GUYOMARD, H., B. COUDURIER und P. HERPIN. „Avant-propos“. INRAE Productions Animales 22, Nr. 3 (17.04.2009): 147–50. http://dx.doi.org/10.20870/productions-animales.2009.22.3.3341.
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L’Agriculture Biologique (AB) se présente comme un mode de production agricole spécifique basé sur le respect d’un certain nombre de principes et de pratiques visant à réduire au maximum les impacts négatifs sur l’environnement. Elle est soumise à des interdictions et/ou des obligations de moyens, par exemple l’interdiction des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), des engrais de synthèse et des pesticides ou l’obligation de rotations pluriannuelles. Dans le cas de l’élevage, les critères portent sur l’origine des animaux, les conditions de logement et d’accès aux parcours, l’alimentation ainsi que la prévention et le traitement des maladies. Ainsi, la prévention des maladies est principalement basée sur l’utilisation de techniques d’élevage stimulant les défenses naturelles des animaux et, en cas de problème sanitaire, le recours à l’homéopathie ou à la phytothérapie ; l’emploi d’autres médicaments vétérinaires n’est pas exclu à condition de respecter des conditions réglementaires strictes1. L’AB s’inscrit dans des filières d’approvisionnement et de commercialisation incluant la transformation et la préparation des aliments, la distribution de gros et/ou de détail et le consommateur final. Dans tous les pays, agriculteurs, conditionneurs et importateurs doivent se conformer à des réglementations pour associer à leurs produits un étiquetage attestant de leur nature biologique. Les produits issus de l’AB sont certifiés et des mécanismes d’inspection assurent le respect des règlements.
L’AB mondiale est aujourd’hui encore une activité marginale au regard des terres consacrées (moins de 2%), du nombre d’agriculteurs engagés ou des volumes concernés. Il s’agit toutefois d’une activité en forte croissance avec, par exemple, un triplement des surfaces mondiales dédiées entre 1999 et aujourd’hui. Le marché mondial des produits issus de l’AB était estimé à 25 milliards d’euros en 2006, soit deux fois plus qu’en 2000 (données IFOAM). La consommation est très fortement concentrée, à plus de 95% en Amérique du Nord d’une part, et en Europe de l’Ouest où les principaux marchés sont l’Allemagne, l’Italie, la France et le Royaume-Uni, d’autre part. Sur ces deux continents, les importations sont nécessaires pour pallier le déficit de l’offre domestique au regard de la demande intérieure.
Ceci est particulièrement vrai en France. Selon le ministère en charge de l’agriculture (2009), «la demande [française] de produits issus de l’AB croît de 10% par an depuis 1999. Or, l’offre [nationale] de produits issus de l’AB est aujourd’hui insuffisante pour satisfaire cette demande croissante. Les surfaces des 11 970 exploitations agricoles françaises en AB ne représentent que 2% de la surface agricole. Par défaut d’organisation entre les producteurs et à cause de l’éparpillement des productions, une part significative des produits bio n’est pas valorisée». Et simultanément, 25% environ de la consommation française de produits bio est satisfaite par des importations. Cette situation a conduit le Ministre en charge de l’agriculture à proposer, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, un plan visant le triplement à l’horizon 2012 des surfaces françaises en AB (6% de la surface agricole utile en 2012). Pour atteindre cet objectif, le plan inclut un soutien budgétaire à la structuration de la filière bio (sous la forme d’un fonds de structuration doté de 15 millions d’euros sur cinq ans), la mobilisation de la recherche (notamment sous la forme de crédits «recherche»), un soutien accru aux exploitations converties en AB (via le déplafonnement des 7 600 €/an/unité des aides agro-environnementales pour les exploitations en conversion vers l’AB et une augmentation de l’enveloppe dédiée, ainsi que la reconduction du crédit d’impôt en 2009, celui-ci étant par ailleurs augmenté) et enfin, l’obligation dès 2012 faite à la restauration collective de proposer dans ses menus 20% de produits issus de l’AB. Enfin, dans le cadre du bilan de santé de la Politique Agricole Commune (PAC) du 23 février 2009, une aide spécifique aux exploitations en AB d’un montant d’un peu moins de 40 millions d’euros a été adoptée. Le plan français en faveur de l’AB, popularisé sous le libellé «AB : objectif 2012», vise donc à développer la production domestique de produits issus de l’AB via la fixation d’un objectif quantitatif en termes de surfaces dédiées en jouant simultanément sur la demande (via une contrainte d’incorporation de produits issus de l’AB dans la restauration collective) et l’offre (via, de façon générale, un soutien augmenté aux exploitations en conversion vers l’AB et déjà converties à l’AB).
