatives à la modernité (Abu-Lugho 2004), aux imaginaires politiques (Mankekar 1999), à l’autoreprésentation pour les groupes minorisés (Henrion-Dourcy 2012), aux rapports de genre (Werner 2006), aux désirs, affects et valeurs morales, surtout dans les fictions (Machado-Borges 2003), et enfin à la circulation transnationale de contenus symboliques (dans le cas de diasporas ou de téléséries produites sur un continent et consommées sur un ou plusieurs autres : Werner 2006). Les formats des productions télévisuelles se retrouvent certes aux quatre coins du monde : le bulletin d’information aux heures de grande écoute, les séries mélodramatiques en journée, la téléréalité en prime-time, et les talk-shows en fin de soirée. Mais le contenu de ces formats familiers, et surtout la réception qui en est faite, révèlent à chaque fois des spécificités culturelles locales. Songeons notamment à l’émission de téléréalité Afghan Star (une saison annuelle depuis 2005), diffusée dans et pour un pays en guerre, et dans un rapport tendu avec certaines représentations de l’Occident, et où les relations entre les genres sont très codifiées.
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Melliti, Imed, and Abdelhamid Hénia. "Anthropologie indigène." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.003.

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Abstract:
Dès son invention, la catégorie « indigène » est une catégorie beaucoup moins savante que politique. « C’est la colonisation qui fait les indigènes », écrit René Gallissot. Sans être tout à fait des « primitifs », ces indigènes sont supposés être d’une espèce différente qui conserve des traits d’exotisme et de sauvagerie visibles dans la culture et les modes d’organisation sociale. Le propre de la catégorie indigène est d’être issue de la frontière coloniale : les indigènes le sont dans la mesure où ils sont justement, et en même temps, des sujets des empires coloniaux. Comme le montre R. Gallissot, la généalogie du mot indigène est complexe et procède d’une juridicisation d’une catégorie au départ naturaliste, donnant lieu en définitive à une classe juridique elle-même naturalisante et naturalisée. La fabrique juridique de « l’indigénat » comme statut en perpétuel recomposition au fil de l’histoire coloniale, et de ses relais institutionnels, administratifs et politiques, fait que la société coloniale est une société divisée en deux classes de populations et d’institutions : des sujets infériorisés et des citoyens à part entière, et respectivement des modes d’administration, des régimes juridiques et des juridictions spécifiques (Gallissot 2006). Ainsi l’«indigénat » est un statut stigmatisé et stigmatisant. La colonisation et le colonialisme étant perçus de plus en plus comme des objets historiques révolus mais avec des relents persistants, la catégorie « indigène » tend à être dégagée de son stigmate. Aujourd’hui, un courant d’« indigénisation » des savoirs prétend même s’en emparer en le retournant. Cette démarche est présentée comme le moyen de dessiner une posture méthodologique permettant d’opérer un déplacement dans le champ des recherches en sciences sociales en les dégageant de tout hégémonisme ethnocentrique. Quel bilan pouvons-nous dresser des pratiques empiriques propres à ce courant ? Dans quel contexte épistémologique s’inscrit-il ? Qu’en est-il du piège identitaire qui le guette ? L’indigénisation est-elle une pratique réservée exclusivement aux chercheurs indigènes ou autochtones et quel statut accorde-t-elle aux concepts et paradigmes produits par la communauté scientifique internationale ? Les soi-disant chercheurs autochtones ne sont-ils pas en passe d’inventer leurs propres « indigènes », en décrétant le déclassement d’une partie de la communauté scientifique ? L’idée de l’indigénisation vient à la suite de plusieurs tentatives de renouveaux épistémologiques. La « décolonisation des savoirs » introduite par les Postcolonial Studies anglophones a montré que la décolonisation n’est pas seulement une action politique, mais également une action épistémologique. A cela, il faut ajouter la critique de l’orientalisme par Edward Saïd (1980), les différentes écoles qui ont amorcé une tentative de construire le savoir à partir du « bas » (view from below) ou de « l’intérieur », ou de faire de la recherche du côté des acteurs, ou encore au « ras de sol » (Revel 1989). C’est dans la même perspective que s’inscrivent la contribution des Subaltern Studies en Inde (Pouchepadass 2000 ), l’« écriture de l’histoire » par Michel de Certeau (2002) et sa sociologie de l’« invention du quotidien », la reconstitution de la « vision des vaincus » par Nathan Wachtel (1999), la microstoria italienne, l’analyse « du point de vue de l’indigène » (Geertz 1986), et l’analyse des « armes du faible » par James C. Scott (1985). Les Latinos Studies, les Gender Studies, les Black Studies, sont autant de courants qui ont contribué à la poursuite de cet élan novateur. Le dernier en date est le courant représenté par le Manifeste de Lausanne. Pour une anthropologie non hégémonique (Saillant, Kilani, Graezer Bideau 2011). Indigéniser consisterait à répondre à la question de savoir comment penser une société sans être le porte-parole d’interprétations hégémoniques ou surplombantes venant souvent de l’extérieur. Cela suppose aussi le dépassement de la dichotomie «indigène»/«occidental» en se dégageant des rapports de force historiques liés à ces deux catégories, telles qu’elles étaient forgées dans le contexte colonial. La propension à l’indigénisation des savoirs a parfois tourné au discours identitaire, notamment chez les «sociologues arabes» (Melliti 2006 ; 2011). Il existe une tension à l’arrière fond du débat autour de la question d’arabisation des sciences sociales d’une manière générale. L’autre usage de l’indigénisation obéissant à des raisons exclusivement identitaires serait de dire que seuls les indigènes seraient les mieux placés pour rendre compte des réalités locales. Prenant sa source dans le nationalisme postcolonial, ce courant est obnubilé par l’idée de décoloniser les sciences sociales. Pour les défenseurs de ces courants, seul l’indigène serait capable de mieux étudier les sociétés anciennement colonisées. Il va sans dire que, dans ce contexte précis, la validité scientifique des résultats obtenus est incertaine. Une autre manière de comprendre l’indigénisation serait de l’assimiler à une posture méthodologique et à une démarche adoptée par tout chercheur quelle que soit son origine. De ce point de vue, l’altérité du chercheur n’est guère perçue comme un handicape pour une meilleure intelligibilité des réalités sociales plurielles qu’il se donne pour objet (Godelier 2007). Que le chercheur soit indigène (de l’intérieur) ou non, la question n’est pas là. Avec l’indigénisation des savoirs on insiste sur la manière dont les objets relatifs aux sociétés locales sont construits, pensés et traités. Il s’agit de partir de l’intérieur, c'est-à-dire des « concepts proches de l’expérience » pour « voir les choses du point de vue de l’indigène », comme le précise Clifford Geertz (1986 : 73-74). Pour ce faire, il faut voir selon lui les expériences des indigènes « dans le cadre de leur propre idée de ce qu’est la personne » ; autrement dit, comment ils « se voient eux-mêmes » et comment ils « se voient les uns les autres ». Et Geertz d’ajouter : « […] pour Java, Bali et le Maroc, au moins, cette idée diffère sensiblement non seulement de la nôtre, mais de façon non moins dramatique et non moins instructive, de l’une à l’autre » (Geertz : 76). Les effets des postures ethnocentriques empêchent de bien comprendre les sociétés locales, dans la mesure où ils déplacent la manière de penser ces sociétés vers des paradigmes et des catégories inventés sous d’autres cieux. Les approches ethnocentristes adoptées pour analyser les réalités locales peuvent être dues à des chercheurs aussi bien venus du dehors que du local. L’ethnocentrisme n’est pas spécifique à l’Occident. Récusant la dérive identitaire, l’indigénisation des sciences sociales consiste à transcender les langues par lesquelles les chercheurs s’expriment, les antinomies, comme centre et périphérie, local et global, etc. Elle participe également à la construction d’un savoir universel, mais non un «universel occidental » (Detienne 2005). L’indigénisation ne repose pas sur la condamnation, voire la négation de la « pensée occidentale », mais plutôt sur sa « décentralisation », comme l’écrivent les auteurs du Manifeste de Lausanne. La conversion des théories nées dans les centres de production scientifique en théories voyageuses, phénomène non nouveau, devient une véritable stratégie de connaissance. Ainsi, les outils d’analyse, paradigmes et concepts forgés dans le monde occidental ne sont pas rejetés par les tenants de ce courant. L’indigénisation du savoir se présente ainsi comme un projet épistémologique qui se démarque de celui postcolonial qui cherche à « décoloniser », ou encore de celui qui cherche à « désoccidentaliser » les savoirs. Qu’elle soit utilisée par l’ancien colonisateur ou l’ancien colonisé, la « décolonisation » est toujours quelque part entachée d’un substrat idéologique. L’idée de « désoccidentalisation », elle aussi, n’échappe pas à la même dérive. L’usage de ces mots dénote que le dépassement des catégories antinomiques (« colonisateurs » vs « colonisés », « Occident » vs « Orient », « Nord » vs « Sud », « centre » vs « périphérie », etc.) n’est pas encore totalement consumé. Il sous-entend que l’on reste toujours, d’une manière ou d’une autre, prisonnier de la perception ethnocentriste (Goody 2010).
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Levy, Joseph. "Décolonialisme méthodologique." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.069.

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Abstract:
La critique de l’anthropologie contemporaine porte de plus en plus sur le caractère hégémonique qui a marqué son développement au plan des savoirs et des pratiques, reléguant à la périphérie ou dans la marginalité l’expression de problématiques, de théories et de méthodologies de recherche qui s’écartent des normes dominantes. Cette emprise est remise en question non seulement par les milieux anthropologiques académiques et non académiques qui proposent de nouvelles perspectives, mais aussi par les populations sur lesquelles les recherches portent. Celles-ci s’opposent aux approches en vigueur dont elles remettent en question les fondements occidentalocentriques. Les chercheurs issus de ces groupes proposent ainsi une « décolonisation des méthodologies », comme l’avance Smith (1998). Cette critique repose, entre autres, sur une dénonciation des concepts, des normes et des pratiques qui sous-tendent les recherches, des rapports de pouvoir fondés sur l’impérialisme et le colonialisme, des constructions des identités problématiques, des modes d’écriture et des reconstructions historiques qui remettent en question les visions du monde autochtones. Les objectifs de cette remise en question sont de redonner une voix à des populations privées de reconnaissance, de contribuer à la renaissance des cultures méconnues, en s’appuyant sur des contre-pratiques fondées sur des perspectives fondées sur une critique du positivisme, sur le féminisme, enfin sur le soutien aux mouvements autochtones locaux et internationaux. Les chercheurs issus de ces groupes revendiquent de nouvelles approches théoriques et de nouvelles pratiques pour définir un agenda de recherches qui correspondent aux préoccupations politiques, culturelles et sociales et dans lesquelles les principes d’autodétermination, de décolonisation, de justice sociale et de mobilisation sont revendiqués. Smith (1998) propose ainsi un « agenda pour la recherche autochtone » qui s’inscrit dans une perspective à la fois globale et locale. S’attachant à en décrire le contenu dans le cadre du développement des recherches maori en Nouvelle Zélande, elle définit les principes, les concepts et les valeurs issus de la vision du monde maorie sur lesquels les recherches doivent se fonder pour permettre la réalisation du programme, la formation de chercheurs autochtones et leur réflexivité. Cette volonté de déshégémonisation est aussi énoncée dans l’établissement des énoncés et des codes régissant l’éthique de la recherche avec les groupes autochtones. Ceux-ci établissent explicitement les principes qui doivent fonder les ententes de recherche qui dépassent les règles de protection des participants et de leur bien?être généralement acceptées, celles de l’obtention d’un consentement libre et éclairé ou celles entourant la confidentialité et l’anonymat. Ces principes sont élargis pour incorporer des enjeux plus larges touchant les objectifs de la recherche, la collecte des données et leur interprétation, la propriété intellectuelle et des artefacts matériels, des savoirs et des savoir?faire locaux et insistent sur les valeurs de participation, de collaboration, de réciprocité, de respect et d’égalité. Cet enchâssement se retrouve dans plusieurs chartes internationales comme, par exemple, « La charte des peuples tribaux autochtones des forêts tropicales » (1993), la « Déclaration de Maatatua sur les droits de propriété culturelle et intellectuelle des peuples autochtones » (1993). Les codes éthiques de la recherche dans différents pays incluent clairement la référence aux principes régissant la recherche auprès des groupes autochtones. C’est ainsi le cas de l’Australie qui a établi les « Guidelines for Ethical Research in Australian Indigenous Studies » couvrant à la fois les groupes autochtones d’Australie et des Insulaires du détroit de Torrès ; du Canada dont l’« Énoncé de Politique des Trois Conseils sur l’Éthique de la recherche avec des êtres humains » (2010) inclut un chapitre uniquement dédié à la recherche auprès des Premières Nations, des Inuit et des Métis (chapitre 9) ; de la Nouvelle Zélande avec les « Te Ara Tika-Guidelines for Maori research ethics » (s.d.) auxquels s’ajoutent des règles prescriptives basées sur des concepts culturels pour les chercheurs Maori (Smith, 1998, p. 119-120). La recherche anthropologique semble donc être entrée dans une phase critique de son développement en conceptualisant le renouvellement de ses paradigmes disciplinaires suite aux tensions générées par la recherche et les demandes des populations locales plus exigeantes et plus jalouses de leurs prérogatives culturelles et des enjeux éthiques liés à la reconnaissance et au respect de leurs spécificités.
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Biache, Marie-Joseph, and Géraldine Rix-lièvre. "Sport (pratiques sportives)." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.027.