Dans ce contexte, le comité éditorial de la revue Inra Productions Animales et la direction de l’Inra ont souhaité apporter un éclairage scientifique sur les acquis, les verrous et les perspectives en matière d’élevage AB. Ce numéro a été coordonné par J.M. Perez avec l’aide de nombreux relecteurs : que tous soient ici remerciés. Après une présentation du cahier des charges français et de la réglementation communautaire (Leroux et al), le numéro se décline en trois parties : une série d’articles sur différentes filières animales concernées (avicole, porcine, bovine allaitante, ovine allaitante), un focus sur deux approches à l’échelle des systèmes d’élevage (ovin allaitant et bovin laitier), et enfin des articles centrés sur les problèmes les plus aigus rencontrés dans le domaine de la gestion sanitaire et de la maitrise de la reproduction. L’article conclusif de Bellon et al fait le point sur les principales questions de recherche qui demeurent.
En aviculture (Guémené et al), à l’exception de l’œuf, la production bio reste marginale, mais les filières sont bien organisées. Cette situation résulte d’une relative synergie avec les filières label rouge, avec lesquelles elles partagent plusieurs caractéristiques (types génétiques, longue durée d’élevage, parcours). Des difficultés multiples subsistent néanmoins. La production bio est pénalisée par le manque de poussins AB, des difficultés de maintien de l’état environnemental et sanitaire des parcours, la rareté de l’aliment bio et la difficulté d’assurer l’équilibre en acides aminés des rations (pas d’acides aminés de synthèse), élément susceptible d’expliquer la surmortalité constatée en pondeuse (liée à des problèmes comportementaux). Par suite, les performances sont inférieures à celles de l’élevage conventionnel (augmentation de la durée d’élevage et de l’indice de conversion) et l’impact environnemental, bien qu’amélioré quand il est rapporté à l’hectare, est moins favorable quand il est mesuré par unité produite, à l’exception notable de l’utilisation de pesticides.
Prunier et al aboutissent aux mêmes conclusions dans le cas de la production de porcs AB. Relativement au conventionnel, les contraintes sont fortes sur le plan alimentaire (rareté de l’aliment AB, problème d’équilibre en acides aminés des rations) et de la conduite d’élevage (interdiction ou limitation des pratiques de convenance, âge des animaux au sevrage de 40 jours, difficultés de synchronisation des chaleurs et des mises bas, limitation des traitements vétérinaires). Ces contraintes et la grande diversité des élevages de porcs AB se traduisent par une forte variabilité des performances en termes de survie, reproduction, composition corporelle ou qualité des produits : autant de critères qu’il conviendra de mieux maîtriser à l’avenir pour assurer la pérennité de l’élevage porcin AB.
Les performances zootechniques et économiques de l’élevage bovin allaitant bio sont abordées dans l’article de Veysset et al à partir d’un échantillon limité d’exploitations situées en zones défavorisées. Les caractéristiques des unités AB diffèrent peu de celles de leurs voisines en élevage conventionnel ; avec un chargement à l’hectare plus faible mais une plus grande autonomie alimentaire, les résultats techniques des élevages AB sont proches de ceux des élevages conventionnels et ce, en dépit d’une moindre production de viande vive par unité de bétail, en raison d’un cycle de production en moyenne plus long. Sur le plan économique, les charges plus faibles (pas de traitements antiparasitaires, pas de vaccinations systématiques) ne suffisent pas à compenser un moindre produit à l’hectare. Un verrou majeur est le déficit de gestion collective de la filière verticale (absence totale de débouché en AB pour les animaux maigres, en particulier) qui se traduit par un problème aigu de sous-valorisation puisque dans l’échantillon enquêté 71% des animaux sont vendus sans signe de qualité : nul doute qu’il s’agit là d’une priorité d’action.