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Abstract:
Le sport, envisagé sous l’angle des pratiques sportives, s’inscrit dans un ensemble plus vaste de comportements : celui des pratiques corporelles. Ces dernières peuvent constituer l’objet de travaux anthropologiques (Bromberger, Hayot, Mariottini 1995; Darbon 2002; Garnotel 2009 ; Sizorn 2007). Le sport, en tant que phénomène social complexe, se prête à l’analyse sociologique, car il semble attaché, à la fois comme résultante et comme cause d’autres phénomènes, au faisceau de déterminismes sociaux, économiques et institutionnels. Il est avant tout une institution, autant dans son mode de constitution -il n’y a de sport à proprement parler qu’inscrit dans et produit par des instances sportives internationales, nationales et locales- que dans son expression. Le sport renvoie à un système autonome, structuré, réglementé. La sociologie souligne l’importance de la création et du développement institutionnel du sport comme phénomène social, et des différents sports comme expressions propres de ce phénomène, à la fois sociologiquement définies et socialement distinctes (Darbon 2008). La perspective d’analyse institutionnelle du sport -développement et dynamique des structures institutionnelles et politiques- trouve son complément dans des recherches sociologiques plus centrées sur des aspects spécifiques du phénomène global. Les processus de distinction de communautés ou de groupes de pratiques focalisent le regard de certains pans de la recherche : la question centrale du genre y prend toute sa place (Menesson, Clément, 2009). L’intérêt porté aux trajectoires sociales et professionnelles des sportifs est une autre manière d’aborder le phénomène « sport » (Sobry 2010). Ce dernier n’est cependant pas envisageable sans le regard public qui s’y porte, car le sport est aussi un spectacle. La description des publics comme l’étude du supportérisme font partie intégrante de l’analyse du phénomène ainsi que l’examen de ses modalités de construction médiatique et économique : la vision devient sociétale (Ohl 2010). Cependant, les pratiques sportives, manifestations premières du phénomène, sont aussi l’objet d’investigations relevant de l’histoire sociale de leur évolution. L’histoire institutionnelle trouve une inspiration et un complément dans la description des rapports entre changement des pratiques sportives et évolution de la sphère technologique. Le sport est envisagé comme analyseur des mentalités, mais aussi comme hypostase des avancées de la connaissance du corps. L’évolution des préparations à la compétition, le recours à des moyens artificiels de maximisation des performances physiques sont la traduction des changements dans le rapport au corps, à la fois sociaux et culturels et instrumentaux. Mais les pratiques sportives peuvent également être l’objet d’une histoire des techniques, non seulement celle des artéfacts, mais aussi celle des formes de mouvement, marquées par des types sociaux et des structures opératoires (Vigarello 1988). Le retour vers une centration sur les pratiques proprement dites introduit à une perspective plus anthropologique que sociologique -sans que toutefois la frontière soit délimitée avec évidence. Une ethnologie des groupes et communautés de pratiquants peut dans ce cas être entreprise, l’accent étant porté sur la description et l’analyse des comportements qui font unité, cohérence et signification, autant pour les pratiquants que pour les spectateurs, les chercheurs étant alors en mesure de circonscrire des cultures sportives (Darbon 2002; Fournier, Raveneau 2010). Parallèlement, les pratiques sportives détiennent un sens pour leurs acteurs et traduisent simultanément le versant idiosyncrasique de la communauté ou du groupe. Elles sont un support d’identité et d’appartenance, mais aussi l’expression de connaissances particulières et d’une forme de morale incarnée. Elles appartiennent au domaine plus vaste des techniques du corps et une étude historique peut en être produite comme peut en être constituée une ethnologie, laquelle accorde aux usages du corps une place principale. Garnotel (2009) montre par exemple que devenir un cycliste professionnel suppose de construire progressivement les techniques corporelles du métier liées tant à l'entraînement qu'au soin du corps ou l’absorption de produits « dopants » et s’inscrit dans une morale incarnée liée à l’optimisation de la performance, même si celle-ci s’oppose à l’éthique absolue du sport. Les pratiques sportives, à l’instar de toutes les pratiques corporelles, supposent un apprentissage technique et une conformation du corps acquise par le sujet. Elles sont simultanément actes et connaissances, ces dernières présentes sur deux registres. Le premier est celui des théories locales ou indigènes de l’action des sujets, largement saturées de concepts pragmatiques (Rolland et Cizeron 2011) ; le second est celui des connaissances implicites et tacites modulées par des normes d’action et des valeurs d’actes. Sizorn (2007) dévoile par exemple, que l'expérience des trapézistes est marquée par la légèreté et l'aisance tout autant que par la douleur et la peur, registres qui construisent la corporéité et l'identité des pratiquants. Ainsi envisagées, les pratiques sportives redeviennent celles d’un groupe ou d’une communauté, caractérisées par une dialectique entre technique singulière et connaissances collectives, ces dernières relevant essentiellement de représentations et de convictions. Elles n’échappent pas aux modalités de sexuation présentes dans les groupes humains lesquelles participent à l’attribution, implicite ou explicite, de normes et de valeurs aux actions. La relation en quelque sorte organique entre comportements et connaissances permet d’inscrire les pratiques sportives, comme techniques du corps, dans le régime de la tèchné grecque : le savoir-faire est en rapport étroit avec un savoir portant sur le sens du monde. Ces pratiques appartiennent à une expérience constituée, à la fois collective et individuelle. Une telle optique cognitive peut trouver un complément dans une analyse symboliste. Les pratiques sportives expriment et supportent un sens constitutif de la communauté : le sport devient un espace projectif dont la signification est cachée ; il peut être dans ce cas la représentation d’une transcendance et/ou une pratique ritualisée. Les pratiques sportives sont alors envisagées de manière étendue, non limitée à la perspective technique, le versant psychologique qui les marque spécifiant le processus à l’œuvre. Il est ainsi plus difficile de développer l’idée d’une anthropologie du sport que l'idée d'une anthropologie des pratiques corporelles. En tant que phénomène général, le sport est principalement l’objet d’une sociologie, même s'il peut être celui d'une anthropologie qui reste alors philosophique, soutenant l'universalisme du phénomène et promouvant un idéal sportif. Le phénomène sportif y est envisagé de façon a-culturelle; l'anthropologue considère dans ce cas les pratiques de manière transcendante et reconstruit intellectuellement leur unité phénoménologique. En revanche, l’intérêt premier accordé aux sujets des pratiques sportives, à leurs actes et aux connaissances qu’ils formulent à propos de ceux-ci, doit mener à une anthropologie des pratiques corporelles. Si une ethnologie distingue des styles de pratiques sportives, une anthropologie suppose d'emprunter des propositions théoriques qui établissent la nature des connaissances incorporées qui sous-tendent les pratiques. Ainsi, l'arbitrage en rugby peut être étudié comme une pratique particulière au cours de laquelle l'arbitre montre et impose aux joueurs ce qui est possible relativement aux modalités cognitives selon lesquelles il appréhende spontanément l'activité des joueurs (Rix 2007). En ce sens, seule une anthropologie cognitive des pratiques sportives pourrait, à partir des travaux de terrain, mettre à jour les modes généraux -voire universels- de connaissance sous-jacents à l’inscription des activités corporelles humaines dans un cadre socialement normé.
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DJEDI, Hadjer, and Azeddine BELAKEHAL. "THE HERITAGE ATMOSPHERE TO THE TEST OF APPROPRIATION : CASE OF THE KASBAH OF ALGIERS." Bulletin de la Société Géographique de Liège, 2023, 285–308. http://dx.doi.org/10.25518/0770-7576.7009.

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Abstract:
Récemment, nous avons assisté au basculement de l’approche patrimoniale, passée d’une patrimonialité centrée sur l’authenticité et la conservation à une approche intégrant la dimension ambiantale et la performance humaine. Néanmoins, sur le terrain deux défaillances surgissent, d’une part la séparation des sphères matérielle et immatérielle et d’autre part la non-appropriation de l’action sur le patrimoine par les usagers. Ainsi, notre étude a pour objectif de co-construire les ambiances d’un tissu ancien avec ses habitants, et ce en mobilisant la théorie des ambiances patrimoniales conjointement au concept d’appropriation. Ce travail repose sur une étude in situ menée au niveau de la Casbah, noyau historique de la ville d’Alger. Pour ce faire, le principal outil adopté a été la méthode des parcours commentés étayée par d’autres outils d’investigation. Le résultat principal de cette étude dévoile, qu’un lieu patrimonial ayant conservé sa profonde épaisseur historique, réactive profondément l’interaction des dimensions ambiantales et engendre un fort degré d’appropriation qui pourrait aboutir à l’engagement des communautés locales.
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Dunoyer, Christiane. "Alpes." Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.124.

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Abstract:
Le nom « alpe » d’origine prélatine, dont le radical alp signifie « montagne », est commun à tout le territoire en question. L’espace physique ainsi dénommé crée une série d’oppositions entre la plaine et la montagne, entre la ville et la montagne et entre les populations intra-alpines, dotées de connaissances spécifiques pour vivre dans cet espace, et les populations demeurant à l’extérieur des Alpes ou les traversant (voir aussi Monde alpin). Redécouvertes à l’époque des Lumières, dans un cadre positiviste, les Alpes deviennent un objet de spéculation philosophique (Rousseau 1761) et d’étude pour les sciences naturelles, notamment la biologie, et la médecine. L’apport de ces disciplines ne manqua pas d’influencer le regard porté par le monde urbain sur les Alpes, à partir de ce moment. En suivant l’exemple du philosophe et naturaliste Horace B. de Saussure (1779-1796), qui explora cette région à la fin du 18e siècle et qui accomplit l’ascension du mont blanc en 1787, un an après la première de Balmat et Paccard, les voyageurs anglais à leur tour découvrirent les Alpes et opposèrent la grandeur de ces paysages au côté misérabiliste des populations rencontrées, dans le cadre d’une sorte d’anthropologie spontanée empreinte d’idéologie, où les locaux sont perçus et décrits comme des survivances de sociétés primitives et donc étrangères à la nature sophistiquée de leurs observateurs. La naissance de l’alpinisme se situe dans ce contexte. En tant que paysage, les Alpes jouent un rôle important à l’âge romantique : Étienne Pivert de Senancour (1804) est le premier écrivain romantique à les avoir parcourues dans un but contemplatif. Objet contradictoire, les Alpes sont souvent peintes en vertu de leur beauté terrifiante. Au fil de voyages initiatiques, de découvertes et de rencontres, la vision romantique s’enrichit jusqu’à acquérir une dimension pédagogique, voire d’édification morale (Töpffer 1844), et nourrit encore en partie les représentations collectives de nos jours. Intégrées dans la société globale, les Alpes exercent un attrait sur le citadin depuis deux siècles. Celui-ci y projette tantôt la nostalgie d’un univers sauvage, tantôt le désir de conquérir et de domestiquer l’espace naturel. Les collections présentes dans quelques grands musées urbains font aussi partie de ce regard que les villes portent sur les Alpes, notamment au cours de la première moitié du 20e siècle. Tel est le cas des objets de la vie quotidienne réunis par Hippolyte Müller, fondateur du Musée Dauphinois, et par les plus de 8000 collectés par Georges Amoudruz, qui ont été acquis par le Musée d’Ethnographie de Genève. Ce n’est que plus récemment que les Alpes sont devenues un objet d’étude pour les géographes (Raoul Blanchard fonde en 1913 la Revue de géographie alpine) : les problématiques sociales, territoriales et environnementales des espaces montagnards sont au centre de ces recherches. Enfin, les anthropologues s’y sont intéressés aussi en privilégiant une approche qui combine l’étique et l’émique (voir Monde alpin). Terres de contrastes, les Alpes échappent à toute catégorisation trop stricte, tantôt appréhendées comme une unité qui efface les spécificités, tantôt comme un ensemble problématique : « un vaste territoire dont l'unité se décompose en un grand nombre de variétés régionales » que le géographe étudie en portant à la lumière « de multiples problèmes relatifs à de multiples pays » (Arbos 1922). Bätzing (2003, 2007) propose un essai de définition des Alpes en montrant la difficulté de la tâche à cause de l’absence de frontières claires, que ce soit sur le plan géographique ou sur le plan humain. Il désigne cette variabilité géographique comme l’origine du problème pour l’éclosion d’une politique alpine. Par exemple, la définition classique des Alpes en tant que massif au-delà de la frontière où poussent les arbres (1900-2200 mètres) est aujourd’hui contestée après la mise en évidence de l’existence de montagnes hautes, très arides et sans glaciers, qui ne rentrent pas dans cette définition. Quant à Fernand Braudel (1966) et Germaine Veyret-Verner (1949), qui introduisent la dimension sociale à travers les études démographiques, définissent les Alpes comme un espace isolé, à l’écart des bouleversements de l’histoire. Ces théories ont été depuis sérieusement remises en question, les archéologues ayant amplement démontré que déjà pendant la préhistoire les Alpes étaient le théâtre de passages et d’échanges. Une deuxième définition, qui est à la base de la loi anthropogéographique des Alpes théorisée par Philippe Arbos (1922), l’un des pères fondateurs de la géographie alpine, et de l’alpwirtschaft de John Frödin (1940), est centrée sur les notions de pente et de verticalité, impliquant une organisation humaine et une modalité d’exploitation de la montagne par étagements successifs où tout est lié dans un système d’interdépendance et de complémentarité. Cette définition est aussi partiellement dépassée : le système traditionnel s’est transformé (sédentarisation des populations, abandon de la montagne, nouvelles installations à cause du tourisme). D’ailleurs, le tourisme, qui semble une constante de l’espace alpin contemporain, n’est pourtant pas présent partout : le tourisme touche moins de 40 % des communes des Alpes (Bätzing 2007). D’autres façons de délimiter les Alpes font référence aux unités géographiques formées par les vallées (ayant chacune son histoire, son évolution et son organisation pour l’exploitation des ressources locales) ou par les groupements de massifs et de sommets (qui revêtent un intérêt notamment pour les alpinistes) : dans le premier cas les frontières passent par les cours d’eau, dans le deuxième par les sommets. Enfin, la division politico-administrative est une autre tentative de définition : les Alpes sont partagées et loties sur la base de subdivisions territoriales qui en ont fait « un facteur de séparation plus ou moins déterminant » (Fourny 2006), à la base de conflits, notamment lorsque les aires culturelles ne recoupent pas les délimitations politiques, ce qui est assez fréquent, étant donné que les unités de peuplement, de langue, de religion, se différencient dans les plaines et les vallées et non sur les lignes de crête. Le signe le plus manifeste en est la langue. En effet, les Alpes sont une vraie mosaïque de groupes linguistiques, ethniques et religieux : des populations de langue provençale du secteur sud-occidental aux populations slaves de l’extrémité orientale. Parfois la variation existe à l’intérieur de la même vallée et remonte au Moyen Âge, par exemple dans les vallées occitanes et francoprovençales du secteur occidental, versant italien. Dans certains cas, elle est la conséquence de mouvements migratoires, tels que l’expansion colonisatrice des Walser, qui en partant de l’Oberland bernois entre le 13e et le 15e siècle se sont implantés dans plus de cent localités alpines sur une région très large qui va de la Savoie au Vorarlberg (Weiss 1959, Zinsli 1976), ou les déplacements des paysans carintiens et bavarois qui occupèrent la partie supérieure de nombreuses vallées des Alpes orientales, italiennes et slovènes. Les situations de contact linguistique dans les Alpes orientales italiennes et slovènes ont fait l’objet d’études anthropologiques de la part de Denison (1968) et de Brudner (1972). Le problème des relations entre milieu physique et organisation sociale est au cœur des études sur les Alpes. Les études de Philippe Arbos (1922) sont une réaction au déterminisme largement partagé jusqu’ici par les différents auteurs et se focalisent sur la capacité humaine d’influencer et de transformer le milieu. Dans ce filon possibiliste s’inscrit aussi Charles Parain (1979). Germaine Veyret-Verner (1949, 1959) introduit la notion d’optimum, à savoir l’équilibre démographique résultant de la régulation numérique de la population et de l’exploitation des ressources locales. Bernard Janin (1968) tente de cerner le processus de transformation économique et démographique dans le Val d’Aoste de l’après-guerre jusqu’aux années 1960, dans un moment perçu comme crucial. D’autres études se sont concentrées sur l’habitat humain, notamment sur l’opposition entre habitats dispersés, typiques des Alpes autrichiennes, bavaroises et suisses (et plus marginalement des Alpes slovènes : Thomas et Vojvoda, 1973) et habitats centralisés, typiques des Alpes françaises et italiennes (Weiss 1959 : 274-296 ; Cole et Wolf 1974). Au lieu de focaliser sur la variabilité interne des phénomènes alpins et sur leurs spécificités culturelles, quelques chercheurs sous la direction de Paul Guichonnet (1980) tentent une approche globale des Alpes, en tant qu’entité unitaire en relation avec d’autres espaces physiques et humains. Cette approche se développe parallèlement à la transition qui s’opère au niveau institutionnel où les Alpes deviennent un objet politique et ne sont plus un assemblage de régions : en effet, avec la Convention alpine (1991), les Alpes acquièrent une centralité en Europe. Plutôt que les confins d’un territoire national, elles sont perçues comme des lieux d’articulation politique, une région de frontières. Dans cette optique, les Alpes sont étudiées sous l’angle des forces extérieures qui les menacent (transport, tourisme, urbanisation, pollution) et qui en font un espace complémentaire de l’urbain et nécessaire à la civilisation des loisirs (Bergier 1996). C’est ainsi que « le territoire montagnard tire sa spécificité non pas d’un “lieu” mais de la complexité de la gestion de ce lieu. » (Gerbaux 1989 : 307) Attentifs au nouvel intérêt que la société porte sur les Alpes, après l’orientation vers les problèmes urbains, les anthropologues étudient la mutation rapide que connaît cet espace. Gérald Berthoud et Mondher Kilani (1984) entreprennent des recherches sur les transformations des Alpes en démontrant comment l’axe tradition-modernité demeure central dans les représentations des Alpes, toutes d’origine urbaine, qui se succèdent au fil des siècles, à tel point que les phénomènes contemporains y sont toujours interprétés en fonction du passé. Kilani (1984) décrit les Alpes comme un puissant lieu d’identification et analyse les effets de la manipulation de cette image figée sur les communautés alpines, que ce soient les images négatives renvoyant à la montagne marginale et arriérée ou les images utopiques de la nature vierge et du berceau de la tradition. La question de l’aménagement des Alpes étant devenue cruciale, en vue de la promotion touristique et de la préservation des milieux naturels, Bernard Crettaz met l’accent sur cette nouvelle représentation des Alpes qui régit l’aménagement contemporain et introduit la notion de disneylandisation (Crettaz 1994). Parallèlement, la floraison de musées du territoire semble être un signal parmi d’autres de cette volonté des populations locales de se libérer des représentations urbaines, qui en ont longtemps affecté le développement en imposant un sens univoque dans la diffusion de la pensée, et de raconter à leur tour les Alpes. Enfin, une réflexion sur l’avenir et le devenir des Alpes s’amorce (Debarbieux 2006), sur la déprise humaine entraînant un ensauvagement généralisé et la reforestation massive, qui est en train de progresser vers le haut, au-delà des limites écologiques, à cause du réchauffement climatique. À cette déprise, s’oppose la densification de l’impact humain le long des grands axes de communication (Debarbieux 2006 : 458), une constante de l’histoire alpine à l’échelle des millénaires, ayant comme conséquence un contraste croissant dans l’accessibilité entre les différentes localités, les villes situées le long des couloirs de circulation devenant toujours plus proches les unes des autres (Tschofen 1999 ; Borsdorf & Paal 2000). Marginalisation progressive ou reconquête de l’espace et de l’héritage?
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Leclerc, Véronique, Alexandre Tremblay, and Chani Bonventre. "Anthropologie médicale." Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.125.