En élevage ovin (Benoit et Laignel), également sur la base d’un échantillon malheureusement restreint, les différences de performances techniques et économiques des élevages conventionnels versus bio varient sensiblement selon la localisation géographique, plaine ou montagne ; il est de ce fait difficile (et dangereux) de dégager des enseignements généraux valables pour l’élevage bio dans son ensemble. L’étude détaillée des adaptations des systèmes d’élevage aux potentialités agronomiques réalisée sur quatre fermes expérimentales montre néanmoins le rôle clé de la variable «autonomie alimentaire». Par suite, la situation économique des élevages ovins bio est plus difficile en zone de montagne où l’autonomie alimentaire, voire fourragère, est moindre (l’achat des aliments non produits sur l’exploitation représente 41% du prix de vente des agneaux dans l’échantillon enquêté). In fine, cela suggère que la variabilité des performances de l’élevage ovin bio, de plaine et de montagne, dépend plus du coût de l’aliment et de la valorisation des agneaux que de la productivité numérique.
L’article de Benoit et al porte également sur l’élevage ovin biologique, plus précisément la comparaison de deux systèmes ovins allaitants AB différant par le rythme de reproduction des animaux. Cela montre que les performances de l’élevage ovin AB ne s’améliorent pas quand le rythme de reproduction est accéléré, le faible avantage de productivité numérique ne permettant pas de compenser l’augmentation des consommations d’aliments concentrés et la moindre qualité des agneaux. Au final, cela illustre la plus grande difficulté à piloter le système AB le plus intensif.
L’article de Coquil et al relève aussi d’une approche systémique appliquée cette fois à l’élevage bovin laitier. Il porte sur l’analyse d’un dispositif original de polyculture-élevage mis en place à la Station Inra de Mirecourt reposant sur la valorisation maximale des ressources du milieu naturel et accordant une importance première à l’autonomie en paille et à la culture des légumineuses (protéagineux, luzerne). Le cheptel valorise les produits végétaux (prairies et cultures) et assure la fertilisation des parcelles en retour. L’autonomie alimentaire étant privilégiée, les effectifs animaux sont une variable d’ajustement, situation plutôt inhabituelle par comparaison avec des élevages laitiers conventionnels qui cherchent en premier lieu à maintenir les cheptels et les capacités de production animale. Les premiers retours d’expérience suggèrent une révision du dispositif en maximisant les synergies et les complémentarités plutôt que de considérer que l’une des deux activités, la culture ou l’élevage, est au service de l’autre.
Cabaret et al proposent un éclairage sur les problèmes sanitaires en élevage biologique. Sur la base, d’une part, d’une analyse des déclaratifs des acteurs de l’élevage, et, d’autre part, d’évaluations aussi objectivées que possible, les chercheurs montrent qu’il n’y aurait pas de différence notable entre l’AB et le conventionnel sur le plan des maladies infectieuses et parasitaires (nature, fréquence). La gestion de la santé des cheptels AB repose davantage sur l’éleveur que sur les prescripteurs externes auxquels il est moins fait appel, et sur une planification sanitaire préalable privilégiant la prévention et une réflexion de plus long terme sur la santé globale du troupeau, l’ensemble des maladies qui peuvent l’affecter, etc. La planification n’est pas uniquement technique. Elle requiert aussi l’adhésion des éleveurs. De fait, l’enquête analysée dans cet article relative aux élevages ovins allaitants met en lumière l’importance de ces aspects individuels et culturels sur la gestion de la santé en élevage biologique.