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Abstract:
L’anthropologie médicale est un sous-champ de l’anthropologie socioculturelle qui s’intéresse à la pluralité des systèmes médicaux ainsi qu’à l’étude des facteurs économiques, politiques et socioculturels ayant un impact sur la santé des individus et des populations. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux relations sociales, aux expériences vécues, aux pratiques impliquées dans la gestion et le traitement des maladies par rapport aux normes culturelles et aux institutions sociales. Plusieurs généalogies de l’anthropologie médicale peuvent être retracées. Toutefois, les monographies de W.H.R. Rivers et d’Edward Evans-Pritchard (1937), dans lesquelles les représentations, les connaissances et les pratiques en lien avec la santé et la maladie étaient considérées comme faisant intégralement partie des systèmes socioculturels, sont généralement considérées comme des travaux fondateurs de l’anthropologie médicale. Les années 1950 ont marqué la professionnalisation de l’anthropologie médicale. Des financements publics ont été alloués à la discipline pour contribuer aux objectifs de santé publique et d’amélioration de la santé dans les communautés économiquement pauvres (Good 1994). Dans les décennies qui suivent, les bases de l’anthropologie médicale sont posées avec l’apparition de nombreuses revues professionnelles (Social Science & Medicine, Medical Anthropology, Medical Anthropology Quarterly), de manuels spécialisés (e.g. MacElroy et Townsend 1979) et la formation du sous-groupe de la Society for Medical Anthropology au sein de l’American Anthropological Association (AAA) en 1971, qui sont encore des points de références centraux pour le champ. À cette époque, sous l’influence des théories des normes et du pouvoir proposées par Michel Foucault et Pierre Bourdieu, la biomédecine est vue comme un système structurel de rapports de pouvoir et devient ainsi un objet d’étude devant être traité symétriquement aux autres systèmes médicaux (Gaines 1992). L’attention portée aux théories du biopouvoir et de la gouvernementalité a permis à l’anthropologie médicale de formuler une critique de l’hégémonie du regard médical qui réduit la santé à ses dimensions biologiques et physiologiques (Saillant et Genest 2007 : xxii). Ces considérations ont permis d’enrichir, de redonner une visibilité et de l’influence aux études des rationalités des systèmes médicaux entrepris par Evans-Pritchard, et ainsi permettre la prise en compte des possibilités qu’ont les individus de naviguer entre différents systèmes médicaux (Leslie 1980; Lock et Nguyen 2010 : 62). L’aspect réducteur du discours biomédical avait déjà été soulevé dans les modèles explicatifs de la maladie développés par Arthur Kleinman, Leon Eisenberg et Byron Good (1978) qui ont introduit une distinction importante entre « disease » (éléments médicalement observables de la maladie), « illness » (expériences vécues de la maladie) et « sickness » (aspects sociaux holistes entourant la maladie). Cette distinction entre disease, illness et sickness a joué un rôle clé dans le développement rapide des perspectives analytiques de l’anthropologie médicale de l’époque, mais certaines critiques ont également été formulées à son égard. En premier lieu, Allan Young (1981) formule une critique des modèles explicatifs de la maladie en réfutant l'idée que la rationalité soit un model auquel les individus adhèrent spontanément. Selon Young, ce modèle suggère qu’il y aurait un équivalant de structures cognitives qui guiderait le développement des modèles de causalité et des systèmes de classification adoptées par les personnes. Au contraire, il propose que les connaissances soient basées sur des actions, des relations sociales, des ressources matérielles, avec plusieurs sources influençant le raisonnement des individus qui peuvent, de plusieurs manières, diverger de ce qui est généralement entendu comme « rationnel ». Ces critiques, ainsi que les études centrées sur l’expérience des patients et des pluralismes médicaux, ont permis de constater que les stratégies adoptées pour obtenir des soins sont multiples, font appel à plusieurs types de pratiques, et que les raisons de ces choix doivent être compris à la lumière des contextes historiques, locaux et matériaux (Lock et Nguyen 2010 : 63). Deuxièmement, les approches de Kleinman, Eisenberger et Good ont été critiquées pour leur séparation artificielle du corps et de l’esprit qui représentait un postulat fondamental dans les études de la rationalité. Les anthropologues Nancy Scheper-Hughes et Margeret Lock (1987) ont proposé que le corps doit plutôt être abordé selon trois niveaux analytiques distincts, soit le corps politique, social et individuel. Le corps politique est présenté comme étant un lieu où s’exerce la régulation, la surveillance et le contrôle de la différence humaine (Scheper-Hughes et Lock 1987 : 78). Cela a permis aux approches féministes d’aborder le corps comme étant un espace de pouvoir, en examinant comment les discours sur le genre rendent possible l’exercice d’un contrôle sur le corps des femmes (Manderson, Cartwright et Hardon 2016). Les premiers travaux dans cette perspective ont proposé des analyses socioculturelles de différents contextes entourant la reproduction pour contrecarrer le modèle dominant de prise en charge médicale de la santé reproductive des femmes (Martin 1987). Pour sa part, le corps social renvoie à l’idée selon laquelle le corps ne peut pas être abordé simplement comme une entité naturelle, mais qu’il doit être compris en le contextualisant historiquement et socialement (Lupton 2000 : 50). Finalement, considérer le corps individuel a permis de privilégier l’étude de l’expérience subjective de la maladie à travers ses variations autant au niveau individuel que culturel. Les études de l’expérience de la santé et la maladie axées sur l’étude des « phénomènes tels qu’ils apparaissent à la conscience des individus et des groupes d’individus » (Desjarlais et Throop 2011 : 88) se sont avérées pertinentes pour mieux saisir la multitude des expériences vécues des états altérés du corps (Hofmann et Svenaeus 2018). En somme, les propositions de ces auteurs s’inscrivent dans une anthropologie médicale critique qui s’efforce d’étudier les inégalités socio-économiques (Scheper-Hughes 1992), l’accès aux institutions et aux savoirs qu’elles produisent, ainsi qu’à la répartition des ressources matérielles à une échelle mondiale (Manderson, Cartwright et Hardon 2016). Depuis ses débuts, l’anthropologie médicale a abordé la santé globale et épidémiologique dans le but de faciliter les interventions sur les populations désignées comme « à risque ». Certains anthropologues ont développé une perspective appliquée en épidémiologie sociale pour contribuer à l’identification de déterminants sociaux de la santé (Kawachi et Subramanian 2018). Plusieurs de ces travaux ont été critiqués pour la culturalisation des pathologies touchant certaines populations désignées comme étant à risque à partir de critères basés sur la stigmatisation et la marginalisation de ces populations (Trostle et Sommerfeld 1996 : 261). Au-delà des débats dans ce champ de recherche, ces études ont contribué à la compréhension des dynamiques de santé et de maladie autant à l’échelle globale, dans la gestion des pandémies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qu’aux échelles locales avec la mise en place de campagnes de santé publique pour faciliter l’implantation de mesures sanitaires, telles que la vaccination (Dubé, Vivion et Macdonald 2015). L’anthropologie a contribué à ces discussions en se penchant sur les contextes locaux des zoonoses qui sont des maladies transmissibles des animaux vertébrés aux humains (Porter 2013), sur la résistance aux antibiotiques (Landecker 2016), comme dans le cas de la rage et de l’influenza (Wolf 2012), sur les dispositifs de prévention mis en place à une échelle mondiale pour éviter l’apparition et la prolifération d’épidémies (Lakoff 2010), mais aussi sur les styles de raisonnement qui sous-tendent la gestion des pandémies (Caduff 2014). Par ailleurs, certains auteur.e.s ont utilisé le concept de violence structurelle pour analyser les inégalités socio-économiques dans le contexte des pandémies de maladies infectieuses comme le sida, la tuberculose ou, plus récemment, l’Ébola (Fassin 2015). Au-delà de cet aspect socio-économique, Aditya Bharadwaj (2013) parle d’une inégalité épistémique pour caractériser des rapports inégaux dans la production et la circulation globale des savoirs et des individus dans le domaine de la santé. Il décrit certaines situations comme des « biologies subalternes », c’est à dire des états de santé qui ne sont pas reconnus par le système biomédical hégémonique et qui sont donc invisibles et vulnérables. Ces « biologies subalternes » sont le revers de citoyennetés biologiques, ces dernières étant des citoyennetés qui donnes accès à une forme de sécurité sociale basée sur des critères médicaux, scientifiques et légaux qui reconnaissent les dommages biologiques et cherche à les indemniser (Petryna 2002 : 6). La citoyenneté biologique étant une forme d’organisation qui gravite autour de conditions de santé et d’enjeux liés à des maladies génétiques rares ou orphelines (Heath, Rapp et Taussig 2008), ces revendications mobilisent des acteurs incluant les institutions médicales, l’État, les experts ou encore les pharmaceutiques. Ces études partagent une attention à la circulation globale des savoirs, des pratiques et des soins dans la translation — ou la résistance à la translation — d’un contexte à un autre, dans lesquels les patients sont souvent positionnés entre des facteurs sociaux, économiques et politiques complexes et parfois conflictuels. L’industrie pharmaceutique et le développement des technologies biomédicales se sont présentés comme terrain important et propice pour l’analyse anthropologique des dynamiques sociales et économiques entourant la production des appareils, des méthodes thérapeutiques et des produits biologiques de la biomédecine depuis les années 1980 (Greenhalgh 1987). La perspective biographique des pharmaceutiques (Whyte, Geest et Hardon 2002) a consolidé les intérêts et les approches dans les premières études sur les produits pharmaceutiques. Ces recherches ont proposé de suivre la trajectoire sociale des médicaments pour étudier les contextes d’échanges et les déplacements dans la nature symbolique qu’ont les médicaments pour les consommateurs : « En tant que choses, les médicaments peuvent être échangés entre les acteurs sociaux, ils objectivent les significations, ils se déplacent d’un cadre de signification à un autre. Ce sont des marchandises dotées d’une importance économique et de ressources recelant une valeur politique » (traduit de Whyte, Geest et Hardon 2002). D’autres ont davantage tourné leur regard vers les rapports institutionnels, les impacts et le fonctionnement de « Big Pharma ». Ils se sont intéressés aux processus de recherche et de distribution employés par les grandes pharmaceutiques à travers les études de marché et les pratiques de vente (Oldani 2014), l’accès aux médicaments (Ecks 2008), la consommation des produits pharmaceutiques (Dumit 2012) et la production de sujets d’essais cliniques globalisés (Petryna, Lakoff et Kleinman 2006), ainsi qu’aux enjeux entourant les réglementations des brevets et du respect des droits politiques et sociaux (Ecks 2008). L’accent est mis ici sur le pouvoir des produits pharmaceutiques de modifier et de changer les subjectivités contemporaines, les relations familiales (Collin 2016), de même que la compréhensions du genre et de la notion de bien-être (Sanabria 2014). Les nouvelles technologies biomédicales — entre autres génétiques — ont permis de repenser la notion de normes du corps en santé, d'en redéfinir les frontières et d’intervenir sur le corps de manière « incorporée » (embodied) (Haraway 1991). Les avancées technologiques en génomique qui se sont développées au cours des trois dernières décennies ont soulevé des enjeux tels que la généticisation, la désignation de populations/personnes « à risque », l’identification de biomarqueurs actionnables et de l’identité génétique (TallBear 2013 ; Lloyd et Raikhel 2018). Au départ, le modèle dominant en génétique cherchait à identifier les gènes spécifiques déterminant chacun des traits biologiques des organismes (Lock et Nguyen 2010 : 332). Cependant, face au constat que la plupart des gènes ne codaient par les protéines responsables de l’expression phénotypique, les modèles génétiques se sont depuis complexifiés. L’attention s’est tournée vers l’analyse de la régulation des gènes et de l’interaction entre gènes et maladies en termes de probabilités (Saukko 2017). Cela a permis l’émergence de la médecine personnalisée, dont les interventions se basent sur l’identification de biomarqueurs personnels (génétiques, sanguins, etc.) avec l’objectif de prévenir l’avènement de pathologies ou ralentir la progression de maladies chroniques (Billaud et Guchet 2015). Les anthropologues de la médecine ont investi ces enjeux en soulevant les conséquences de cette forme de médecine, comme la responsabilisation croissante des individus face à leur santé (Saukko 2017), l’utilisation de ces données dans l’accès aux assurances (Hoyweghen 2006), le déterminisme génétique (Landecker 2011) ou encore l’affaiblissement entre les frontières de la bonne santé et de la maladie (Timmermans et Buchbinder 2010). Ces enjeux ont été étudiés sous un angle féministe avec un intérêt particulier pour les effets du dépistage prénatal sur la responsabilité parentale (Rapp 1999), l’expérience de la grossesse (Rezende 2011) et les gestions de l’infertilité (Inhorn et Van Balen 2002). Les changements dans la compréhension du modèle génomique invitent à prendre en considération plusieurs variables en interaction, impliquant l’environnement proche ou lointain, qui interagissent avec l’expression du génome (Keller 2014). Dans ce contexte, l’anthropologie médicale a développé un intérêt envers de nouveaux champs d’études tels que l’épigénétique (Landecker 2011), la neuroscience (Choudhury et Slaby 2016), le microbiome (Benezra, DeStefano et Gordon 2012) et les données massives (Leonelli 2016). Dans le cas du champ de l’épigénétique, qui consiste à comprendre le rôle de l’environnement social, économique et politique comme un facteur pouvant modifier l’expression des gènes et mener au développement de certaines maladies, les anthropologues se sont intéressés aux manières dont les violences structurelles ancrées historiquement se matérialisent dans les corps et ont des impacts sur les disparités de santé entre les populations (Pickersgill, Niewöhner, Müller, Martin et Cunningham-Burley 2013). Ainsi, la notion du traumatisme historique (Kirmayer, Gone et Moses 2014) a permis d’examiner comment des événements historiques, tels que l’expérience des pensionnats autochtones, ont eu des effets psychosociaux collectifs, cumulatifs et intergénérationnels qui se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. L’étude de ces articulations entre conditions biologiques et sociales dans l’ère « post-génomique » prolonge les travaux sur le concept de biosocialité, qui est défini comme « [...] un réseau en circulation de termes d'identié et de points de restriction autour et à travers desquels un véritable nouveau type d'autoproduction va émerger » (Traduit de Rabinow 1996:186). La catégorie du « biologique » se voit alors problématisée à travers l’historicisation de la « nature », une nature non plus conçue comme une entité immuable, mais comme une entité en état de transformation perpétuelle imbriquée dans des processus humains et/ou non-humains (Ingold et Pálsson 2013). Ce raisonnement a également été appliqué à l’examen des catégories médicales, conçues comme étant abstraites, fixes et standardisées. Néanmoins, ces catégories permettent d'identifier différents états de la santé et de la maladie, qui doivent être compris à la lumière des contextes historiques et individuels (Lock et Nguyen 2010). Ainsi, la prise en compte simultanée du biologique et du social mène à une synthèse qui, selon Peter Guarnaccia, implique une « compréhension du corps comme étant à la fois un système biologique et le produit de processus sociaux et culturels, c’est-à-dire, en acceptant que le corps soit en même temps totalement biologique et totalement culturel » (traduit de Guarnaccia 2001 : 424). Le concept de « biologies locales » a d’abord été proposé par Margaret Lock, dans son analyse des variations de la ménopause au Japon (Lock 1993), pour rendre compte de ces articulations entre le matériel et le social dans des contextes particuliers. Plus récemment, Niewöhner et Lock (2018) ont proposé le concept de biologies situées pour davantage contextualiser les conditions d’interaction entre les biologies locales et la production de savoirs et de discours sur celles-ci. Tout au long de l’histoire de la discipline, les anthropologues s’intéressant à la médecine et aux approches de la santé ont profité des avantages de s’inscrire dans l’interdisciplinarité : « En anthropologie médical, nous trouvons qu'écrire pour des audiences interdisciplinaires sert un objectif important : élaborer une analyse minutieuse de la culture et de la santé (Dressler 2012; Singer, Dressler, George et Panel 2016), s'engager sérieusement avec la diversité globale (Manderson, Catwright et Hardon 2016), et mener les combats nécessaires contre le raccourcies des explications culturelles qui sont souvent déployées dans la littérature sur la santé (Viruell-Fuentes, Miranda et Abdulrahim 2012) » (traduit de Panter-Brick et Eggerman 2018 : 236). L’anthropologie médicale s’est constituée à la fois comme un sous champ de l’anthropologie socioculturelle et comme un champ interdisciplinaire dont les thèmes de recherche sont grandement variés, et excèdent les exemples qui ont été exposés dans cette courte présentation.
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Orange, Valérie. "L’illusion du caractère exceptionnel de la laïcité française." La laïcité : problématiques et pratiques dans l’espace francophone. Volume 2, no. 9 (June 3, 2021). http://dx.doi.org/10.35562/rif.1300.

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Abstract:
Il n’est pas rare de lire ou d’entendre en France que la laïcité française revêt un caractère exceptionnel. Pourtant, l’observation tant du cas français que de différents cas internationaux laisse apparaître une diversité d’approches invitant plus à parler « des laïcités » que de « la laïcité ». Prenant pour hypothèse que le terme « exceptionnel » traduirait pour ses utilisateurs l’idée d’une organisation singulière, unique en son genre tant dans le temps que dans l’espace, cet article propose une argumentation déconstruisant ces deux aspects. Il met d’abord en lumière que la laïcité n’est pas immuable dans le temps. Pour ce faire, il évoque la diversité des approches de la laïcité qui ont coexisté ou se sont succédé en France du XIXe siècle à nos jours. Ensuite, il déconstruit à son tour l’idée d’une singularité spatiale. Il commence par démontrer que la laïcité française n’est pas singulière sur son propre territoire, puisque huit formes encadrées par le droit y sont actuellement en vigueur simultanément. Il survole ensuite diverses organisations de par le monde, de l’Europe à l’Asie en passant par l’Amérique du Nord. Ces différents cas mettent en évidence que les questions de gestion des relations entre le politique et le religieux se sont posées et se posent toujours dans bien des pays, sous des formes constitutionnelles ou non, et ce, parfois bien avant la France. La diversité des options locales retenues met en évidence que l’interprétation des quatre principes proposés par Milot pour décrire la laïcité (2008) (égalité, liberté de conscience, neutralité et séparation) diffère d’un pays à l’autre, de sorte que toutes les approches sont historicisées et spécifiques, et correspondent à l’un ou plusieurs des idéaltypes composant la typologie des régimes de laïcité établie par Milot. Ces applications locales apparaissent moins constituer des exceptions que des variantes. Elles s’inscrivent toutes dans les attentes du droit international supposé respecté par les pratiques des pays démocratiques en matière d’égalité de droit et de liberté de conscience. Cet article est également l’occasion de faire quelques rappels théoriques. Il distingue d’abord les processus de laïcisation et de sécularisation. Cette distinction permet de mieux saisir les différences entre, d’une part, les pays laïques, c'est-à-dire sans religion établie et/ou avec une séparation officielle entre l’Église et l’État et, d’autre part, les pays mobilisant une « laïcité de fait » dans lesquels les institutions se sont sécularisées, bien qu’il existe toujours une Église reconnue. L’article développe enfin une distinction entre sphère publique et espace public, qui permet de mieux comprendre la portée réelle de la laïcité et de saisir en quoi les attentes d’occultation du religieux contreviennent le plus souvent au cadre légal et découlent surtout d’une envie de sécularisation.
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Cortado, Thomas Jacques. "Maison." Anthropen, 2020. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.131.

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Abstract:
Le champ sémantique de la maison imprègne nos perceptions individuelles et collectives du monde comme peu d’autres. Il suffit de songer à la distinction très marquée entre house et home en anglais, si difficile à retranscrire dans nos langues latines, ou encore aux usages politiques de l’expression « chez nous » en français. Ce champ renvoie à des lieux souvent riches d’affects, de mémoires et de désirs, qui nous définissent en propre et orientent nos perceptions du temps et de l’espace. Ils font d’ailleurs la matière des poètes, peintres et autres artistes. À cet égard, lorsque nous perdons notre maison, nous ne nous retrouvons pas seulement privés d’un bien utile et échangeable, d’un « logement », nous voyons aussi s’effacer une partie de nous-mêmes et le centre à partir duquel s’organise notre existence quotidienne. En dépit de sa densité, les anthropologues ont d’abord rabattu le thème de la maison sur ceux de la famille et de la culture matérielle. Pour Lewis H. Morgan, la forme de l’espace domestique ne fait qu’épouser un certain type d’organisation familiale; elle en est, pour ainsi dire, le révélateur (1877). À la « hutte » des « sauvages » correspond donc la famille consanguine, qui autorise le mariage entre cousins, alors qu’à la « maison commune » des « barbares » correspond la famille patriarcale, autoritaire et polygame. Les « maisons unifamiliales » de l’Occident contemporain renvoient à la famille nucléaire, fondement de la « civilisation ». Quant aux anthropologues davantage intéressés par l’architecture et les artefacts domestiques, leurs analyses consistent souvent à expliquer leur genèse en accord avec une vision évolutionniste du progrès technique ou par des facteurs géographiques. On aurait pu s’attendre à ce que l’invention de l’ethnographie par Bronislaw Malinowski ouvre de nouvelles perspectives. Avec elle, c’est en effet un certain rapport à la maison qui se met à définir le métier d’anthropologue, celui-là même qu’exemplifie la célèbre représentation de ce dernier sous sa tente, immortalisée dans la première planche photographique des Argonautes du Pacifique occidental. Pour autant, la maison reste un objet secondaire par rapport à l’organisation de la vie familiale, le vrai principe de la société. Elle est avant tout le lieu où le couple choisit de résider après le mariage et ce choix se plie à certaines « règles », dont on peut assez facilement faire l’inventaire, grâce aux liens de filiation entre les membres du couple et les autres résidents (Murdock 1949). On parlera, par exemple, de résidence « matrilocale » quand le couple emménage chez les parents de l’épouse, « patrilocale » dans le cas inverse. Quant aux sociétés occidentales, où le couple forme habituellement un nouveau ménage, on parlera de résidence « néolocale ». La critique de ces règles permet, dans les années 1950 et 1960, d’étendre la réflexion sur la maison. Face aux difficultés concrètes que pose leur identification, Ward Goodenough suggère d’abandonner les taxinomies qui « n’existent que dans la tête des anthropologues » et de « déterminer quels sont, de fait, les choix résidentiels que les membres de la société étudiée peuvent faire au sein de leur milieu socioculturel particulier » (1956 : 29). Autrement dit, plutôt que de partir d’un inventaire théorique, il faut commencer par l’étude des catégories natives impliquées dans les choix résidentiels. La seconde critique est de Meyer Fortes, qui formule le concept de « groupe domestique », « unité qui contrôle et assure l’entretien de la maison (householding and housekeeping unit), organisée de façon à offrir à ses membres les ressources matérielles et culturelles nécessaires à leur conservation et à leur éducation » (1962 : 8). Le groupe domestique, à l’instar des organismes vivants, connaît un « cycle de développement ». En Europe du sud, par exemple, les enfants quittent le domicile parental lorsqu’ils se marient, mais y reviennent en cas de rupture conjugale ou de chômage prolongé ; âgés, les parents souvent cherchent à habiter près de leurs enfants. En conséquence, « les modèles de résidence sont la cristallisation, à un moment donné, d’un processus de développement » (Fortes 1962 : 5), et non l’application statique de règles abstraites. La maison n’est donc pas seulement le lieu où réside la famille, elle est nécessaire à l’accomplissement de tâches indispensables à la reproduction physique et morale des individus, telles que manger, dormir ou assurer l’éducation des nouvelles générations (Bender 1967). Cette conception du groupe domestique rejoint celle qu’avait formulée Frédéric Le Play un siècle auparavant : pour l’ingénieur français, il fallait placer la maison au centre de l’organisation familiale, par la défense de l’autorité paternelle et la transmission de la propriété à un héritier unique, de façon à garantir la stabilité de l’ordre social (1864). Elle exerce de fait une influence considérable sur les historiens de la famille, en particulier ceux du Cambridge Group for the History of Population and Social Structure, dirigé par Peter Laslett (1972), et sur les anthropologues (Netting, Wilk & Arnould 1984), notamment les marxistes (Sahlins 1976). En Amérique latine, de nombreuses enquêtes menées dans les années 1960 et 1970 mettent en évidence l’importance des réseaux d’entraide, attirant ainsi l’attention sur le rôle essentiel du voisinage (Lewis 1959, Lomnitz 1975). La recherche féministe explore quant à elle le caractère genré de la répartition des tâches au sein du groupe domestique, que recoupe souvent la distinction entre le public et le privé : à la « maîtresse de maison » en charge des tâches ménagères s’oppose le « chef de famille » qui apporte le pain quotidien (Yanagisako 1979). Un tel découpage contribue à invisibiliser le travail féminin (di Leonardo 1987). On remarquera néanmoins que la théorie du groupe domestique pense la maison à partir de fonctions établies par avance : ce sont elles qui orientent l’intérêt des anthropologues, plus que la maison en elle-même. C’est à Claude Lévi-Strauss que l’on doit la tentative la plus systématique de penser la maison comme un principe producteur de la société (1984 ; 2004). Celui-ci prend pour point de départ l’organisation sociale de l’aristocratie kwakiutl (Amérique du Nord), telle qu’elle avait été étudiée par Franz Boas : parce qu’elle présentait des traits à la fois matrilinéaires et patrilinéaires, parce qu’elle ne respectait pas toujours le principe d’exogamie, celle-ci défiait les théories classiques de la parenté. Lévi-Strauss propose de résoudre le problème en substituant le groupe d’unifiliation, tenu pour être au fondement des sociétés dites traditionnelles, par celui de « maison », au sens où l’on parlait de « maison noble » au Moyen Âge. La maison désigne ainsi une « personne morale détentrice d’un domaine, qui se perpétue par transmission de son nom, de sa fortune et de ses titres en ligne réelle ou fictive » (Lévi-Strauss 1984 : 190). Plus que les règles de parenté, ce sont les « rapports de pouvoir » entre ces « personnes morales » qui déterminent les formes du mariage et de la filiation : celles-ci peuvent donc varier en accord avec les équilibres politiques. Lévi-Strauss va ensuite généraliser son analyse à un vaste ensemble de sociétés apparemment cognatiques, qu’il baptise « sociétés à maison ». Celles-ci se situeraient dans une phase intermédiaire de l’évolution historique, « dans un état de la structure où les intérêts politiques et économiques tend[ent] à envahir le champ social » (Lévi-Strauss 1984 : 190). Très discuté par les spécialistes des sociétés concernées, ce modèle a eu la grande vertu de libérer l’imagination des anthropologues. Critiquant son évolutionnisme sous-jacent, Janet Carsten et Stephen Hugh-Jones (1995) proposent toutefois d’approfondir la démarche de Lévi-Strauss, en considérant la maison comme un véritable « fait social total ». L’architecture, par exemple, ne relève pas que d’une anthropologie des techniques : celle de la maison kabyle, analysée par Pierre Bourdieu, met en évidence un « microcosme organisé selon les mêmes oppositions et mêmes homologies qui ordonnent tout l’univers » (1972 : 71), un parallélisme que l’on retrouve dans de nombreux autres contextes socioculturels (Hamberger 2010). Fondamentalement, la maison relève d’une anthropologie du corps. Dans son enquête sur la parenté en Malaisie, Carsten souligne le rôle joué par la cuisine ou le foyer, en permettant la circulation des substances qui assurent la production et la reproduction des corps (alimentation, lait maternel, sang) et leur mise en relation, ce que Carsten appelle la « relationalité » (relatedness) (1995). Fait dynamique plutôt que statique, la maison nous met directement au contact des processus qui forment et reforment nos relations et notre personne : son étude permet donc de dépasser la critique culturaliste des travaux sur la parenté; elle nous montre la parenté en train de se faire. Il convient aussi de ne pas réduire la maison à ses murs : celle-ci le plus souvent existe au sein d’un réseau. Les enquêtes menées par Émile Lebris et ses collègues sur l’organisation de l’espace dans les villes d’Afrique francophone proposent ainsi le concept de « système résidentiel » pour désigner « un ensemble articulé de lieux de résidences (unités d’habitation) des membres d’une famille étendue ou élargie » (Le Bris 1985 : 25). Ils distinguent notamment entre les systèmes « centripètes », « de concentration en un même lieu d’un segment de lignage, d’une famille élargie ou composée » et les systèmes « centrifuges », de « segmentation d’un groupe familial dont les fragments s’installent en plusieurs unités résidentielles plus ou moins proches les unes des autres, mais qui tissent entre elles des liens étroits » (Le Bris 1985 : 25). Examinant les projets et réseaux que mobilise la construction d’une maison dans les quartiers noirs de la Bahia au Brésil, les circulations quotidiennes de personnes et d’objets entre unités domestiques ainsi que les rituels et fêtes de famille, Louis Marcelin en déduit lui aussi que la maison « n’est pas une entité isolée, repliée sur elle-même. La maison n’existe que dans le contexte d’un réseau d’unités domestiques. Elle est pensée et vécue en interrelation avec d’autres maisons qui participent à sa construction – au sens symbolique et concret. Elle fait partie d’une configuration » (Marcelin 1999 : 37). À la différence de Lebris, toutefois, Marcelin part des expériences individuelles et des catégories socioculturelles propres à la société étudiée : une « maison », c’est avant tout ce que les personnes identifient comme tel, et qui ne correspond pas nécessairement à l’image idéale que l’on se fait de cette dernière en Occident. « La configuration de maisons rend compte d’un espace aux frontières paradoxalement floues (pour l'observateur) et nettes (pour les agents) dans lequel se déroule un processus perpétuel de création et de recréation de liens (réseaux) de coopération et d'échange entre des entités autonomes (les maisons) » (Marcelin 1996 : 133). La découverte de ces configurations a ouvert un champ de recherche actuellement des plus dynamiques, « la nouvelle anthropologie de la maison » (Cortado à paraître). Cette « nouvelle anthropologie » montre notamment que les configurations de maisons ne sont pas l’apanage des pauvres, puisqu’elles organisent aussi le quotidien des élites, que ce soit dans les quartiers bourgeois de Porto au Portugal (Pina-Cabral 2014) ou ceux de Santiago au Chili (Araos 2016) – elles ne sont donc pas réductibles à de simples « stratégies de survie ». Quoiqu’elles se construisent souvent à l’échelle d’une parcelle ou d’un quartier (Cortado 2019), ces configurations peuvent très bien se déployer à un niveau transnational, comme c’est le cas au sein de la diaspora haïtienne (Handerson à paraître) ou parmi les noirs marrons qui habitent à la frontière entre la Guyane et le Suriname (Léobal 2019). Ces configurations prennent toutefois des formes très différentes, en accord avec les règles de filiation, bien sûr (Pina-Cabral 2014), mais aussi les pratiques religieuses (Dalmaso 2018), le droit à la propriété (Márquez 2014) ou l’organisation politique locale – la fidélité au chef, par exemple, est au fondement de ce que David Webster appelle les « vicinalités » (vicinality), ces regroupements de maisons qu’il a pu observer chez les Chopes au sud du Mozambique (Webster 2009). Des configurations surgissent même en l’absence de liens familiaux, sur la base de l’entraide locale, par exemple (Motta 2013). Enfin, il convient de souligner que de telles configurations ne sont pas, loin de là, harmonieuses, mais qu’elles sont généralement traversées de conflits plus ou moins ouverts. Dans la Bahia, les configurations de maisons, dit Marcelin, mettent en jeu une « structure de tension entre hiérarchie et autonomie, entre collectivisme et individualisme » (Marcelin 1999 : 38). En tant que « fait social total », dynamique et relationnel, l’anthropologie de la maison ne saurait pourtant se restreindre à celle de l’organisation familiale. L’étude des matérialités domestiques (architecture, mobilier, décoration) nous permet par exemple d’accéder aux dimensions esthétiques, narratives et politiques de grands processus historiques, que ce soit la formation de la classe moyenne en Occident (Miller 2001) ou la consolidation des bidonvilles dans le Sud global (Cavalcanti 2012). Elle nous invite à penser différents degrés de la maison, de la tente dans les camps de réfugiés ou de travailleurs immigrés à la maison en dur (Abourahme 2014, Guedes 2017), en passant par la maison mobile (Leivestad 2018) : pas tout à fait des maisons, ces formes d’habitat n’en continuent pas moins de se définir par rapport à une certaine « idée de la maison » (Douglas 1991). La maison relève aussi d’une anthropologie de la politique. En effet, la maison est une construction idéologique, l’objet de discours politiquement orientés qui visent, par exemple, à assoir l’autorité du père sur la famille (Sabbean 1990) ou à « moraliser » les classes laborieuses (Rabinow 1995). Elle est également la cible et le socle des nombreuses technologiques politiques qui organisent notre quotidien : la « gouvernementalisation » des sociétés contemporaines se confond en partie avec la pénétration du foyer par les appareils de pouvoir (Foucault 2004); la « pacification » des populations indigènes passe bien souvent par leur sédentarisation (Comaroff & Comaroff 1992). Enfin, la maison relève d’une anthropologie de l’économie. La production domestique constitue bien sûr un objet de première importance, qui bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt. Florence Weber et Sybille Gollac parlent ainsi de « maisonnée » pour désigner les collectifs de travail domestique fondés sur l’attachement à une maison – par exemple, un groupe de frères et sœurs qui s’occupent ensemble d’un parent âgé ou qui œuvrent à la préservation de la maison familiale (Weber 2002, Gollac 2003). Dans la tradition du substantialisme, d’autres anthropologues partent aujourd’hui de la maison pour analyser notre rapport concret à l’économie, la circulation des flux monétaires, par exemple, et ainsi critiquer les représentations dominantes, notamment celles qui conçoivent l’économie comme un champ autonome et séparé (Gudeman et Riviera 1990; Motta 2013) – il ne faut pas oublier que le grec oikonomia désignait à l’origine le bon gouvernement de la maison, une conception qui aujourd’hui encore organise les pratiques quotidiennes (De l’Estoile 2014). Cycles de vie, organisation du travail domestique, formes de domination, identités de genre, solidarités locales, rituels et cosmovisions, techniques et production du corps, circulation des objets et des personnes, droits de propriété, appropriations de l’espace, perceptions du temps, idéologies, technologies politiques, flux monétaires… Le thème de la maison s’avère d’une formidable richesse empirique et théorique, et par-là même une porte d’entrée privilégiée à de nombreuses questions qui préoccupent l’anthropologie contemporaine.
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Diasio, Nicoletta. "Généalogie des savoirs anthropologies." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.034.