Les alternatives aux traitements anthelminthiques en élevage ruminant AB font l’objet de nombreux travaux (Hoste et al). Différents moyens de lutte contre les parasitoses sont mis en œuvre : gestion du pâturage de façon à limiter le parasitisme helminthique (rotations, mise au repos, assainissement), augmentation de la résistance de l’hôte (génétique, nutrition, vaccination), et traitements alternatifs des animaux infectés (homéopathie, phytothérapie, aromathérapie). Les protocoles d’évaluation objective de ces traitements alternatifs posent des problèmes méthodologiques non totalement résolus à ce jour. Mais traiter autrement, c’est aussi réduire le nombre de traitements anthelminthiques de synthèse via un emploi plus ciblé (saison, catégories d’animaux). Au total, de par la contrainte du cahier des charges à respecter, l’élevage biologique a recours à l’ensemble des moyens de lutte contre les maladies parasitaires. Dans le cadre de cette approche intégrée de la santé animale, l’élevage biologique peut jouer un rôle de démonstrateur pour l’ensemble des systèmes d’élevage concernés par le problème de la résistance et des alternatives aux anthelminthiques utilisés à grande échelle.
Même si la réglementation n’impose pas de conduites de reproduction spécifiques en élevage AB, elle contraint fortement les pratiques, notamment l’utilisation des traitements hormonaux. L’impact de ces contraintes est particulièrement fort en élevage de petits ruminants (où le recours à des hormones de synthèse permet l’induction et la synchronisation des chaleurs et des ovulations) et en production porcine (où la synchronisation des chaleurs et des mises bas est très pratiquée). Néanmoins, Pellicer-Rubio et al rappellent que des solutions utilisées en élevage conventionnel peuvent également être mobilisées en élevage biologique, l’effet mâle et les traitements photopériodiques naturels notamment, et ce dans toutes les filières, en particulier celles fortement consommatrices de traitements hormonaux. De façon générale, les marges de progrès sont encore importantes et les solutions seront inévitablement multiformes, combinant diverses techniques selon une approche intégrée. Ici aussi, l’AB veut être valeur d’exemple, en particulier dans la perspective d’une possible interdiction des hormones exogènes en productions animales.
L’article de Bellon et al conclut le numéro. Il met l’accent sur quatre thématiques prioritaires de recherche à développer, à savoir 1) la conception de systèmes d’élevage AB, 2) l’évaluation de l’état sanitaire des troupeaux et le développement d’outils thérapeutiques alternatifs, 3) la maîtrise de la qualité des produits et 4) l’étude des interactions entre élevage AB et environnement. A ces quatre orientations, on ajoutera la nécessité de recherches sur l’organisation des filières, la distribution, les politiques publiques, etc. dans la perspective de différenciation et de valorisation par le consommateur des produits issus de l’élevage biologique.
Dans le droit fil de ces conclusions, l’Inra a lancé, ce printemps, un nouvel appel à projets de recherche sur l’AB dans le cadre du programme dit AgriBio3 (programme qui prend la suite de deux premiers programmes également ciblés sur l’AB). Les deux grandes thématiques privilégiées sont, d’une part, les performances techniques de l’AB (évaluation, amélioration, conséquences sur les pratiques), et, d’autre part, le développement économique de l’AB (caractérisation de la demande, ajustement entre l’offre et la demande, stratégie des acteurs et politiques publiques). Ce programme, associé à d’autres initiatives nationales (appel à projets d’innovation et de partenariat CASDAR du ministère en charge de l’agriculture) et européennes (programme européen CORE Organic en cours de montage, suite à un premier programme éponyme), devrait permettre, du moins nous l’espérons, de répondre aux défis de l’AB, plus spécifiquement ici à ceux de l’élevage biologique. Un enjeu important est aussi que les innovations qui émergeront de ces futurs programmes, tout comme des travaux pionniers décrits dans ce numéro, constituent une source d’inspiration pour faire évoluer et asseoirla durabilité d’autres formes d’élevage.