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Abstract:
Dès 1941 Ernesto De Martino appelait à un historicisme radical qui arrache les populations étudiées par les ethnologues à une condition de réification qui en faisait « une humanité fortuite, un monstrueux commérage de l’histoire humaine, dont l’étrangeté minutieusement chiffrée n’arrivait pas à en corriger la futilité » (1961 :19). Son approche dénonçait la contradiction latente d’une science qui se définit « humaine » dans son objet, mais aux méthodes prétendument naturalistes et cautionnant souvent des enjeux de pouvoir. C'est au contraire par la reconnaissance d'une commune historicité que les populations, et les savoirs qu'ils produisent, peuvent se penser ensemble, les unes par rapport aux autres (Gadamer 1963). Le dialogue entre historiens et anthropologues a permis d’ouvrir la comparaison aux différentes manières dont les sociétés humaines ont procédé pour inventer et reformuler la tradition, fabriquer des modèles du passé, figurer le changement et se penser dans le présent (Detienne 2000). Toutefois, comme le critiquait déjà Stocking en 1965, l’histoire de l’anthropologie a souvent eu du mal à penser le passé comme autre chose que le présent et à reconnaître aux populations ‘autres’ leur historicité. Une reconnaissance pleine des anthropologies périphériques passe alors par l'étude des généalogies plurielles de ces savoirs élaborés par ceux qui ont longtemps été envisagés comme des objets de connaissance ethnologique. Cette analyse est d'autant plus nécessaire qu'une des manières de nier à ces « autres » la légitimité à produire du savoir, a été celle de les encapsuler dans un éternel présent et de leur nier le labeur de l'histoire et les dynamiques de transformation. Dans la constitution des anthropologies hégémoniques, la mise à distance spatiale et temporelle a joué un rôle fondamental dans la construction de l'altérité. Mais si la spatialisation de la différence a fait l'objet de critiques sévères, l'attribution aux populations étudiées d'un temps différent n'a été remise en question que plus tardivement. Cette « allochronie » (Fabian 1983) relève de différents procédés : un rejet des autres peuples en-dehors de notre temps, un déni de la co-temporalité unissant l'anthropologue et son interlocuteur, qui biffe la dimension intersubjective du terrain, la primauté de l'observation visuelle et de la représentation qui fige l'expérience ethnologique dans un fictif ici-et-maintenant. La soustraction de la durée agit aussi bien dans la construction des objets d'étude, que dans le silence qui entoure la production anthropologiques des peuples ethnologisés. Une anthropologie non hégémonique devrait pallier à ce défaut d'historicité par une archéologie des savoirs produits par ceux qui ont fait l'objet même d'une altérisation. Comment la réflexion sur l'altérité a-t-elle été produite ailleurs que dans les anthropologies dites hégémoniques? Qu'est-ce que ce déni de l'histoire a entraîné dans la production anthropologique de ceux qui en ont été les premiers objets ? Il s'agit d'analyser « comment se sont formées, au travers, en dépit ou avec l'appui des systèmes de contrainte, des séries de discours; quelle a été la norme spécifique de chacune, et quelles ont été leurs conditions d'apparition, de croissance, de variation » (Foucault, 1971: 62-63). Une telle généalogie permettrait de reconstruire les procédures internes de production, de sélection, de classification, de légitimation, de validation des discours anthropologiques, et celles externes de mise en œuvre de ces savoirs, de leur circulation, ainsi que des modes d'appropriation, d'usage et de transmission. Ces deux types de procédures sont à analyser autant dans l'élaboration théorique, que dans l'épaisseur des pratiques: systèmes de l'édition, structures de formation, laboratoires de recherche, supports et circuits de diffusion de l'information. Ces histoires sont elles-mêmes segmentaires, plurielles, discontinues, traversées par des controverses et des tensions. Leur reconstruction permettrait de restituer la diversité interne de ces savoirs locaux, en montrant comment la place de l'anthropologie, son projet, ses cadres théoriques changent selon les histoires locales, les institutions, des rapports mobiles de pouvoir (Diasio 1999). Elles permettraient de montrer les jeux d'influence, de circulation et d'emprunt, qui souvent bousculent l'apparente hiérarchie entre savoirs hégémoniques et savoirs dits périphériques, comme le montre un numéro de la revue Deshima consacré au structuralisme néerlandais. Cela implique également de relever comment l'anthropologie se situe à la croisée de disciplines différentes et que leur configuration spécifique donne lieu à des modes spécifiques de construire et appréhender l'altérité ( → centre-périphérie). Ces savoirs, d'ailleurs, ne sont pas forcément appelés « anthropologie », mais peuvent relever de préoccupations et de méthodes qui ne sont pas moins « anthropologiques ». Comme l’affirme Bachelard, « toute connaissance, prise au moment de sa constitution est une connaissance polémique » (1950: 14). L'histoire des processus formatifs de l'anthropologie est enfin à explorer en lien avec les pratiques de recherche. Comment devient-on anthropologue? Et quels sont les sujets d'études, les méthodologies, les postures épistémologiques acceptées selon les contextes institutionnels et les systèmes disciplinaires ? Déconstruire les mécanismes de production des anthropologues et des anthropologies permet alors une opération de décentrement, qui ne peut que revitaliser la discipline. Enfin, si l’histoire et le temps prennent depuis 1989 une ampleur inédite, l’étude des anthropologies non-hégémoniques nous permettrait d’interroger plus largement les régimes d’historicité des sociétés en mutation et de questionner ce que Hartog a défini « le présentisme » : un temps désorienté entre un passé qui se dérobe et un futur incertain, ce qui amène à « l’expérience d’un présent perpétuel, insaisissable et quasiment immobile, cherchant malgré tout à produire par lui-même un temps historique » (2003 : 28). La mise en perspective des savoirs anthropologiques et de leurs généalogies, constitue une entrée pour penser la manière dont sont construits concomitamment altérité culturelle et rapports au temps (Lenclud 2010).
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Massé, Raymond. "Éthique." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.009.

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Abstract:
En l’absence d’un consensus élargi, tant chez les philosophes que chez les anthropologues, sur des définitions normatives de l’éthique et de la morale, l’important pour l’anthropologie est de proposer un découpage cohérent et complémentaire des dimensions que recouvrent ces deux concepts. Si l’on définit la morale comme un système de normes et de valeurs auxquels les membres d’une société donnée doivent adhérer pour rendre les comportements compatibles avec les conceptions locales du Bien et du Mal (voire la rubrique Morale), l’éthique constitue plutôt le lieu et le moment d’une réflexion critique sur la moralité de nos gestes individuels et collectifs (Massé 2015). Alors que la morale est concernée par les injonctions «doit» et « ne doit pas» faire, l’éthique se demande «qui suis-je pour dire aux autres ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire » ? Et quels seront les impacts de ces conseils sur ma relation à l’autre ? L’éthique devient le lieu d’un questionnement sur le bien fondé de ces normes, voire d’un arbitrage effectué par les individus et les collectivités entre les normes proposées par la multiplicité de morales (religieuses, institutionnelles, de sens commun) auxquelles ils sont exposés. L’éthique oriente les conduites, certes, mais non pas par l’imposition d’obligations morales données à l’avance dans des textes religieux ou des normes inscrites dans un sens commun extérieur à l’individu. L’Éthique est ouverte, elle résiste aux enfermements. Elle suppose chez l’individu, une conscience des alternatives, une mise à distance critique pouvant conduire à la dissidence ou à l’acceptation éclairée. En ce sens, elle repose sur la liberté d’analyse et de jugement. Pour une institution publique, elle suppose une discussion ouverte entre les divers groupes d’intérêt concernés. Les résultats de cette délibération seront des valeurs élevées au niveau de principes éthiques à respecter. Ils seront généralement inscrits dans des «codes d’éthique» qui rendent visibles, tant aux personnels, aux clients qu’au public en général, les règles et normes qui en garantissent la moralité. Ces institutions proclament ainsi la vérité et la rectitude d’une moralité donnée (Zigon 2008). L’éthique devient ainsi une théorie raisonnée des jugements moraux portant sur le bien et le mal. L’éthique réfère donc à la fois au processus d’analyse raisonnée et aux résultats, toujours fragiles et provisoires, de cette réflexion issue de l’expérience et des situations critiques rencontrées à divers moments de la vie (Zigon 2008). L’importance centrale accordée au raisonnement est toutefois contestée par certains (Pandian et Ali 2010) anthropologues et historiens qui voient, par exemple, l’éthique et les vertus en Asie du Sud comme étant influencées autant par des forces psychiques et affectives que par des dispositions réflectives, délibératives ou rationnelles envers la conduite morale. Il n’en reste pas moins que l’éthique est cet espace de liberté qui amène l’individu à se questionner sur le bien-fondé de ses choix de vie lorsqu’il se demande «comment dois-je vivre»? L’éthique est donc, le lieu de la liberté, de l’arbitrage et de la pondération des obligations morales. Aucun système de normes et de valeurs morales n’étant en mesure d’éviter que ne surgissent des contradictions et des dilemmes dans les choix moraux, l’éthique suppose un ajustement des choix moraux selon les contextes, les circonstances. Si les morales, en tant que systèmes de normes, constituent des référents relativement stables, le positionnement éthique du sujet, pour sa part, est flexible. Il est susceptible d’ajustements selon les contextes, les étapes de la trajectoire de vie, les pressions de l’entourage ou des divers pouvoirs. Un individu peut perdre temporairement son statut éthique dans la communauté, mais il dispose tout autant de multiples outils pour reconstruire sa légitimité éthique. Une anthropologie de l’éthique sera donc axée sur l’analyse des modalités d’expression de la liberté du sujet (Laidlaw 2002). Elle s’intéressera aux subjectivités qui se construisent et se reconstruisent tout au long de l’expérience vécue. Elle mettra l’accent sur une analyse des possibilités ouvertes par cette liberté en décrivant de quelle façon elle est exercée dans différents contextes sociaux et différentes traditions culturelles. Bien sûr, cette liberté est limitée et largement influencée par les modèles imposés par sa société et sa culture. Il faudra toutefois éviter d’opposer éthique et morale sur la base de cette seule liberté, la routinisation de la morale pouvant parfois découler d’un exercice réflexif (Faubion 2011). L’enjeu est moins de déterminer si l’individu, dans telle ou telle société, est libre ou non d’adopter une position morale qui lui est propre (en choisissant parmi les normes morales, dominantes ou subalternes), que d’analyser les multiples modalités d’une incorporation des valeurs morales d’un contexte sociétal à l’autre sans oublier l’influence de l’expérience personnelle. Le champ de l’éthique est donc concerné par les mécanismes individuels et collectifs d’arbitrage et de règlement des conflits moraux. Or, dans toute société, ces processus d’arbitrage s’inscrivent dans les rapports de pouvoir existant entre les divers groupes d’intérêt qui participent à la discussion. L’éthique est donc le lieu d’une analyse comparée des modèles de résolution de conflit moraux de même que des rapports de pouvoirs économiques, politiques ou religieux qui influent sur la reproduction (ou la marginalisation) de certaines des valeurs morales. Elle reconnaît que le consentement et le consensus moral sont souvent forcés et qu'ils découlent d'usages sociopolitiques de normes morales. L’éthique enfin, concerne la recherche de potentielles valeurs morales universelles et d’une éthique partagée. Raymond Firth (1963) suggérait il y longtemps déjà que l’anthropologie devait s’intéresser aux principes généraux qui découleraient de l’étude comparative des diverses morales, bref à ce qui est commun aux conduites morales à travers les cultures. Arthur Kleinman (2006) voit pour sa part dans l’éthique un ensemble de principes moraux qui aspirent à l’application universelle. L’éthique est donc tout autant la recherche de ces dénominateurs communs moraux humanistes que l’étude des multiples façons dont les individus et les collectivités négocient les modalités d’un respect circonstancié et situé de ces principes.
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Dunoyer, Christiane. "Monde alpin." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.101.

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Abstract:
Après avoir été peint et décrit avec des traits plus pittoresques qu’objectifs par les premiers voyageurs et chercheurs qui traversaient les Alpes, mus tantôt par l’idée d’un primitivisme dont la difformité et la misère étaient l’expression la plus évidente, tantôt par la nostalgie du paradis perdu, le monde alpin a attiré le regard curieux des folkloristes à la recherche des survivances du passé, des anciennes coutumes, des proverbes et des objets disparus dans nombre de régions d’Europe. Au début du XXe siècle, Karl Felix Wolff (1913) s’inspire de la tradition des frères Grimm et collecte un nombre consistant de légendes ladines, avec l’objectif de redonner une nouvelle vie à un patrimoine voué à l’oubli. Tout comme les botanistes et les zoologues, les folkloristes voient le monde alpin comme un « merveilleux conservatoire » (Hertz 1913 : 177). Un des élèves les plus brillants de Durkheim, Robert Hertz, analyse finement ces « formes élémentaires de la vie religieuse » en étudiant le pèlerinage de Saint Besse, qui rassemble chaque année les populations de Cogne (Vallée d’Aoste) et du Val Soana (Piémont) dans un sanctuaire à la montagne situé à plus de 2000 mètres d’altitude. Après avoir observé et questionné la population locale s’adonnant à ce culte populaire, dont il complète l’analyse par des recherches bibliographiques, il rédige un article exemplaire (Hertz 1913) qui ouvre la voie à l’anthropologie alpine. Entre 1910 et 1920, Eugénie Goldstern mène ses enquêtes dans différentes régions de l’arc alpin à cheval entre la France, la Suisse et l’Italie : ses riches données de terrain lui permettent de réaliser le travail comparatif le plus complet qui ait été réalisé dans la région (Goldstern 2007). Une partie de sa recherche a été effectuée avec la supervision de l’un des fondateurs de l’anthropologie française et l’un des plus grands experts de folklore en Europe, Arnold Van Gennep. Pour ce dernier, le monde alpin constitue un espace de prédilection, mais aussi un terrain d’expérimentation et de validation de certaines hypothèses scientifiques. « Dans tous les pays de montagne, qui ont été bien étudiés du point de vue folklorique […] on constate que les hautes altitudes ne constituent pas un obstacle à la diffusion des coutumes. En Savoie, le report sur cartes des plus typiques d’entre elles montre une répartition nord-sud passant par-dessus les montagnes et les rivières et non pas conditionnée par elles » (Van Gennep 1990 : 30-31). L’objectif de Van Gennep est de comprendre de l’intérieur la « psychologie populaire », à savoir la complexité des faits sociaux et leur variation. Sa méthode consiste à « parler en égal avec un berger » (Van Gennep 1938 : 158), c’est-à-dire non pas tellement parler sa langue au sens propre, mais s’inscrire dans une logique d’échange actif pour accéder aux représentations de son interlocuteur. Quant aux nombreuses langues non officielles présentes sur le territoire, quand elles n’auraient pas une fonction de langue véhiculaire dans le cadre de l’enquête, elles ont été étudiées par les dialectologues, qui complétaient parfois leurs analyses des structures linguistiques avec des informations d’ordre ethnologique : les enseignements de Karl Jaberg et de Jakob Jud (1928) visaient à associer la langue à la civilisation (Wörter und Sachen). Dans le domaine des études sur les walsers, Paul Zinsli nous a légué une synthèse monumentale depuis la Suisse au Voralberg en passant par l’Italie du nord et le Liechtenstein (Zinsli 1976). Comme Van Gennep, Charles Joisten (1955, 1978, 1980) travaille sur les traditions populaires en réalisant la plus grande collecte de récits de croyance pour le monde alpin, entre les Hautes-Alpes et la Savoie. En 1973, il fonde la revue Le monde alpin et rhodanien (qui paraîtra de 1973 à 2006 en tant que revue, avant de devenir la collection thématique du Musée Dauphinois de Grenoble). Si dans l’après-guerre le monde alpin est encore toujours perçu d’une manière valorisante comme le reliquaire d’anciens us et coutumes, il est aussi soumis à la pensée évolutionniste qui le définit comme un monde arriéré parce que marginalisé. C’est dans cette contradiction que se situe l’intérêt que les anthropologues découvrent au sein du monde alpin : il est un observatoire privilégié à la fois du passé de l’humanité dont il ne reste aucune trace ailleurs en Europe et de la transition de la société traditionnelle à la société modernisée. En effet, au début des années 1960, pour de nombreux anthropologues britanniques partant à la découverte des vallées alpines le constat est flagrant : les mœurs ont changé rapidement, suite à la deuxième guerre mondiale. Cette mutation catalyse l’attention des chercheurs, notamment l’analyse des relations entre milieu physique et organisation sociale. Même les pionniers, s’ils s’intéressent aux survivances culturelles, ils se situent dans un axe dynamique : Honigmann (1964, 1970) entend démentir la théorie de la marginalité géographique et du conservatisme des populations alpines. Burns (1961, 1963) se propose d’illustrer la relation existant entre l’évolution socioculturelle d’une communauté et l’environnement. Le monde alpin est alors étudié à travers le prisme de l’écologie culturelle qui a pour but de déterminer dans quelle mesure les caractéristiques du milieu peuvent modeler les modes de subsistance et plus généralement les formes d’organisation sociale. Un changement important a lieu avec l’introduction du concept d’écosystème qui s’impose à partir des années 1960 auprès des anthropologues penchés sur les questions écologiques. C’est ainsi que le village alpin est analysé comme un écosystème, à savoir l’ensemble complexe et organisé, compréhensif d’une communauté biotique et du milieu dans lequel celle-ci évolue. Tel était l’objectif de départ de l’étude de John Friedl sur Kippel (1974), un village situé dans l’une des vallées des Alpes suisses que la communauté scientifique considérait parmi les plus traditionnelles. Mais à son arrivée, il découvre une réalité en pleine transformation qui l’oblige à recentrer son étude sur la mutation sociale et économique. Si le cas de Kippel est représentatif des changements des dernières décennies, les différences peuvent varier considérablement selon les régions ou selon les localités. Les recherches d’Arnold Niederer (1980) vont dans ce sens : il analyse les Alpes sous l’angle des mutations culturelles, par le biais d’une approche interculturelle et comparative de la Suisse à la France, à l’Italie, à l’Autriche et à la Slovénie. John Cole et Eric Wolf (1974) mettent l’accent sur la notion de communauté travaillée par des forces externes, en analysant, les deux communautés voisines de St. Felix et Tret, l’une de culture germanique, l’autre de culture romane, séparées par une frontière ethnique qui fait des deux villages deux modèles culturels distincts. Forts de leur bagage d’expériences accumulées dans les enquêtes de terrain auprès des sociétés primitives, les anthropologues de cette période savent analyser le fonctionnement social de ces petites communautés, mais leurs conclusions trop tributaires de leur terrain d’enquête exotique ne sont pas toujours à l’abri des généralisations. En outre, en abordant les communautés alpines, une réflexion sur l’anthropologie native ou de proximité se développe : le recours à la méthode ethnographique et au comparatisme permettent le rétablissement de la distance nécessaire entre l’observateur et l’observé, ainsi qu’une mise en perspective des phénomènes étudiés. Avec d’autres anthropologues comme Daniela Weinberg (1975) et Adriana Destro (1984), qui tout en étudiant des sociétés en pleine transformation en soulignent les éléments de continuité, nous nous dirigeons vers une remise en cause de la relation entre mutation démographique et mutation structurale de la communauté. Robert Netting (1976) crée le paradigme du village alpin, en menant une étude exemplaire sur le village de Törbel, qui correspondait à l’image canonique de la communauté de montagne qu’avait construite l’anthropologie alpine. Pier Paolo Viazzo (1989) critique ce modèle de la communauté alpine en insistant sur l’existence de cas emblématiques pouvant démontrer que d’autres villages étaient beaucoup moins isolés et marginaux que Törbel. Néanmoins, l’étude de Netting joue un rôle important dans le panorama de l’anthropologie alpine, car elle propose un nouvel éclairage sur les stratégies démographiques locales, considérées jusque-là primitives. En outre, sur le plan méthodologique, Netting désenclave l’anthropologie alpine en associant l’ethnographie aux recherches d’archives et à la démographie historique (Netting 1981) pour compléter les données de terrain. La description des interactions écologiques est devenue plus sophistiquée et la variable démographique devient cruciale, notamment la relation entre la capacité de réguler la consistance numérique d’une communauté et la stabilité des ressources locales. Berthoud (1967, 1972) identifie l’unité de l’aire alpine dans la spécificité du processus historique et des différentes trajectoires du développement culturel, tout en reconnaissant l’importance de l’environnement. C’est-à-dire qu’il démontre que le mode de production « traditionnel » observé dans les Alpes n’est pas déterminé par les contraintes du milieu, mais il dérive de la combinaison d’éléments institutionnels compatibles avec les conditions naturelles (1972 : 119-120). Berthoud et Kilani (1984) analysent l’équilibre entre tradition et modernité dans l’agriculture de montagne dans un contexte fortement influencé par le tourisme d’hiver. Dans une reconstruction et analyse des représentations de la montagne alpine depuis la moitié du XVIIIe siècle à nos jours, Kilani (1984) illustre comment la vision du monde alpin se dégrade entre 1850 et 1950, au fur et à mesure de son insertion dans la société globale dans la dégradation des conditions de vie : il explique ainsi la naissance dans l’imaginaire collectif d’une population primitive arriérée au cœur de l’Europe. Cependant, à une analyse comparative de l’habitat (Weiss 1959 : 274-296 ; Wolf 1962 ; Cole & Wolf 1974), de la dévolution patrimoniale (Bailey 1971 ; Lichtenberger 1975) ou de l’organisation des alpages (Arbos 1922 ; Parain 1969), le monde alpin se caractérise par une surprenante variation, difficilement modélisable. Les situations de contact sont multiples, ce qui est très évident sur le plan linguistique avec des frontières très fragmentées, mais de nombreuses autres frontières culturelles européennes traversent les Alpes, en faisant du monde alpin une entité plurielle, un réseau plus ou moins interconnecté de « upland communities » (Viazzo 1989), où les éléments culturels priment sur les contraintes liées à l’environnement. Aux alentours de 1990, la réflexion des anthropologues autour des traditions alpines, sous l’impulsion de la notion d’invention de la tradition, commence à s’orienter vers l’étude des phénomènes de revitalisation (Boissevain 1992), voire de relance de pratiques ayant subi une transformation ou une rupture dans la transmission. Cette thèse qui a alimenté un riche filon de recherches a pourtant été contestée par Jeremy MacClancy (1997) qui met en avant les éléments de continuité dans le culte de Saint Besse, presqu’un siècle après l’enquête de Robert Hertz. La question de la revitalisation et de la continuité reste donc ouverte et le débat se poursuit dans le cadre des discussions qui accompagnent l’inscription des traditions vivantes dans les listes du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
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Martin, Brigitte. "Cosmopolitisme." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.120.

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Abstract:
Le cosmopolitisme est un mot dont la racine ancienne remonte à la civilisation des peuples de langue et de culture grecques durant l’Antiquité. Il a été formulé par Diogène de Sinope à partir des mots grecs que sont : cosmos, univers, politês et citoyen. Il exprime la possibilité d’être natif d’un lieu précis et de toucher à l’universalité, sans renier sa particularité (Coulmas 1995). Souvent associé à la mobilité internationale ou à l’élite globetrotteuse, dont les compétences interculturelles auraient facilité la maîtrise des sensibilités et des nuances culturelles, le cosmopolitisme n’est pourtant pas une caractéristique essentielle à la réalisation de citoyens du monde et d'universalistes (Chouliaraki 2008). Le point d’ancrage qu’est la relation qui réside dans l’utilisation du mot « local » pour désigner l’opposé du « cosmopolite », constitue l’élément déterminant au cœur de cette notion de cosmopolitisme contemporain. Hiebert (2002) ne fait pas de différence entre les locaux paroissiaux sédentaires et ceux qui sont plus mobiles à l’étranger (voyageurs, globetrotteurs, travailleurs, exilés, etc.) pour qualifier le cosmopolite, qui selon lui réside dans la connexion entre cultures et culture d’appartenance. Aujourd’hui, la notion de cosmopolitisme repose sur un vaste champ d’études et de disciplines qui constitue une tentative pour parvenir à une compréhension de phénomènes culturels plus contemporains. Cette conception émerge par l’ouverture de relations nouées et des effets qui y sont associés localement ou lors des déplacements à l’étranger (Amit 2010; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006; Noble 2009, 2013). Le XVIIIe siècle a été celui du cosmopolitisme, celui où l’on a vu se développer les notions de citoyen du monde et d’universalisme, et celui où Kant (1724-1804) y a formulé sa théorie du cosmopolitisme se fondant sur l’universalisme, la pensée rationnelle, le libéralisme et la sécularité. Les notions de citoyen du monde et d’universalisme peuvent qualifier et signifier ce que l’on entend par cosmopolitisme. En outre, la philosophie universaliste positionne chaque individu au sein d’un ensemble social allant du plus particulier – en commençant notamment par le soi, la famille, la communauté locale et les communautés d’intérêts – au plus général, c’est-à-dire à l’échelle mondiale et à l’appartenance au genre humain. En supposant que le lieu de naissance soit accidentel, les stoïciens encourageaient la valeur morale et éthique reliée à l’abandon des barrières nationales, ethniques et de classes qui créent une distance entre l’individu et ses pairs (Vertovec et Cohen 2002). Aujourd’hui, le cosmopolitisme se démarque de cette conception en étant plus relié au relativisme culturel. D’ailleurs, les auteurs contemporains (Held 2002; Vertovec et Cohen 2002), même s’ils se réfèrent aux origines grecques telle que la philosophie des stoïciens, qui percevaient le monde comme formant une série de cercles concentriques, proposent une conception nouvelle des différences comme autant de manifestations du chemin à parcourir pour atteindre l’universel. À travers l’histoire, le cosmopolite est souvent montré comme un stigmatisé, puisqu’il est soupçonné de communiquer des idées provenant d’un ailleurs hors de contrôle (Backer 1987). Une des caractéristiques propres aux cosmopolites est ce réel désir, cette motivation de vouloir s’immerger dans une culture différente de la sienne, ce qui est en fait un élément distinctif pour décrire le cosmopolite. Cette immersion doit se faire au cours de longs séjours ou d’une multitude de séjours de courte durée, offrant suffisamment de temps pour explorer une ou plusieurs cultures locales et ainsi y nouer des liens et y trouver des points d’entrée (Hannerz 1990). C’est dans cette perspective d’action et d’opposition – qui peut être perçue comme une posture d’intérêt, qui est celle d’un esprit ouvert, mais critique – qu’ils peuvent entrer dans des réseaux internationaux riches et variés. La circulation culturelle au cœur de ces réseaux, qu’elle soit locale ou internationale, s’insère plus que jamais dans les caractéristiques permettant de définir le cosmopolitisme au XXIe siècle. Ainsi, vers le début des années 1990, l’attrait pour l’étude du cosmopolitisme refait surface dans les sciences humaines et sociales, notamment avec la publication d’un article intitulé ***Cosmopolitans and Locals in World Culture (1990) par l’anthropologue suédois Ulf Hannerz. Cet auteur définit le cosmopolitisme comme une aisance à naviguer à travers différents courants de pensée, une ouverture et une volonté de reconnaissance de l’altérité. L’anthropologie apporte ainsi une contribution importante et pertinente à la compréhension de cette notion. Hannerz (1990, 1996, 2006, 2007, 2010) devient une référence clé lorsqu’on parle de la notion de cosmopolitisme contemporain en anthropologie; il a inspiré pratiquement à lui seul le renouveau de ce courant et a permis de faire naître une série de débats et de travaux dans une perspective culturelle qui mérite d’être mentionnée afin d’enrichir la portée significative et la compréhension de cette émergence d’un cosmopolitisme. Tomlinson (1999) associe le cosmopolitisme à une perspective qui permet de s’engager dans la diversité culturelle, s’ajustant ainsi à certains éléments de son univers. Dans le but d’étoffer sa portée théorique, ce positionnement doit être nuancé à la lumière de cas concrets, puis appliqué à d’autres réalités (Backer 1987; Cook 2012; Gay y Blasco 2010; Molz 2006, Noble 2009, 2013; Tomlinson 1999; Vertovec et Cohen 2002). En conséquence, les revendications cosmopolites seraient aussi imaginées par une disposition culturelle ou esthétique qui représente la différence (Nussbaum 2002), un sens de la tolérance, de la flexibilité et de l’ouverture qui conduit à l’altérité et qui peut caractériser une éthique des relations sociales dans un monde interconnecté. Toutefois, certaines critiques affirment que cette notion de « cosmopolitisme global » représente une figure cosmopolite trop vague et même vide de sens pour pouvoir qualifier ou même donner de l’ancrage à l’action sociale. Cette notion de cosmopolitisme « flottant » serait même considérée par divers auteurs contemporains comme étant trop abstraite à la réalité sociale et retirée des contextes de la vie quotidienne d’autrui pour pouvoir en tenir compte dans l’explication des phénomènes sociaux (Erskine 2002; Skrbis et al. 2004). Aussi, contrairement aux formulations universelles et abstraites du cosmopolitisme, ces critiques en appellent à la pluralité et à la particularité de ce que Robbins (1998) appelle le « cosmopolitisme réellement existant ». Ce cosmopolitisme se vit « dans les habitudes, les pensées, les sentiments et les expériences de personnes réellement existantes et qui sont géographiquement et socialement situées » (1998 : 2). Ainsi, des travaux importants ont été consacrés à l’enrichissement de marqueurs essentiels à un « cosmopolitisme réellement existant ». Ces éléments sont entre autres : une volonté de s’engager avec d’autres personnes de culture différente (Amit 2010; Hannerz 2010), d’autres manières de penser et d’être, tel un antihéros dans sa posture intellectuelle et esthétique d’ouverture à des expériences culturelles divergentes (Gay y Blasco 2010; Molz 2006); une aptitude personnelle à trouver ses repères dans d’autres cultures (Noble 2009); des compétences spécialisées comme des aptitudes à manier de façon plus ou moins experte un système donné de significations (Cook 2012); un globetrotteur qui reste attaché à sa culture et à son territoire d’origine et qui se fabrique un chez-soi sur la base d’une des nombreuses sources de signification personnelle connues à l’étranger (Molz 2008); des aptitudes à accepter la déstabilisation, et ce, même s’il n’y est pas toujours bien préparé; des compétences variables à entrer au plus profond d’une autre structure de significations (Hannerz 1990); une attitude confiante libre de toute inquiétude face à la perte de sens (Cook 2012) des compétences pour mettre en pratique les connaissances acquises et les partager (Noble 2013); enfin des capacités à canaliser les différentes perspectives locales ou ce qui relève du local (Molz 2007). Gay y Blasco (2010) questionne cette fragilité et cette impermanence potentielle des émergences cosmopolites, à savoir si elles représentent une identité, une personnalité ou une pratique mutable. Pour Hannerz, cette compétence réside d’abord à l’intérieur de soi : c’est une question d’ancrage personnel qui fait largement place à une identité (1990 : 240). Pour Gay y Blasco, c’est une question de choix et d’engagement. En mettant en évidence les conséquences matérielles et affectives d’embrasser une perspective cosmopolite, il souligne que le cosmopolitisme serait une pratique mutable qui exige de prendre en considération les subjectivités cosmopolites qui se trouvent à la base de son orientation et qui peuvent être fortement teintées par le fait d’être une femme ou un homme, d’avoir à faire face à des contraintes du fait de sa provenance ethnique et des rapports que cela peut faire apparaître, comme celui des classes sociales, de la hiérarchie et même des inégalités (2010 : 404). Plusieurs débats anthropologiques sur ce qu’est le cosmopolitisme ont été dominés par la préoccupation des catégorisations et du dualisme entre identité et pratique. Enfin, pour quelques autres auteurs, le cosmopolite provient surtout de l’Ouest plutôt que d’ailleurs dans le monde, il appartient à l’élite plutôt qu’à la classe ouvrière, il s’observe davantage dans la pratique des voyageurs mobiles que chez les habitants sédentaires, il est métropolitain ou urbain plutôt que rural, et il appartient surtout aux consommateurs plutôt qu’aux travailleurs ou aux producteurs (Trémon 2009, Werbner 1999). À cet égard, il convient quand même de souligner que certains auteurs ont bien identifié les différents types de cosmopolitisme que sont par exemple la cosmopolitique et le cosmopolitisme culturel (Hannerz 2006), ou le cosmopolitisme d’élites plutôt que le cosmopolitisme non sélectif, plus démocratique et possible pour toutes les classes (Datta 2008). D’autres se sont aussi concentrés sur la différence entre transnationalisme et cosmopolitisme (Werbner 1999), ou cosmopolitisme et identités déterritorialisées (Trémon 2009 : 105). En dépit de cette prolifération de catégories, Hannerz reconnaît qu’il reste un flou autour de ce concept (2006 : 5). Selon lui, ce sont précisément ces différentes formes de cosmopolitisme qui en font un outil d’analyse variable, ouvert et attrayant pour les chercheurs. Malgré tout, Pollock et al. (2000 : 577) soutiennent qu’ils ne sont pas certains de ce que signifie réellement cette notion, mais ils arrivent à la conclusion qu’il s’agit bien d’un objet d’étude, d’une pratique et d’un projet.
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Hébert, Martin. "Paix." Anthropen, 2018. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.088.

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Abstract:
Une préoccupation pour la réalisation empirique de la paix traverse le discours disciplinaire anthropologique. Ses racines sont profondes et multiples, mais convergent en un ensemble de questions situées à l’intersection entre la recherche de terrain, la philosophie politique et l’engagement pratique. A-t-il déjà existé des sociétés humaines vivant en paix? Quelles sont les conditions permettant, ou ayant permis, l’existence de cette paix? Est-il possible d’entrevoir un chemin vers la paix pour les sociétés contemporaines? On comprendra rapidement que ces questions sont indissociables de la définition même donnée au concept de paix. Intuitivement, nous pouvons comprendre la paix comme un « souhaitable » individuel et collectif. Bien entendu, une telle formulation est insatisfaisante pour l’analyse ou pour guider l’action. Mais avant de la préciser davantage il faut prendre la mesure de la puissance de la notion de paix en tant que référent vide, en tant que réceptacle dans lequel ont été versées les aspirations les plus diverses. La quête de la « paix » a été invoquée pour justifier tant les actions nobles que les actions exécrables de l’histoire. Ce constat pourrait facilement mener à penser que le terme est peu utile dans le cadre d’une discussion sérieuse portant sur les finalités humaines. Cependant, c’est justement le caractère polysémique du mot « paix », doublé du fort investissement normatif dont il fait l’objet, qui lui donnent sa prégnance politique. Comme n’importe quelle autre notion, celle de paix est l’enjeu de luttes de sens. Mais définir la « paix », c’est définir le domaine du souhaitable, du possible, du raisonnable; c’est intervenir directement sur l’horizon des aspirations humaines. Il n’est donc guère surprenant que les tentatives visant à fixer le sens de ce mot soient abondantes, souvent contradictoires entre elles et généralement convaincues de leur légitimité. L’ethnographie participe de diverses manières au travail de définition de la paix. Par exemple, l’ethnographie a joué – et semble parfois tentée de continuer de jouer – un rôle important dans la reproduction du paradigme édénique. Dans cette conception, la paix est comprise à la fois comme une absence de violence interpersonnelle et une régulation harmonieuse des conflits dans la société. Les représentations idylliques de telles sociétés dites « en paix » (Howell et Willis 1989) témoignent d’une tentation dans certains écrits ethnographiques d’idéaliser des sociétés traditionnelles, précoloniales, ou en résistance. Elles participent d’un travail de critique très ancien qui s’opère par contraste, procédé par lequel l’ « Autre » ethnographique est posé comme l’antithèse d’un monde (moderne, capitaliste, colonial, écocide, patriarcal, etc.) dénoncé comme aliéné et violent. L’anthropologie a souvent été prise à partie pour avoir employé une telle stratégie discursive opposant les « sociétés en paix » aux sociétés mortifères. Il faut noter, cependant, que ces remontrances participent elles aussi à la lutte de sens dont l’enjeu est la définition de la notion de paix. Les apologues du colonialisme, par exemple, utilisaient leur propre stratégie de critique par contraste : les lumineux principes (euro-centriques, libéraux, entrepreneuriaux) supposément aux fondements de la prospérité universelle viendraient supplanter les « ténèbres » locales dans ce que Victor Hugo (1885) a décrit comme la « grande marche tranquille vers l’harmonie, la fraternité et la paix » que serait pour lui l’entreprise coloniale en Afrique. Nous glissons ici dans une autre définition de la « paix » ayant joué un rôle important dans l’histoire de l’anthropologie, soit la pacification. Ici, la paix n’est pas un état observable dans les sociétés ethnographiées, mais plutôt un résultat à produire par une intervention politique, incluant militaire. La naïveté de la « grande marche tranquille » d’une Histoire par laquelle l’humanité cheminerait inéluctablement vers une convergence dans des valeurs euro-centriques communes se dissipe ici. Elle fait place à des positions qui établissent leur autorité énonciative en se présentant comme « réalistes », c’est-à-dire qu’elles rejettent l’image édénique de la paix et se rangent à l’idée que la violence est le fondement du politique. Dans cette perspective, la définition de la paix serait la prérogative de ceux qui peuvent l’imposer. La « paix » se confond alors avec l’ordre, avec la répression des conflits sociaux et, surtout, avec un acte de prestidigitation sémantique par lequel les violences faisant avancer les ambitions hégémoniques cessent d’être vues comme violences. Elles deviennent des opérations, des interventions, des mesures, voire des politiques entreprises au nom de la « paix sociale ». On le sait, l’anthropologie a fait plus que sa part pour faciliter les pacifications coloniales. Par son rôle dans des politiques nationales telles l’indigénisme assimilationniste, elle a également contribué à des « projets de société » visant l’unification de populations hétérogènes sous l’égide du nationalisme, du capitalisme et de la docilité aux institutions dominantes. Après la seconde guerre mondiale, il n’a pas non plus manqué d’anthropologues prêtes et prêts à s’associer aux entreprises de pacification/stabilisation par le développement et par l’intégration de populations marginales à l’économie de marché. Dans la plupart des cas, l’anthropologie a été instrumentalisée pour réduire le recours à la violence physique directe dans les entreprises de pacification, proposant des approches moins onéreuses et plus « culturellement adaptées » pour atteindre les mêmes objectifs d’imposition d’un ordre exogène à des sociétés subalternes. Un point tournant dans la critique de la pacification a été le dévoilement de l’existence du projet Camelot dans la seconde moitié des années 1960 (Horowitz 1967). Cette vaste opération mise sur pied par le gouvernement américain visait à engager des spécialistes des sciences sociales pour trouver des moyens d’influencer les comportements électoraux en Amérique latine. Cette initiative visait à faire passer à l’ère de la technocratie les stratégies « civiles » de pacification coloniales développées en Afrique dans les années 20-30 et en Indochine dans les années 50. Outre la dénonciation par les anthropologues nord-américains et européens de cette collusion entre les sciences sociales et impérialisme qui s’est encore illustrée dans le sud-est asiatique pendant la guerre du Vietnam (Current Anthropology 1968), la réponse critique face au dévoilement du projet Camelot fut, notamment, de déclencher une réflexion profonde en anthropologie sur la frontière entre la paix et la guerre. Même si le recours à la manipulation psychologique, économique, politique, et diplomatique n’impliquait pas nécessairement, en lui-même, de violence physique directe il devenait impératif de théoriser les effets de violence produits par cette stratégie (Les Temps Modernes 1970-1971). Si l’idée que certaines « paix » imposées peuvent être éminemment violentes fut recodifiée et diffusée par des chercheurs du Nord à la fin des années 1960, elle était déjà bien en circulation au Sud. Frantz Fanon (1952) mobilisait le concept d’aliénation pour désigner les effets des violences symboliques, épistémologiques et culturelles des systèmes coloniaux. Gustavo Guttiérez (1971), impliqué dans le développement de la théologie de la libération en Amérique latine, parlait pour sa part de « violence institutionnalisée » dans les systèmes sociaux inéquitables. Sous leur forme la plus pernicieuse ces violences ne dépendaient plus d’une application constante de force physique directe, mais s’appuyaient sur une « naturalisation » de la domination. Dans ce contexte, il devenait clair que la notion de paix demandait une profonde révision et exigeait des outils permettant de faire la distinction entre la pacification aliénante et une paix fondée sur la justice sociale. Travaillant à cette fin, Johan Galtung (1969) proposa de faire la différence entre la paix « négative » et la paix dite « positive ». La première renvoie à l’absence de violence physique directe. Elle est une condition considérée comme nécessaire mais de toute évidence non suffisante à une paix significative. Déjà, des enjeux définitionnels importants peuvent être soulevés ici. Une société en paix doit-elle éliminer les sports violents? Les rituels violents? Les représentations artistiques de la violence? Qu’en est-il de la violence physique directe envers les non-humains? (Hébert 2006) La paix positive est une notion plus large, pouvant être rapprochée de celle de justice sociale. Les anthropologues ont tenté de la définir de manière inductive en proposant des études empiriques de deux types. Dans un premier temps, il s’est agi de définir diverses formes de violences autres que physique et directe (telles les violences structurelles, symboliques, épistémiques, ontologiques, etc.) et poser la paix positive comme le résultat de leur élimination. Par contre, les limites de cette « sombre anthropologie » (Ortner 2016) ont appelé des recherches complémentaires, plutôt centrées sur la capacité humaine à imaginer et instituer de nouvelles formes sociales dépassant les violences perçues dans les formes passées. L’idée d’une paix stable, définitive et hors de l’histoire – en d’autres mots édénique – disparaît ici. Elle est remplacée par des processus instituants, constamment examinés à l’aune de définitions de la violence qui, elles-mêmes, sont en transformation constante. La définition de la paix demeure l’enjeu de luttes de sens. Ces dernières se résolvent nécessairement dans des rapports politiques concrets, situés historiquement et sujets à changement. Les travaux anthropologiques ne font pas exception et sont pleinement engagés dans la production politique de ces définitions. Mais l’anthropologie de la paix participe également de la réflexivité que nous pouvons avoir tant face aux définitions cristallisées dans nos institutions que face à celles qui se proposent des les remplacer.
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Bénéi, Veronique. "Nationalisme." Anthropen, 2016. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.021.

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Abstract:
En 1990, l'historien Eric Hobsbawm prophétisait la fin des nations et nationalismes. Pourtant, jamais autant d'États-nations n’ont vu le jour que dans le dernier quart du vingtième siècle. Leur importance dans le monde contemporain est telle qu’elle évoque un « système mondial ». Plus : nombre de conflits politiques aujourd’hui mobilisent des pulsions nationalistes qui soit président à la fondation d’un État-nation, soit en dérivent. La volonté de (re-)créer une communauté nationale y est portée par une espérance et un désir de vivre ensemble fondé sur la redéfinition de bases communes (langue, religion, etc.). Voici vingt ans, le nationalisme constituait un pré carré de l’histoire et de la science politique. À présent, il occupe une place centrale dans les travaux d’anthropologie politique. « Nationalisme », « national », « nationaliste » – Ajustements sémantiques. Le nationalisme se définit comme principe ou idéologie supposant une correspondance entre unités politique et nationale. La nation n'est cependant pas « chose » mais abstraction, construction idéologique dans laquelle est postulé un lien entre un groupe culturel auto-défini et un État. L’implication émotionnelle qu’elle suscite est, elle, bien concrète. Plus qu’une idéologie, d’aucuns considèrent le nationalisme comme sentiment et mouvement : de colère suscitée par la violation de l'intégrité politique et nationale, ou de satisfaction mû par sa défense.[1] Sentiment et mouvement, le nationalisme produit, entretient et transmet une implication émotionnelle autour de l'abstraction de la nation, potentiellement productrice de violence. La distinction entre « national » et « nationaliste » est ténue, davantage une question de perspective que de science objective. On oppose souvent le « simplement national », entendez « qui relève d’un intérêt légitime pour la nation », au « condamnable nationaliste », à savoir ressort de passions irrationnelles. Or, il s’agit davantage d’une question de point de vue. Importante pour l’analyse anthropologique, cette relativité permet de transcender les distinctions infructueuses entre « nations établies » (censées appartenir à la première catégorie) et « nations plus récentes » (reléguées à la seconde) qui balisent les réflexions les plus éclairées sur le nationalisme. Nationalisme, nationalisation et éducation. Le nationalisme a partie liée avec la nationalisation comme mise en œuvre d’un régime d’identification nationale. Celle-ci fut longtemps associée à des modèles de modernisation où la scolarisation était prépondérante. Le modèle sociologique universaliste d’Ernest Gellner (1983) au début des années 1980 a encadré maints programmes éducatifs, des appareils d’État comme des agences d’aide internationale. Dans cette perspective associant modernisation, industrialisation et nationalisme laïque, opèrent une division industrielle du travail et une culture partagée du nationalisme tenant ensemble les éléments d’une société atomisée par le procès d’industrialisation. Cette culture, homogène, doit être produite par la scolarisation, notamment primaire. Si la perspective gellnérienne est depuis longtemps disputée au vu du nombre de contre-exemples, où nationalisme exacerbé accompagne industrialisation faible ou, inversement, industrialisation poussée voisine avec nationalisme religieux, la plupart des États-nations aujourd’hui retiennent la corrélation entre scolarisation de masse et culture de sentiments d’appartenance nationale. En concevant l’éducation comme stratégie stato-centrée d’ingénierie sociale servant les structures hiérarchiques de la reproduction sociale (Bourdieu et Passeron 1990), cette perspective omet l'agency des citoyens ordinaires, autant que la contextualisation historique des conditions de production des mouvements nationalistes en contexte colonial, d’où sont issus maints État-nation récents. Nationalisme, colonialisme et catégories vernaculaires. Le cas des nations plus récentes appelle clarification concernant le legs des structures politiques européennes. Dans les sociétés autrefois sous le joug colonial, l’émergence d’une conscience nationaliste et la mobilisation contre les dirigeants coloniaux furent des processus concomitants. Citoyenneté et nationalisme furent étroitement associés, puisque la lutte pour l'indépendance assistait celle pour l’acquisition de droits fondamentaux. La conscience d’un sujet national libre s’est forgée de pair avec l'établissement de droits (et devoirs) de citoyen. Elle a aussi nécessité une accommodation vernaculaire de concepts initialement étiques. La sensibilité des anthropologues à l’égard des catégories vernaculaires opérantes dans les idiomes rituels, culturels et linguistiques et les pratiques de socialisation afférentes, contraste fortement avec leur faible investissement, de longues années durant, dans l’étude de sujets entretenant rapport avec une modernité politique, tels nationalisme, société civile ou citoyenneté. Philosophie et science politiques, aux instruments théoriques fondés sur une tradition européenne à valeur universelle, conservèrent longtemps l’exclusive. Or, même les perspectives les plus critiques vis-à-vis des Lumières ont négligé les langues vernaculaires dans leurs réflexions sur les modalités d’accueil en contextes non-européens de ces notions politiques (Kaviraj 1992; Burghart 1998; Rajagopal 2001 sont de notables exceptions). Pourtant, travailler avec les catégories vernaculaires illumine les répertoires sociaux et culturels et leurs négociations locales, favorisant une meilleure intelligibilité des ressorts culturels des processus, formes et modèles d’affects politiques et nationalistes. Ils déplacent aussi la focale, souvent portée sur l’éruption occasionnelle ou répétée de la violence nationaliste, vers l’analyse des procès de « naturalisation quotidienne de la nation ». Nouvelles approches (1) - Nationalisme banal et théologies du nationalisme. Mûris au long cours dans les multiples plis de la vie ordinaire, ces processus alimentent les « sentiments d’appartenance », piliers de l’identité en apparence naturels et évidents, vecteurs de la production journalière du « nationalisme banal ». Empruntée à Michael Billig (1995) en écho aux réflexions d’Hannah Arendt sur la « banalité du mal » (1963), l’expression réfère à l’expérience du nationalisme si parfaitement intégrée à la vie ordinaire qu’elle en passe inaperçue. Documenter la fabrique du nationalisme banal implique d’examiner les processus, d’apparence bénigne et anodine, d’identification nationale et de formation d’un attachement précoce à la nation. Ainsi s’éclairent la constitution de sens-/-timents d’appartenance dans la banalité quotidienne de la nation et la distinction ténue entre nationalisme religieux, sécularisme et patriotisme. Dans tout État-nation, les liturgies nationalistes se déroulant quotidiennement et périodiquement (par exemple, dans l’espace scolaire), sont fondées sur des rituels et procédures participant d’une « théologie du nationalisme ». Celle-ci peut dépendre d’une conception explicite de la fabrique de la nation comme projet théologique. Elle est alors informée par des principes d’adhésion à une doctrine ou à un dogme religieux. Tels sont les projets hindutva de construction nationale en Inde, où les partis d’extrême-droite hindoue prétendent édifier le royaume et le gouvernement du dieu Rama (Ramrajya) sur la base des écritures hindoues anciennes. Mais une théologie du nationalisme peut aussi s’arc-bouter sur des procédures rituelles promues par des idéologues et autres « constructeurs de la nation », nationalisme séculaire inclus. Dans l’après-coup de la Révolution française, par exemple, les parangons du sécularisme dur s’efforcèrent d’installer « une nation laïque » par l’emprunt massif des formes d’un catholicisme populaire (Ozouf 1988). Le cas français, bien qu'extrême, n’est nullement exceptionnel. Il souligne la troisième acception, plus générale, de la notion de théologie nationaliste en insistant sur l'élément sacré sous-jacent à maints projets d’édification nationale. Explicitement conceptualisées comme religieuses ou laïques, les production et sustentation de la nation sont dotées d'une inévitable sacralité (Anderson 1983). Ainsi apparaissent les similitudes habituellement méconnues entre différentes formes de nationalisme, y compris entre sécularisme, nationalisme religieux et confessionnalisme (Hansen 2001, Benei 2008). Nouvelles approches (2) - Sens, sentiments et ressentis d’appartenance nationale/nationaliste. Aujourd’hui, l’intérêt d’une perspective anthropologique sur le nationalisme tient au renouvellement du champ disciplinaire au croisement de recherches sur le corps*, les émotions et le sensible (Benei 2008). Celles-ci montrent comment les programmes nationalistes de formation du soi reposent sur la constitution d’un « sensorium national primaire », notamment dans un contexte national-étatique. À travers son appropriation préemptive de l’univers sensoriel de la population, l’État s’efforce de mobiliser les niveaux des sensoriums développés par les acteurs sociaux —dans l’intimité de la petite enfance, les traditions musicales recomposées, les liturgies dévotionnelles, les transformations culturelles et sensorielles engendrées par les nouvelles technologies et l’industrialisation, etc.— non seulement lors de rencontres périodiques, mais aussi dans l’union quotidienne de différentes couches de stimulations entrant dans la fabrique d’une allégeance nationale. Ces procès sont simultanément liés à une incorporation émotionnelle produite au long cours. Celle-ci repose la question de la « fin des méta-récits » —nationalisme inclus—, prophétisée par Jean-François Lyotard voici trente ans comme la marque distinctive de la postmodernité. L’époque était alors traversée par courants et discours contraires, aux plans régional, international et transnational. Depuis, on l’a vu, l’histoire a eu raison de ces prédictions. La forme « nation » et ses émanations nationalistes se sont manifestées concrètement dans la vie d'un nombre toujours croissant d'acteurs sociaux du monde contemporain. Comment, alors, expliquer le caractère désuet, voire acquis, de la notion aujourd’hui chez maints universitaires? Par la naturalisation de l’attachement national à une mesure sans précédent. Il ne s’agit plus de partager une communauté de nation avec des lecteurs de journaux (Anderson 1983) ou de « signaler banalement » le national (Billig 1995) : la naturalisation de l'idée et de l'expérience de la nation implique son « incorporation ». C'est par l'incorporation de la nation en nous-mêmes en tant que personnes sociales incarnées, sujets et citoyens, que nous entretenons un sentiment d'appartenance nationale, aussi éphémère et vague soit-il parfois. Conclusion : L’incorporation du nationalisme et ses limites. Un avertissement s’impose : loin de subir le projet étatique, les acteurs sociaux sont doués d’agency sociale et politique. Ils exercent plus d’autonomie que généralement concédé dans les analyses du nationalisme. La compréhension et la représentation des acteurs sociaux sont toujours le produit négocié de processus advenant en divers espaces, du foyer familial jusqu’à l’école et d’autres lieux dits « publics ». Par-delà visions et programmes étatiques relayés par des institutions-clés, l’intérêt d’une approche anthropologique faisant la part belle au corps, aux sens et aux émotions est sa mise en lumière de cette négociation toujours fragmentaire. Lesdits processus n’appartiennent pas à une unité d’analyse totale, État, “sphère publique” ou autre. Pour les acteurs sociaux « au ras du sol », l’État-nation n’est pas nécessairement un objet phénoménologiquement cohérent. Ce dont ils font l’expérience et qu’ils négocient, c’est le caractère incomplet et fragmentaire d’un projet politique de formation du soi, adossé à une toile historique et culturelle de « structures de ressenti » (Raymond Williams 1958). Également, les sens-/-timents d’appartenance sont protéiformes jusque dans leur construction dialogique avec les institutions étatiques, mass media et autres lieux de culture publique. Leur incorporation n’est un procès ni exhaustif ni final. Différents moments peuvent être convoqués dans une infinité de situations. Ce caractère labile rend l’issue de tout programme nationaliste imprévisible. Suite à ces constantes tension et incomplétude, aucun processus de nationalisme, pas même étatique, ne peut prévenir l’irruption de l’imprévisible, dans la routine quotidienne comme en des circonstances extra-ordinaires. En définitive, les programmes étatiques les mieux conçus, qui viseraient à capturer les expériences sensorielles et phénoménologiques que font les citoyens des réalités sociales, culturelles et politiques, ne peuvent en maîtriser la nature contingente.
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Kilani, Mondher. "Identité." Anthropen, 2019. http://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.122.

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Abstract:
Dans le lexique des anthropologues, le mot identité est apparu bien plus tard que le mot culture. Mais depuis quelques décennies, alors que divers anthropologues se sont presque vantés de soumettre à une forte critique et même de rejeter leur ancien concept de culture, l'identité a acquis un usage de plus en plus étendu et prépondérant, parallèlement à ce qui s'est passé dans d'autres sciences humaines et sociales, ainsi que dans le langage de la politique et des médias. Nombreux sont ceux dans les sciences sociales qui s'accordent pour dire que le concept d'identité a commencé à s'affirmer à partir des années soixante du siècle dernier. Il est habituel de placer le point de départ dans les travaux du psychologue Erik Erikson (1950 ; 1968), qui considérait l'adolescence comme la période de la vie la plus caractérisée par des problèmes d'identité personnelle. Cette reconstruction est devenue un lieu commun des sciences humaines et sociales du XXe siècle, et pour cette raison, elle nécessite quelques ajustements. Par exemple, le sociologue américain Robert E. Park (1939) utilisait déjà, à la fin des années 1930, le terme identité, en rapport avec ceux d'unité, d'intégrité, de continuité, pour décrire la manière dont les communautés et les familles se maintiennent dans le temps et l'espace. En ce qui concerne l'anthropologie, un examen rapide permet de constater que l'identité a déjà été utilisée dans les années 1920 par Bronislaw Malinowski d'une manière qui n'était pas du tout sporadique. Dans ses textes sur les Trobriandais – comme par exemple La vie sexuelle des Sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie (1930) – il parle de l'identité du dala, ou matrilignage, en référence à la « substance » biologique dont il est fait, une substance qui se transmet de génération en génération dans la lignée maternelle. Ce n’est peut-être pas par hasard que le terme identité fut ensuite appliqué par Raymond Firth, dans We, the Tikopia (1936), pour affirmer la continuité dans le temps du clan, et que Siegfried Nadel dans The Foundations of Social Anthropology (1949) parle explicitement de l’identité des groupes sociaux grâce auxquels une société s’articule. La monographie The Nuer (1940) d'Edward E. Evans-Pritchard confirme que l’on a fait de l’identité un usage continu et, en apparence, sans problèmes dans l'anthropologie sociale britannique sous l’influence de Malinowski. Dans ce texte fondamental, l’identité est attribuée aux clans, à chacune des classes d'âge et même à l'ensemble de la culture nuer, que les Nuer considèrent eux-mêmes comme unique, homogène et exclusive, même si le sentiment de la communauté locale était « plus profond que la reconnaissance de l'identité culturelle » (Evans-Pritchard 1975: 176). Par contre, l’autre grand anthropologue britannique, Alfred R. Radcliffe-Brown, qui était particulièrement rigoureux et attentif aux concepts que l'anthropologie devait utiliser (selon M.N. Srinivas, il « prenait grand soin de l'écriture, considérant les mots comme des pierres précieuses » 1973 : 12), il est resté, probablement pour cette raison, étranger au recours au terme d'identité. S’il fait son apparition dans son célèbre essai consacré à la structure sociale de 1940, c’est uniquement lorsqu'il fait référence à l'utilisation approximative de ce concept par Evans-Pritchard. Il soutient que certains anthropologues (y compris Evans-Pritchard) utilisent l’expression « structure sociale » uniquement pour désigner la persistance des groupes sociaux (nations, tribus, clans), qui gardent leur continuité (continuity) et leur identité (identity), malgré la succession de leurs membres (Radcliffe-Brown 1952 : 191). Son utilisation du terme identité ne se justifie ainsi que parce qu’il cite la pensée d'Evans-Pritchard presque textuellement. On a également l’impression que Radcliffe-Brown évite d’adopter le concept d’identité, utilisé par ses collègues et compatriotes, parce que les termes de continuité (continuity), de stabilité (stability), de définition (definiteness), de cohérence (consistency) sont déjà suffisamment précis pour définir une « loi sociologique » inhérente à toute structure sociale (Radcliffe-Brown 1952 : 45). Qu’est-ce que le concept d'identité ajouterait, sinon un attrait presque mystique et surtout une référence plus ou moins subtile à l'idée de substance, avec la signification métaphysique qu’elle implique? Radcliffe-Brown admet que la persistance des groupes dans le temps est une dimension importante et inaliénable de la structure sociale. Mais se focaliser uniquement sur la stabilité donne lieu à une vision trop étroite et unilatérale : la structure sociale comprend quelque chose de plus, qui doit être pris en compte. Si l’on ajoute le principe d’identité à la stabilité, à la cohérence et à la définition, ne risque-t-on pas de détourner l’attention de l’anthropologue de ce qui entre en conflit avec la continuité et la stabilité? Radcliffe-Brown a distingué entre la structure sociale (social structure), sujette à des changements continus, tels que ceux qui se produisent dans tous les organismes, et la forme structurale (structural form), qui « peut rester relativement constante pendant plus ou moins une longue période » (Radcliffe-Brown 1952 : 192). Même la forme structurale – a-t-il ajouté – « peut changer » (may change); et le changement est parfois graduel, presque imperceptible, alors que d’autres fois, il est soudain et violent, comme dans le cas des révolutions ou des conquêtes militaires. Considérant ces deux niveaux, la forme structurale est sans aucun doute le concept qui se prêterait le mieux à être associé à l'identité. Mais l’identité appliquée à la forme structurale ne nous aiderait certainement pas à appréhender avec précision les passages graduels, les glissements imprévus ou, au contraire, certaines « continuités de structure » qui se produisent même dans les changements les plus révolutionnaires (Radcliffe-Brown 1952 : 193). Bref, il est nécessaire de disposer d’une instrumentation beaucoup plus raffinée et calibrée que la notion d’identité, vague et encombrante, pour saisir l’interaction incessante et subtile entre continuité et discontinuité. On sait que Radcliffe-Brown avait l'intention de construire une anthropologie sociale rigoureuse basée sur le modèle des sciences naturelles. Dans cette perspective, l'identité aurait été un facteur de confusion, ainsi qu'un élément qui aurait poussé l'anthropologie naissante vers la philosophie et l'ontologie plutôt que vers la science. Alors que Radcliffe-Brown (décédé en 1955) avait réussi à éviter le problème de l'identité en anthropologie, Lévi-Strauss sera contraint de l'affronter ouvertement dans un séminaire proposé, conçu et organisé par son assistant philosophe Jean-Marie Benoist au Collège de France au milieu des années soixante-dix (1974-1975). Quelle stratégie Lévi-Strauss adopte-t-il pour s'attaquer à ce problème, sans se laisser aller à la « mode » qui, entre-temps, avait repris ce concept (Lévi-Strauss 1977 : 11)? La première étape est une concession : il admet que l’identité est un sujet d’ordre universel, c’est-à-dire qu’elle intéresse toutes les disciplines scientifiques, ainsi que « toutes les sociétés » étudiées par les ethnologues, et donc aussi l’anthropologie « de façon très spéciale » (Lévi-Strauss 1977 : 9). Pour Lévi-Strauss, les résultats suivants sont significatifs: i) aucune des sociétés examinées – même si elles constituent un petit échantillon – ne tient « pour acquise une identité substantielle » (Lévi-Strauss 1977 : 11), c’est-à-dire qu’il ne fait pas partie de leur pensée de concevoir l'identité en tant que substance ou la substance en tant que source et principe d'identité; ii) toutes les branches scientifiques interrogées émettent des doutes sur la notion d'identité et en font le plus souvent l'objet d'une « critique très sévère » (Lévi-Strauss 1977 : 11); iii) il est possible de constater une analogie entre le traitement réservé à l’identité de la part des « sociétés exotiques » examinées et les conceptions apparues dans les disciplines scientifiques (Lévi-Strauss 1977 : 11); iv) cela signifie alors que la « foi » que « nous mettons encore » sur l’identité doit être considérée comme « le reflet d'un état de civilisation », c'est-à-dire comme un produit historique et culturel transitoire, dont la « durée » peut être calculée en « quelques siècles » (Lévi-Strauss 1977 : 11) ; v) que nous assistons à une crise contemporaine de l'identité individuelle, en vertu de laquelle aucun individu ne peut se concevoir comme une « réalité substantielle », réduit qu’il est à une « fonction instable », à un « lieu » et à un « moment » éphémères d’« échanges et de conflits » auxquelles concourent des forces d’ordre naturel et historique (1977 : 11). Ceci fait dire à Lévi-Strauss que « quand on croit atteindre l'identité, on la trouve pulvérisée, en miettes » (in Benoist 1977 : 209), tout en constatant dans le même mouvement que, tant dans les sociétés examinées que dans les sciences interrogées, nous assistons à la négation d'une « identité substantielle » et même à une attitude destructrice qui fait « éclater » l’identité « en une multiplicité d’éléments ». Dans un cas comme dans l'autre, on arrive à « une critique de l’identité », plutôt qu’« à son affirmation pure et simple » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 331). Pourtant, nous ne pouvons pas oublier que Lévi-Strauss était parti d'une concession, c’est-à-dire de l'idée que nous ne pouvions pas nous passer du thème de l'identité : c'est quelque chose qui concerne d'une manière ou d'une autre toutes les sociétés, les sociétés exotiques étudiées par les anthropologues et les communautés scientifiques qui se forment dans la civilisation contemporaine. Lévi-Strauss aurait pu développer plus profondément et de manière plus radicale l’argument présenté au point iv), à savoir que l’identité est une croyance (voire une foi), produit d’une période historique de notre civilisation. Mieux encore, étant donné que les autres sociétés d’une part et nos sciences de l’autre « la soumettent à l’action d’une sorte de marteau-pilon », c’est-à-dire qu’elles la font « éclater » (in Benoist 1977 : 309), nous aussi nous pourrions finalement nous en débarrasser. Lévi-Strauss sent bien, cependant, la différence entre sa propre position et celle du public qui a participé au séminaire, beaucoup plus enclin à donner du poids et un sens à l'identité. Pour cette raison, il offre un compromis (un compromis kantien, pourrait-on dire), qui consiste à détacher la notion d’identité de celle de substance et à penser l’identité comme « une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il ait jamais d’existence réelle » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Si nous l’interprétons bien, c'est comme si Lévi-Strauss avait voulu dire à ses collègues anthropologues : « Voulez-vous vraiment utiliser le concept d'identité? » Au moins, sachez que cela ne fait jamais référence à une expérience réelle : c’est peut-être une aspiration, une affirmation, une manière de représenter des choses, auxquelles rien de réel ne correspond. Avec ce compromis, Lévi-Strauss semble finalement attribuer à l'identité une sorte de citoyenneté dans le langage des anthropologues. Cependant, même comme un feu virtuel, où se trouve l'idée d'identité : dans la tête des anthropologues, qui utilisent ce concept pour représenter des sociétés dans leur unité et leur particularité, ou dans la tête des groupes sociaux lorsqu'ils se représentent leur culture? Revenons à l'exemple de Malinowski et des Trobriandais. C'est Malinowski qui interprète le veyola, la substance biologique du matrilignage (dala), en termes d'identité, et établit un lien entre identité et substance. Parler de l'identité du dala, surtout si elle est soutenue par le concept de substance (c'est-à-dire quelque chose qui se perpétue avec le temps et qui est complet en soi, de sorte qu'il ne dépend de rien de ce qui lui est extérieur, selon la définition classique d'Aristote), finit par obscurcir la pensée plus profonde des Trobriandais, c’est-à-dire l’incomplétude structurelle du dala. Il ne suffit pas de naître dans le dala et de recevoir le veyola de la mère. Le veyola n'est pas une substance identitaire, mais une matière sans forme qui doit être modelée par l’intervention du tama ou tomakava, c'est-à-dire « l'étranger », avec lequel la mère est mariée et qui est proprement le modeleur, celui qui aide les enfants de son partenaire à grandir, à prendre un visage, une personnalité, non pas en assumant une identité, mais par une participation progressive à des relations sociales (Weiner 1976). Malgré l’utilisation extensive du terme identité dans leurs descriptions ethnographiques et leurs réflexions théoriques, les anthropologues feraient bien de se demander s’il est vraiment approprié de conserver ce concept dans leur boîte à outils ou s’il ne convient pas de considérer l’identité comme une modalité de représentation historiquement et culturellement connotée. L'auteur de cette entrée a tenté de démontrer que l'identité en tant que telle n'existe pas, sauf en tant que mode de représentation que les anthropologues peuvent rencontrer dans telle ou telle société (Remotti 2010). Toutes les sociétés, dans leur ensemble ou dans leurs éléments constitutifs, ressentent les besoins suivants : stabilité, continuité, permanence, cohérence d’un côté, spécificité, certitude et définissabilité de l’autre. Mais, comme l’a suggéré Radcliffe-Brown, les réponses à ces besoins sont toujours relatives et graduelles, jamais complètes, totales et définitives. Nous pourrions également ajouter que ces besoins sont toujours combinés avec des besoins opposés, ceux du changement et donc de l'ouverture aux autres et au futur (Remotti 1996 : 59-67). Autrement dit, les sociétés ne se limitent pas à être soumises au changement, mais le recherchent et l’organisent en quelque manière. Il peut y avoir des sociétés qui donnent des réponses unilatérales et qui favorisent les besoins de fermeture plutôt que d’ouverture, et d’autres le contraire. Si ce schéma est acceptable, alors on pourrait dire que l'identité – loin d'être un outil d'investigation – apparaît au contraire comme un thème et un terrain important de la recherche anthropologique. En retirant l'identité de leur boîte à outils, prenant ainsi leurs distances par rapport à l'idéologie de l'identité (un véritable mythe de notre temps), les anthropologues ont pour tâche de rechercher quelles sociétés produisent cette idéologie, comment elles construisent leurs représentations identitaires, pour quelles raisons, causes ou buts elles développent leurs croyances (même leur « foi » aveugle et aveuglante) en l’identité. Nous découvrirons alors que nous-mêmes, Occidentaux et modernes, nous avons construit, répandu, exporté et inculqué au monde entier des mythes et des concepts identitaires. Nous l’avons fait à partir de l’État-nation aux frontières rigides et insurpassables, de l’idéologie clairement identitaire qu’est le racisme, et pour terminer de la racialisation de la culture qui exalte les traditions locales ou nationales comme substances intouchables, dont la pureté est invoquée et qu’on entend défendre de toutes les manières contre les menaces extérieures. Passée au niveau du discours social et politique, l'identité révèle tôt toute la violence impliquée dans la coupure des liens et des connexions entre « nous » et les « autres ». Comme le disait Lévi-Strauss (et aussi Hegel avant Lévi-Strauss), à l'identité « ne correspond en réalité aucune expérience » (in Benoist et Lévi-Strauss 1977 : 332). Mais les effets pratiques de cette représentation n'appartiennent pas au monde des idées : ils sont réels, souvent insupportablement réels.
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